dimanche 2 janvier 2011
Tous les biens de la Terre - The Devil and Daniel Webster, William Dieterle (1941)
Un fermier américain échange son âme contre sept années de bonheur, jusqu'au jour où il commence à éprouver des remords...
Après dix ans au sein de la Warner à essayer d'imposer sa vision et son engagement dans le cadre strict qui lui était imposé, William Dieterle grâce au succès de son Quasimodo (évoqué en juillet sur le blog et dont retrouve presque toute l'équipe technique ici notamment le directeur photo Joseph August)) lançait enfin sa société de production dont The Devil and Daniel Webster serait l'oeuvre inaugurale. A tout point de vu, le film constitue une fusion idéale du passé et présent du réalisateur puisque le sujet offre une variation du mythe de Faust dans un cadre américain. Dieterle encore jeune premier a joué dans la version muette de Murnau et cette influence de l'expressionnisme allemand est omniprésente mais le film se pare néanmoins d'un ancrage tout américain en adaptant la nouvelle de Stephen Vincent Benét et en mettant en scène une authentique figure historique avec Daniel Webster. Ce dernier, politicien américain majeur la période pré Guerre de Sécession était réputé pour ses talents d'orateur exceptionnels et servira donc de caution morale au récit.
L'histoire dépeint donc le labeur mal récompensé de Jabez Stone, jeune fermier sur lequel le sort s'acharne désespérément. Acculé par les dettes et victime d'un énième coup du destin il jure dans un moment d'égarement de vendre son âme au diable pour deux cents afin que ses malheurs cessent. Surgit alors le Malin en la personne de Mr Scratch (Walter Huston) qui lui fait signer le terrible contrat en échange de son âme dans sept ans. Dieterle lui même issu d'un milieu rural confère une vraie chaleur et authenticité malgré les malheurs à cette famille et le jeu très direct et sans distance des principaux protagonistes accentue la tonalité de fable morale. James Craig en Jabez Stone s'avère touchant dans son désespoir de la première partie et pitoyable quand il cède à ses mauvais instincts ensuite mais sans que l'empathie s'atténue et Anne Shirley est la simplicité dévouée même en épouse aimante, tout comme la mère incarné par Jane Darwell (déjà en mère courage dans Les raisins de la colère de Ford).
Il en va tout autrement du Diable sous les traits malicieux de Walter Huston (engagé par Dieterle sur les conseil de son fils John Huston collaborateur privilégie) génialement cabotin. Affable, rigolard et farceur il est surtout extrêmement dangereux sous ses airs clownesque avec un sourire carnassier dissimulant toujours de noirs dessein. Dieterle en fait véritablement une incarnation du mal absolu dans ce qu'il a de plus insidieux et omniscient en le mêlant constamment aux évènements, décors et ambiances même passé le pacte et Walter Huston se délecte à donner diverses variantes à son jeu lorsque le Diable se plaît se mêle aux hommes dans ses attitudes décontractées.
A l'opposé Edward Arnold, incarnation de la droiture morale impose une présence stoïque et autoritaire atténuée par la bonhomie de son apparence ses manières truculentes comme son fort penchants pour la boisson. Tout comme le souligne le titre original*, entre ces deux là c'est l'éternel combat entre le Bien et le Mal qui se joue avec comme enjeu l'âme du malheureux Jabez.
Les penchants européens de Dieterle se manifeste dans la mise en image imprégnée de l'expressionnisme allemand, notamment les jeux d'ombres saisissants lors des apparitions de Mr Scratch (la première d'où il surgit du fond de la grange entouré d'un halo inquiétant après l'imprécation de Jabez est mémorable) l'aura érotique et démoniaque de Belle (vénéneuse Simone Simon pour le rôle du retour à Hollywood et qui allait devenir La Féline pour son rôle suivant à la RKO) que l'on découvre sur fond de flammes infernales la mine vicieuse.
Le sommet de cette facette fantastique est bien évidemment atteint lors du procès final avec l'apparition d'un jury de damnés d'outre tombe chargé de déterminer le sort de Jabez. Auparavant on aura déjà eu l'occasion de basculer dans le pur cauchemar lors de deux séquences de bal, la première montrant le basculement définitif de Jabez dans la folie sous les accords dissonants de Bernard Herrmann (magnifique score lyrique et ténébreux à la fois et où on reconnaît un futur motif de celui de Vertigo) et le seconds plus terrifiants encore où une réception peuplée d'une armée de spectre nous montrera le sort peu enviable de celui amené à perdre son âme.
Pour l'aspect plus authentiquement américain, c'est dans le cadre même du récit qu'il faut chercher. Ses fermiers accablés par les dettes et cherchant désespérément à s'organiser renvoie au plaies encore vivaces de la Grande Dépression et à travers eux c'est l'américain moyen ruiné qu'il est fait écho. Daniel Webster se fait donc le champion de tout ses opprimés dans une inoubliable tirade finale en forme de droit à la seconde chance, de constat sur la faiblesse humaine et de l'Amérique toute puissante veillant sur ses concitoyens. Un grand moment dont l'issue positive est à relativiser si on mêle la réalité à la fiction puisque le vrai Daniel Webster n'a jamais accédé à la présidence à force de compromis ce que lui annonce Walter Huston défait mais toujours aussi jovial. Et puis que dire de cette ultime scène où le Diable repart feuilletant son carnet avant de pointer du doigt le spectateur comme s'il avait trouvé en nous la prochaine victime de ces infâmes tentations...
* Le film connaîtra d'ailleurs de nombreux titres tant les différents thèmes abordés le rendent invendable commercialement comme All that money can't buy, Here is a man, Certain Mr Scracth mais aucun n'empêchera le cuisant échec au box office la sortie au moment de Pearl Harbor n'aidant pas non plus.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta
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