L'histoire se déroule à Taipei, Taiwan, et envisage sous trois perspectives la vie de la famille Jiang : NJ, un homme d'affaires dans la quarantaine, Yang Yang, son fils de 8 ans, et Ting Ting, sa fille.
Depuis Tapei Story (1985), Edward Yang s'est fait l'observateur à travers le cadre de la ville de Taipei des mues sociales et sociétales de Taïwan. Taipei Story et The Terrorizers (1986) étaient les films dépeignant la transition vers la modernité et les sacrifices qui en découlaient, l'introspectif A Brighter Summer Day (1991) en capturait lui les prémisses tandis que A Confucian Confusion (1994) et Mahjong (1996) en illustraient les conséquences chez les nantis comme dans les bas-fonds. Yi Yi est un film plus doux, moins tourmenté, où il s'agit désormais de faire le bilan de cet acquis de la modernité, savoir ce qu'on y a perdu et réfléchir à ce qui y est encore possible. Edward Yang parvient ici à une forme de plénitude et d'apaisement qui rend le propos plus universel, dépassant la seule radiographie de Taipei et Taïwan.Si le film s'ouvre sur une scène de mariage, c'est un évènement plus tragique qui sera l'élément déclencheur du récit avec la grand-mère de la famille Jiang qui suite à une attaque cardiaque va tomber dans le coma. Alitée au sein de la demeure familiale, elle renvoie chaque personnage à ses doutes, regrets et interrogations sur la vie. L'adolescente Ting Ting (Kelly Lee) ressent ainsi une forme de culpabilité, se reprochant l'attaque de sa grand-mère en descendant les poubelles qu'elle avait oublié de sortir. Le pardon de sa grand-mère est donc suspendu à son réveil pour l'adolescente. Min-Min (Elaine Jin) la mère de famille, constate le vide et la répétitivité de son existence dédiée au travail lorsqu'elle décide de raconter ses journées à sa mère pour maintenir le contact. NJ (Wu Nien-jen) après avoir croisé son amour de jeunesse le jour du mariage remet également en cause ses choix de vie, tandis que le benjamin de la famille Yang Yang (Jonathan Chang) ne sait comment réagir face à la situation et va finalement découvrir la notion de mort. Edward Yang étire la temporalité de son récit pour plonger chaque protagoniste dans des situations, des perspectives qui pourront répondre à leurs doutes. La mère cède à une sorte de gourou bouddhiste et disparait de l'histoire pour n'y revenir qu'en conclusion. L'intime et le moderne se confrontent de manière passionnante pour NJ lancé sur une affaire par son entreprise qui sera la source d'une belle expérience humaine mais également d'un regard en arrière. Il se lie d'amitié avec Ota (Issei Ogata) un client japonais à la présence lumineuse qui sait laisser le temps au temps, privilégie la connexion intellectuelle et amicale pour collaborer, ce qui donne lieu à des moments intimistes et chaleureux inattendus (le concert improvisé dans le piano-bar). Le formel du business prend un tour plus profond qui importe à NJ malheureusement trahit par ses collaborateurs qui tourneront le dos au japonais.Les retrouvailles touchantes et tourmentées - que Yang met en écho avec le premier rendez-vous amoureux de Ting Ting comme pour en annoncer l'impasse aussi - avec l'ancienne fiancée Sherry (Su-Yun Ko) offrent une réminiscence de Taipei Story, comme si le couple de ce dernier se retrouvait des années plus tard. On le ressent dans l'amour toujours ardent de Sherry, qui a pourtant atteint la réussite matérielle à laquelle elle aspirait mais qui lui a fait perdre NJ. Toutes leurs scènes communes retrouvent le leitmotiv pudique d'Edward Yang dans son illustration de la dispute amoureuse. Lorsque la rancœur explose, il filme à distance comme la scène du parc japonais où l'une reproche à l'autre d'être parti sans un mot qui réplique que la pression sociale qu'elle lui imposait était trop grande. Quand la supplique amoureuse et l'espoir de tout recommencer s'amorce, Yang use du cadre dans le cadre et plonge la pièce dans la pénombre (motifs plusieurs fois utilisés dans Taipei Story, The Terrorizers et Mahjong (1996)) pour signifier l'éloignement intime et l'impossibilité d'un retour en arrière.La poésie et le romanesque d'Edward Yang voguaient vers une forme de résignation jusqu'à A Brighter Summer Day, qui a sembler s'atténuer avec la belle conclusion romantique de Mahjong. Cela se confirme dans Yi Yi, qui scrute les premiers émois amoureux adolescents comme A Brighter Summer day (et les mêle à un fait divers comme ce dernier) mais une pure idée de récit d'apprentissage pour Ting Ting. Entremetteuse pour une amie mais finissant amoureuse du destinataire, on va voit l'adolescente grandir, prendre de l'assurance et devenir femme, qu'importe si la déception est au bout. Le petit Yang Yang est sans doute la figure la plus attachante du film, entre l'espièglerie enfantine (et là aussi les prémisses d'élans amoureux et érotiques) et une étonnante lucidité. Sa manie de photographier le dos et la nuque de ses modèles est une métaphore de la perspective que tous les insatisfaits du récit ne peuvent avoir, mais aussi pour lui de toucher du doigt cet espace inconnu que signifie la mort. L'épilogue est ainsi poignant avec une scène de rêve délivrant Ting Ting de sa culpabilité, et Yang Yang "parlant" enfin à sa grand-mère, lui promettant de la retrouver un jour dans ce lieu dont il a appris à mesurer l'existence. Yi Yi est une magnifique tranche de vie o Edward Yang montre enfin des personnages qui, certes toujours abîmés et fragiles, sont enfin en paix avec leur environnement malgré ses contradictions. Un vrai film-somme qui rendait la suite prometteuse et passionnante, le destin en a voulu autrement.
Sorti en dvd zone 2 français
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