La fameuse structure "rise and fall" chère au film de gangster prend un tour très intimiste et touchant dans La Police était au rendez-vous. Le sentiment de fresque et du temps qui passe se ressent par les grands évènements (la Grande dépression, la mort de Dillinger, l'attaque de Pearl Harbor et l'entrée en guerre des Etats-Unis) qui jalonnent en arrière-plan l'amitié, l'ascension et l'opposition en parallèle du policier Gallagher (George Nader) et la petite frappe devenue gangster Jerry Florea (Tony Curtis). La première rencontre annonce la complexité de leur relation lorsque Gallagher, encore agent en uniforme abat Jerry jeune délinquant en fuite à la suite d’un vol.
La culpabilité incite Gallagher à se rapprocher de Jerry et le prendre sous son aile dans l'espoir de l'éloigner de la voie criminelle, mais ce dernier sorti de ce lien quasi filial au policier semble être une irrécupérable mauvaise graine. Tout le récit voit l'amitié sincère des deux personnages vaciller alors que leurs statuts et compétences du côté et en dehors de la loi ne cesse de grandir. Joseph Pevney caractérise de bout en bout Florea comme un adolescent espiègle dont le crime est un terrain de jeu fertile, Gallagher faisant office de père de substitution (quand les vrais parents jetteront vite l'éponge) croyant indéfectiblement en la rédemption de son protégé.Dans cette idée, tous les méfaits de Florea font figure de blague de sale gosse, l'illégalité des actes ne se délestant pas de la jubilation du personnage à duper son monde. Tony Curtis est un choix parfait dans ce registre, son numéro de charme laissant toujours croire à son interlocuteur le plus endurci qu'une réinsertion est possible. L'acteur (interprété adolescent par Sal Mineo) par touches subtiles fait passer toute cette nature d'homme-enfant, laissant entrevoir dans son regard la détresse et l'abandon lors des rares fois où Gallagher excédé l'abandonnera à son sort . De même l'ascendant filial ou fraternel de ce dernier se ressent quand Florea, dure à cuire craint de tous, trahit par sa gestuelle la crainte d'être frappé par son mentor -Pevney jouant plusieurs fois de cet ascendant dans sa mise en scène, ne différenciant pas les périodes d'adolescence et l'âge adulte.
Ce n'est bien sûr par la peur de la confrontation physique qui se joue là, mais de la déception et du reniement que ses actes illicites pourraient provoquer chez Gallagher. Florea semble constamment en quête d'approbation quand il fait mine d'abandonner ses activités pour une vie rangée, ou lorsqu'il évite de commettre ses méfaits dans la ville de Boston et donc le secteur de Gallagher. Il reste cet enfant immature incapable d'éviter les "bêtises", et cherchant à les masquer pour éviter la punition. Dans le même ordre d'idée, Gallagher tel un père omniscient semble toujours deviner face aux crimes trop ingénieux que son protégé en est l'auteur. La prise de conscience finale est une sorte de passage tardif à l'âge adulte pour Floreal, placé face aux conséquences de ses actes non pas par leur risque pénal, mais par le fossé définitif que son terrain de jeu creuse face à ses proches. La dynamique est immuable, seule les proportions et les conséquences évoluent. Sans jamais dédouaner Florea, un certain contexte xénophobe est néanmoins introduit (le rejet de son engagement militaire du fait de ses origines) et donne une dimension plus vaste au sentiment de rejet et à la quête d'acceptation du personnage. La communauté américaine le rejette et son lien à celle-ci ne tient qu'à la bienveillance d'un individu, Gallagher, quant au contraire le monde des gangsters l'accueille à bras ouvert même si paradoxalement il ne semble jamais y nouer d'amitié solide (la scène finale où ses acolytes se retournent contre lui). Tout cela est captivant, narré avec efficacité (1h36 pour un récit de cette ampleur) en alternant les vrais moments nerveux de polar avec une belle introspection. Les deux acteurs sont parfaits, exprimant avec nuances et continuité la trajectoire des personnages, le sentiment qui ne cessera jamais de les unir malgré les circonstances qui les éloignent. Une belle réussite revisitant la structure et les enjeux d'un classique comme Les Anges aux figures sales de Michael Curtiz (1939).Sorti en bluray français chez Elephant Films
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