The House of Wooden Blocks est une œuvre où Yasuzo Masumura signe le film anti Ozu par excellence, et laisse planer l'ombre de ses influences occidentales. Le postulat est voisin de films contemporains faisant exploser de l'intérieur la cellule familiale à coups de rancœurs, secrets et transgressions comme Les Poings dans les poches de Marco Bellochio (1965) ou Théorème de Pier Paolo Pasolini (1968). Masumura est dans cette lignée à travers un contexte plus spécifiquement japonais. Il avait dans plusieurs œuvres précédentes dressé un portrait peu reluisant de la société japonaise du boom économique au tournant des années 50/60 dans des œuvres cinglantes penchant d'une part sur la description cynique du monde de l'entreprise (Géants et jouet (1958), Black Test Car (1962)), et de l'autre sur les conséquences de cette opulence dans des relations humaines/amoureuse viciées avec La Chatte japonaise (1967)). C'est sur ce second point que lorgne The house of Wooden Blocks avec la noirceur de cette vision de la famille. La scène d'ouverture nous offre un tableau idyllique de la famille Sasabayashi lors d'un repas familial chaleureux, des échanges bienveillants entre les parents et la fratrie de trois enfants. Un évènement va rapidement lézarder cet ensemble, quand le cadet Ichiro (Yoshiro Uchida) va découvrir que son père (Asao Uchida) entretient une liaison avec sa sœur aîné Namie (Kayo Matsuo). Perturbé par cette vision incestueuse frontale, il délaisse peu à peu le foyer familial tout en se montrant irascible avec son entourage, à l'exception de la belle Madame Hisayo (Ayako Wakao) une veuve et mère tenant un petit magasin. La volonté de faire de l'anti Ozu se ressent par les partis-pris formels marqué. Chez Ozu la topographie des demeures et la manière d'y disposer les protagonistes s'inscrivait dans un modèle japonais traditionnel. La modernité pouvait s'y inviter par les aspirations des personnages mais restait contenue, l'évolution se faisait en douceur quand parfois tout n'en restait qu'à un statu quo paisible, et les échanges remettant en cause ce modèle se faisait en petit comité à l'extérieur. Dans The House of Wooden Blocks, l'ordonnancement de la maison obéit à une architecture moderne effaçant le poids du passé, tout semble cloisonné (ce long couloir aux multiples portes de chambres) pour y contenir les secrets les plus inavouables. La scène introductive donne l'illusion d'une union durant le repas familial, mais s'avère très découpée et évite les plans d'ensemble chers à Ozu pour capturer parents et enfant comme une entité soudée. La rupture s'amorce d'ailleurs ainsi quand sorti de la cuisine, Ichiro souhaite plus tard aller poser une question à son père et se rend dans sa chambre dont il trouve la porte verrouillée tandis que les râles de plaisir se font entendre de l'autre côté. L'adolescent doit symboliquement prendre du recul par rapport à la vision qu'il a de sa famille, adopter une autre perspective en allant espionner par la fenêtre et découvrir l'innommable avec les ébats de son père et de sa sœur. Dès lors c'est l'escalade entre la découverte des véritables liens de Namie à sa famille, la naissance d'un désir coupable chez lui et les conséquences du secret dans l'effronterie de son autre sœur Midori (Eiko Azusa ) et l'explication de l'éducation passive de sa mère (Michiko Araki). Seul le père apparaît comme vraiment monstrueux dans le récit, à la fois représentation d'une masculinité et patriarcat japonais abusif, mais aussi de sa mue moderne où les moyens financiers lui permettent de consommer impitoyablement toute femme suscitant son désir. La sulfureuse Namie rappelle l'héroïne de La Chatte japonaise, une jeune femme sortie de la fange grâce à son attrait physique et dont toutes les interactions reposent sur la séduction qu'elle peut exercer, le confort matériel qu'elle peut en tirer. Elle a été conditionnée ainsi et l'actrice Kayo Matsuo parvient brillamment en en exprimer la dimension de victime et de séductrice vénéneuse, parfois dans la même scène comme ce superbe raccord en mouvement sur ses jambes passant de l'avant (la séduction) à l'après (l'accalmie après l'amour) sans avoir montré le "pendant" et pourtant stimulé l'imagination du spectateur. Masumura parsème le film de visions érotiques de Namie issues de l'imagination d'Ichiro, qui en ressent effroi et excitation sans oser se l'avouer. La satire prévaut cependant sur cette ambiguïté du désir, la douleur et de l'amour que le réalisateur observera avec plus d'acuité dans d'autres films (L'Ange Rouge (1966) et La Bête aveugle (1969) en tête)). Ici c'est davantage la destruction du modèle familial qui domine, tout en offrant un envers moins dans la norme aux yeux de la société mais bien plus sain d'une nouvelle idée de cette idée de famille (Masumura adoptant alors justement lors de sa confession les cadrages "à la Ozu" pour le signifier) avec Mme Hisayo élevant seule son fils - et ce malgré les terribles bases de cette maternité que l'on découvrira. De même la droiture du professeur incarné par Ken Ogata est la proposition d'une autre figure masculine et paternelle, protectrice et bienveillante qui essaiera de remettre Ichiro sur de bons rails tout au long du récit. Certaines révélations se devinent avant leur dévoilement, et le film piétine parfois un peu à vouloir en faire de vrais coups de théâtre mais il y a une vraie élégance et maestria de Masumura à les introduire? Le flashback sur le passé de Mme Hisayo, ou celui de l'arrivée de Namie dans la famille sont impressionnants, l'atmosphère douloureuse de confession du présent de la narration contrastant avec la noirceur cauchemardesque de cette vue sur le passé. Le seul moyen de malmener cette prison des apparences qu'est ce cadre familial faussement serein, c'est d'afficher ses travers aux yeux de tous, le clou qui dépasse étant la grande hantise du modèle social japonais. Le choix d'Ichiro lors de la conclusion abrupte va dans ce sens.
Sorti en dvd japonais
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