Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 1 mai 2017

Vivre vite - Deprisa, deprisa, Carlos Saura (1981)


Pablo, Meca et Sebas vivent de petits coups, qui leur permettent de prendre du bon temps. Maigres profits, mais pour de maigres besoins ; et l'amitié passe avant tout. Un soir, après un braquage de voiture, ils rencontrent Angela, serveuse dans un bar. Angela découvre rapidement la vie dangereuse mais indépendante que mène le trio. Elle aime le danger et le luxe. Petit à petit, la bande s'habitue à une vie facile et, de petits larcins en hold-up, s'enfonce dans le grand banditisme.

Carlos Saura avait conclu dans Maman a cent ans (1979) un passionnant cycle initié avec La Chasse (1966) où, à coup de récits allégorique et chargés de symboles il se penchait sur le passé et le présent de l’Espagne Franquiste. La mort de Franco en 1975 va amener Saura à progressivement se réinventer. Cria Cuervos (1976) rend plus sous-jacente la facette politique pour privilégier la rêverie enfantine et mélancolique tandis que Maman a cent ans prend les atours d’une tragi-comédie bien éloignée du âpre Anna et les loups (1973) dont il est la suite. Après avoir scruté la brutalité d’une bourgeoisie espagnole hantée par les fantômes de la Guerre Civile,  Saura plonge donc de plain-pied dans l’ère de l’après Franquisme en observant la jeunesse délinquante dans Vivre vite. Le réalisateur avait déjà abordé le sujet avec Los Golfos (1962) mais cette marginalité y était encore baignée d’espoir et d’un certain romantisme car constituant un écueil dans la rigidité de l’Espagne Franquiste. Il en ira tout autrement des jeunes voyous amoraux de Vivre vite.

Saura signe un premier script d’après la documentation emmagasinée au fil des années sur la délinquance juvénile avant de se rendre compte qu’il sonne faux. Pour s’imprégner de l’état d’esprit de cette communauté, il va donc parcourir Madrid et réaliser des entretiens avec une centaine de jeunes adultes dont l’attitude, le langage et l’histoire personnelle nourriront un nouveau scénario. Saura aura finalement tant approché la réalité que les faits divers le rattraperont puisque deux des acteurs amateurs engagés seront arrêtés peur après le tournage pour des braquages. La scène d’ouverture donne le ton quant à l’état d’esprit de ces petites frappes. Pablo (José Antonio Valdelomar) et Meca (Jesús Arias) tergiversent trop durant leur vol de voiture, au point d’être pris la main dans le sac par les propriétaires. La séquence prend un tour confus et comique puisque tandis que notre duo réfugié dans la voiture n’arrive toujours pas à la faire démarrer, la foule s’accumule pour les empêcher de partir. Pablo refroidit leurs ardeurs en sortant un revolver et ils parviennent finalement à fuir avec le véhicule. 

Tout est dit dans cette entrée en matière où le larcin vaguement adouci par la maladresse et l’insouciance des criminels en herbe prend un tour nettement plus inquiétant et révèle la violence dont ils sont potentiellement capables. Dans sa filmographie « franquiste », Carlos Saura noyait son propos dans une avalanche de métaphores visuelles plus ou moins explicites et baignait l’ensemble d’un onirisme conviant à l’interprétation. Après avoir ainsi joué sur l’accumulation, le réalisateur donne au contraire dans l’épure méthodique de tout élément qui pourrait donner une certaine flamboyance à ses personnages. Des Amants de la nuit (Nicholas Ray, 1948) à Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967), les folles équipées criminelles de jeunes gens ne manquent pas, les méfaits étant toujours contrebalancés par une certaine fougue juvénile. Carlos Saura ne s’embarrasse pas de cela ici, le quatuor certes complice et rieur ne paraissant jamais si étroitement liés. Toute situation pouvant amener une dimension plus romanesque est réduite au strict nécessaire.  La séduction entre Pablo et Angela (Berta Socuéllamos) s’amorce ainsi dans une belle scène où la musique accompagne les jeux de regards, la douceur des traits et les échanges triviaux des deux. Le moment ne se prolonge pourtant pas, le flirt étant effectif dès la scène suivante et un aveu (Angela est vierge) qui aurait pu laisser voir une candeur et une tendresse plus manifeste est coupé par une ellipse. 

D’ailleurs hormis de vagues sourires et enlacements, le couple ne paraitra guère animé d’une folle passion durant le reste du film - ce que soulignera un dialogue d’Anna fustigeant le mariage, moins pour son institution  que par le frein qu’il constitue à se séparer plus vite. Ces deux-là et leurs acolytes ne semble être ensemble que pour tromper l’ennui, ne communier que quand ils s’adonnent à la violence. Ce minimalisme des sentiments est également formel et narratif. Les casses lucratifs, les vols de voiture et leurs procédés répétitifs s’enchaînent donc de façon métronomique, entrecoupés par les relâches en boite de nuit et l’oubli dans quelques rails de coke. Les lieux traversés renvoient les personnages au vide de leurs pensées et espérances avec les paysages sinistres et désertiques de Villaverde, dans la banlieue sud de Madrid. Les rares instants suspendus convoquent ainsi cette pensée creuse et ce gout de la destruction, notamment lors du rituel d’incendie de la voiture ayant servie au dernier larcin, observé avec un regard aussi fasciné qu’ahuri par Meca. Carlos Saura exprime cette idée de diverses manières en confrontant les personnages à leurs environnements.

Les deux chansons écoutées en boucle par les héros accompagnent ainsi l’ivresse de l’action ou l’oubli de l’instant, toujours ponctuée formellement par une trouvaille singulière – la caméra tournant autour de la voiture conduite par Pablo sur une route nocturne et quasi abstraite. Les ralentissements pourraient servir une introspection, une réflexion et un constat pour les personnages mais il n’en sera rien. Saura montre leur dédain pour le passé, qu’il soit historique et hautement symbolique - leurs railleries face aux statues profanées de la Colline des anges – ou plus intime, la rencontre avec la grand-mère de Pablo débouchant sur un échange superficiel et le cadeau d’une télé. Il n’y a aucune vraie progression dramatique ni évolution des personnages au final peu attachants, si ce n’est dans la manifestation toujours plus féroce de leur violence. Les besoins se font de plus en plus importants (des véhicules fonctionnels aux voitures luxueuses, de l’herbe à la coke, du squat à l’appartement aéré), les cibles plus dangereuses et donc la criminalité plus sanglante. Cette escalade est symbolisée par Anna, gâchette précise et impitoyable qui amène cette dérive quasiment sans remords et cette féminité agent du chaos évoque un autre récit de jeunesse instable de l’époque avec l’héroïne de L’Enfer des armes (1980) de Tsui Hark. 

C’est précisément quand il semble vaguement creuser ses héros que Saura amorce leur chute. Alors que tout le film n’est qu’une fuite en avant alternant braquage et hédonisme, Saura s’attarde soudain sur les états d’âmes de certain (Anna réfléchissant à l’homme qu’elle a abattu) et la préparation d’un braquage. Ainsi privés de cette fulgurance irresponsable et intrépide, tous sont comme rattrapé par cette normalité qu’ils cherchaient à fuir. Le bain de sang et la tragédie finale leur retire le seul élément qui les rendait encore humain, la camaraderie de groupe. La dernière scène illustre alors le détachement ultime, celui à l’amour, aux souvenirs, le bien le plus précieux à emporter restant le butin. Le nouveau départ semble toujours aussi incertain, glacial et désormais solitaire pour cette jeunesse sans repères ni idéaux. 

Ressortie en salle le 3 mai 

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