Sur la route des vacances, Rex et Saskia s'arrêtent sur une aire d'autoroute. L'homme s'éloigne du véhicule pendant quelques minutes. A son retour, sa compagne a disparu. Fou de douleur, il renonce à sa vie professionnelle et sociale pour se consacrer exclusivement à la recherche de la disparue. Après trois années d'une quête infructueuse, il reçoit une étrange carte postale, dont l'auteur prétend connaître la vérité sur la disparition...
L’Homme qui voulait savoir est un véritable film culte, une « proposition » de thriller unique en son genre. Il s’agit de l’œuvre la plus connue de George Sluizer, à la carrière déjà conséquente avant de signer ce titre qui le ferait passer à la postérité. Il s’agit de l’adaptation Het Gouden Ei (L'Œuf d'Or) de Tim Krabbé publié en 1984. Sluizer était devenu ami avec l’auteur après avoir réalisé Red Desert Penitentiary (1985), documentaire adaptant une série d’articles de Krabbé écris quand il arpentait les Etats-Unis en tant que journaliste. Krabbé va consulter George Sluizer, francophile, durant l’écriture de Het Gouden Ei afin d’avoir des renseignements logistiques sur la France où se déroule l’intrigue. Sluizer aura ainsi accès en amont aux premiers chapitres et, captivé, en achète aussitôt les droits en vue d’une adaptation. L’écriture du scénario se fera en commun avant que des désaccords amènent Sluizer à prendre seul les rênes.
Le titre original néerlandais Spoorlos et sa traduction anglaise The Vanishing appuient sur la dimension de suspense introduit par le postulat du film. Cependant le titre français L’Homme qui voulait savoir semble davantage cerner les réels enjeux du récit, plus sous-terrain. En effet la disparition insoluble d’un protagoniste et la quête de son sort ont déjà fait l’objet de films notables, notamment le Hitchcock d’Une femme disparait (1938) ou encore Psychose (1960). D’ailleurs Sluizer condense le développement de ces deux classiques, en condensant la résolution de l’énigme de la disparition tout en nous faisant accompagner les pas et la psychologie du coupable. Dans les années suivantes un film comme Breakdown de Jonathan Mostow (1997) semble également lorgner sur les prémices de L’Homme qui voulait savoir mais débouche sur une tension efficace mais classique.L’intérêt de ce titre français est donc là, sur la nature de l’homme qui voulait savoir. D’un côté il y a le savoir obsessionnel, sentimental et déchirant de Rex (Gene Bervoets), inconsolable depuis la perte inexpliquée de sa compagne Saskia (Johanna ter Steege) sur les routes de France durant leurs vacances. De l’autre il y a le savoir froid et pragmatique par lequel le faussement respectable Raymond Lemorne (Bernard-Pierre Donnadieu parfait de duplicité et d'ambiguïté) souhaite tester ses limites en enlevant une femme. Les deux régimes narratifs et formels mis en place par George Sluizer obéissent à cette logique. La première partie déploie dans un mélange de mysticisme (le rêve « prémonitoire » de Saskia) et de drame conjugal ce qui nourrira la meurtrissure et l’obsession de Rex.Un comportement mufle de Rex amène une situation où il « abandonnera » Saskia et ressentira une première fois la peur de l’avoir perdue, et la retrouvera comme dans un rêve en sortie d’un tunnel routier, comme pour préfigurer la chimère que sera son retour après sa disparition définitive. George Sluizer creuse ce sillon sentimental tout en déployant une atmosphère paranoïaque où à la manière du Blow-up d’Antonioni, on cherchera insidieusement le danger imminent dans le panorama familier du fourmillement d’un arrêt d’autoroute.A l’inverse, c’est le méthodisme glacial de Lemorne avant de se « jeter à l’eau » qui suscite l’angoisse. Testant son pouvoir de conviction pour attirer les femmes dans ses filets, expérimentant sur lui-même la longueur des effets du somnifère, mettant en scène des situations susceptible de créer une promiscuité, ses instincts meurtriers repose davantage sur le défi que la pulsion. C’est un scientifique expérimentant le crime comme une équation, une formule à résoudre. Les deux personnages représentent les deux versants d’une forme différente de folie. Celle à vif et émotionnelle de Rex l’amène à s’aliéner son entourage et ne plus dédier ses pensées qu’à la réunion de ce chaînon manquant intime, au risque de sa vie. La démence déshumanisée de Lemorne lui fait parfaitement équilibrer sa vie sociale et familiale avec ses méfaits, et les fait même cohabiter comme le montrera la saisissante dernière scène.Tout est clair, calculé et d’autant plus terrifiant dans le cheminement de Lemorne, tout est irrationnel, déchirant et illogique dans celui de Rex. Tous deux se rejoignent cependant dans le facteur du hasard et du destin qui accélère la réussite de l’un (la victime « s’offrant » à Lemorne alors que ses manigances savantes y ont échoué) et la perte de l’autre quand les sentiments et l’acharnement de Rex ne suffiront pas à sauver Saskia. En détournant de cette manière les codes du thriller, George Sluizer parvient à un étonnant cocktail d’imprévisible et d’inéluctable, notamment par la rencontre et les confidences inattendues entre le bourreau et sa victime. Le film va gagner une aura culte en traversant les festivals, suscitant l’admiration profonde d’un certain Stanley Kubrick qui y voyait un des films les plus terrifiants qu’il ait vu.Sorti en bluray chez Sidonis et ressortie en salle le 5 juin
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