Un 4 juillet, deux habitants de Las Vegas, Hank et
Franny, un peu usés par leur vie de couple, se séparent le jour
anniversaire de leur cinq ans de rencontre et partent chacun de leur
côté. Ils se retrouveront au bout de la nuit, après avoir fait chacun
une rencontre.
Certains des meilleurs films de Francis Ford Coppola
donnèrent souvent un entre-deux passionnant où se disputaient l’intime
et le monumental, la modestie et la mégalomanie du réalisateur. La
trilogie du Parrain sous le contexte criminel était ainsi une saga familiale, l’arrière-plan réaliste d’Apocalypse Now (1979) servait une odyssée intérieure hallucinée, la paranoïa du thriller Conversation secrète (1974) était le reflet du déséquilibre de son héros, et dans un tout autre registre Peggy Sue s’est mariée
(1986) usait de son postulat extraordinaire pour un poignant portrait
de femme. Malgré toutes leurs réelles qualités, il semblait parfois
manquer un petit quelque chose aux célébrés mais plus uniformes Dracula (1992), tout en excès extravagants, ou Rusty James (1983), touchant mais sans doute un peu forcé dans son épure arty. Tout l’intérêt de Coup de cœur est d’entretenir constamment le doute quant à sa place dans la filmographie de Coppola.
Tient-il de l’équilibre miraculeux des grands chefs-d’œuvre ou
creuse-t-il un même sillon sans plus de richesse que sa prouesse
technique ?
Le film arrive à un moment charnière de la carrière de Coppola. Le réalisateur s’était sorti miraculeusement du cauchemar Apocalypse Now
(1979) où après le tournage rocambolesque et les péripéties que l’on
sait, le succès fut au rendez-vous avec en point d’orgue une Palme d’or à
Cannes. De cette aventure éprouvante naît chez Coppola
à la fois une volonté de plus grand contrôle, et surtout d’un film plus
intimiste avec cette ode à l’Amérique et cette histoire d’amour
classique que constitue Coup de cœur. Ces aspirations s’avéreront contradictoires lorsque Coppola
fera l’acquisition d’un immense studio à l’abandon de Los Angeles et y
déplacera le siège de sa société de production American Zoetrope.
Renfloué par les recettes d’Apocalypse Now, il souhaite y produire non seulement Coup de cœur,
mais aussi tous les futurs projets de la compagnie afin de nourrir son
grand dessein d’une alternative crédible à la puissance des Majors. Le
tournage est ainsi prévu entièrement en studio et le seul excès sera
dans la reconstitution d’une rue de Las Vegas gorgée d’éclairages
tapageurs et de néons. L’effervescence ambiante va pourtant nourrir la
folie des grandeurs de Coppola et le projet de prendre des proportions monumentales avec ce parti pris s’étendant à tout le film.
Tout le faste déployé par Coup de cœur sert donc ici à
nous baigner dans une expérience intime à travers la destruction puis la
reconstruction du couple formé par Hank (Frederic Forrest) et Frannie
(Teri Garr). L’intrigue se déroule à Las Vegas, cité de tous les
artifices dont l’environnement surchargé peut autant nourrir le rêve que
le cauchemar. Coppola
procède donc à ce décalage au cœur du cadre du récit pour montrer les
dissensions latentes de ses héros. Dans la séquence où ils se retrouvent
dans leur maison, avant même que le moindre dialogue ne fasse découvrir
la crise du couple, Coppola
nous la fait comprendre par l’image.
Chacun arrive séparément et vaque à
ses occupations comme s‘il vivait seul, les paroles de la chanson de
Crystal Gayle contredisent ces retrouvailles tendres et la photo se
nimbe de rouge durant la scène d’amour, couleur à la fois synonyme
d’abandon aux sens mais aussi d’hypocrisie tout au long du film. Ici
elle viendra donc illuminer une scène d’amour qui ne résoudra pas la
dispute qui a précédé, plus tard elle nimbera le regard vide et teinté
de regret de Frannie après sa première nuit avec Ray (Raul Julia).
Hank
aspire à s’installer, donner une assise à son couple symbolisée par le
cadeau d’anniversaire de leur rencontre : l’acte de propriété de leur
maison. A l’inverse, ce toit ne semble être qu’une étape pour Frannie
rêvant d’un ailleurs détaché du quotidien là aussi s’incarnant dans son
cadeau : des vacances à Bora Bora. La séparation inéluctable verra leur
voyage étrange le temps d’une nuit aux côtés de personnages chimères
répondant mieux à leurs aspirations.
Le parcours, les rêves et les désillusions de chacun seront ainsi mis en
parallèle dans un foisonnement visuel convoquant la comédie musicale ou
encore le conte. Le latin lover mystérieux, incarné par un Raul Julia
tiré à quatre épingles, est donc synonyme d’évasion pour Frannie. Loin
des aspirations terre à terre de Hank, il est prêt à lâcher un job
médiocre dans la minute pour passer la soirée avec elle, leur relation
étant basée sur le mouvement perpétuel à travers deux extraordinaires
scènes de danse, d’abord un tango aussi nerveux que langoureux et tout
en jeu d’ombres puis une orgie dionysiaque en pleine rue où les corps
s’entremêlent sur fond de disco.
Pour le plus réservé Hank, ce bonheur
s’affirmera dans les traits juvéniles et innocents de Leila (Nastassja
Kinski). Lassée de la vie agitée du monde du cirque, elle aspire à une
même tranquillité que lui par son caractère doux et rêveur. Coppola
nimbe leurs scènes d’une teinte bleutée qui les isole dans un monde
féérique où rien n’importe plus que le regard de l’autre, magnifié sous
toutes les coutures (le visage de Nastassja Kinski en perspective
immense face à un Frederic Forrest subjugué). C’est un lieu de tous les
possibles qui n’appartient qu’à eux, où les klaxons de voitures font
office d’orchestre, où les étoiles filantes surgissent dans une nuit
irréelle...
Tout au long du récit, Coppola
nous aura pourtant bien signifié que le lien entre Hank et Frannie ne
s’est jamais vraiment rompu. Les chansons dépeignent les mêmes états
d’âme dans leurs aventures respectives, où au plus classique montage
alterné le réalisateur substitue des fondus enchaînés à déflagration
lente qui figent nos personnages ensemble à l’image pour des
compositions de plan somptueuses convoquant le collage Pop Art.
L’expérimentation est ici au service de l’émotion et va déteindre sur
cet environnement plié aux affres sentimentales des personnages, comme
ce ciel aux textures changeantes lors du mouvement de grue qui voit
Frannie quitter Hank une seconde fois. Comme cela a pu arriver souvent,
l’innovation esthétique doit se conjuguer à un récit et des personnages
simples, et c’est ce à quoi tend Coppola ici en mélangeant les techniques avec cette modernité s'ornant d'artifices plus anciens magnifiés comme le matte painting.
Les traits tristes, le caractère mélancolique et emporté de Frederic
Forrest le rendent immédiatement attachant et proche du spectateur en working class hero cherchant à cimenter sa relation.
Teri Garr suscite tout autant d’empathie par ses envies d’ailleurs, Coppola
la magnifiant autant en vamp sexy désirable et à la robe écarlate telle
qu’elle se rêve qu’en jeune femme à la beauté simple aimée de Hank. Si
Raul Julia, aussi à l’aise soit-il, est un prétexte séduisant en forme
de tentation, Nastassja Kinski et ses airs angéliques rendent cet amour
de passage (élément confirmé par une astuce visuelle et narrative) fort
touchant en une poignée de scènes qui constituent les meilleurs moments
du film.
L’équilibre est cependant ténu et Coup de cœur n’est
jamais loin par moments de basculer dans la virtuosité vaine où, malgré
le parti pris sensoriel de l’ensemble de la direction artistique (des
décors de Dean Tavoularis à la photo de Vittorio Storaro), l’esbroufe se
ressent néanmoins dans ses mouvements de caméra complexe et son
imagerie noyée de néons flashy. La magnifique bande-son de Tom Waits,
entre hommage tonitruant à la comédie musicale et élans jazz élégants,
ne peut totalement atténuer ce sentiment malgré l’esthétique réellement
novatrice du film. Coup de cœur est ainsi un film très touchant mais imparfait, où Coppola s’est par instants perdu dans son impressionnante machinerie.
Le public sera d’ailleurs tout aussi décontenancé face à ce spectacle
singulier, et après un tournage une nouvelle fois compliqué le film sera
un échec retentissant précédé par une désastreuse campagne de presse. Michael Cimino avait clos l’hégémonie des réalisateurs avec l’échec de La Porte du Paradis (1980) et Coppola
fut pendant un court instant en position de reconquérir ce pouvoir. Il
n’en fut rien, ce qui sonnera le glas des rêves de grandeur d’American
Zoetrope qui fermera une fois de plus ses portes tandis que Coppola passera comme il le dira sa quarantaine à rembourser les pertes de Coup de cœur.
Reste un beau livre d’images, souvent poignant et toujours éblouissant,
qui sera le dernier et définitif vestige du Nouvel Hollywood.
Sorti en dvd zone 2 français chez Pathé
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