vendredi 23 décembre 2016
La Maîtresse de fer - The Iron Mistress, Gordon Douglas (1952)
En Louisiane, en 1825. Jim Bowie n'est encore qu'un simple bûcheron qui exploite une scierie en compagnie de sa mère et de ses deux frères. Son habileté à lancer le couteau lui permet un jour de gagner une compétition, dont l'enjeu, considérable pour lui, est un voyage à La Nouvelle-Orléans. C'est alors qu'il s'éprend d'une jeune aristocrate, aussi égoïste que frivole, la séduisante Joséphine de Borney, qu'il entreprend de conquérir. Mais la belle est très courtisée. Jim tente de faire fortune par tous les moyens tout en affrontant ses rivaux, dont un politicien sans scrupules, Jean Moréno, et un duelliste frénétique, Henry Contrecourt...
The Iron Mistress est une biographie romancée de Jim Bowie, futur héros de la Bataille de Fort Alamo et resté célèbre pour sa dextérité légendaire au couteau, son arme favorite. Le film adapte le roman éponyme de Paul Wellman paru en 1951 et sera le premier d'Alan Ladd à la Warner après une décennie dans le giron de Paramount. Warner achète les droits du livre en pensant confier le rôle à Errol Flynn mais Alan Ladd qui en a lu les épreuves avant parution exprime son intérêt et aura gain de cause pour ce qui sera le premier film de sa fructueuse collaboration avec le réalisateur Gordon Douglas - suivront Le Tigre du ciel (1955), Santiago (1956) et Les Loups dans la vallée (1957). Dans une veine purement romanesque, c'est une femme qui éveillera l'instinct violent et aventurier d'un Jim Bowie délesté de ses aspect les plus douteux avec le passage au cinéma - il aurait notamment fait fortune au départ par la contrebande d'esclaves alors que le Congrès avait interdit les traites négrières aux Etats-Unis.
L'aspect rustre du personnage est montré sous un jour plutôt bon enfant au départ avec une bagarre où il dispute à ses frères le voyage à La Nouvelle-Orléans pour vendre leur bois. Sur place il tombe amoureux (par une belle idée puisqu'il découvre son visage dans un tableau inachevé) de la South Belle Judalon de Bornay (Virginia Mayo), riche héritière séductrice et orgueilleuse. Bowie qui n'avait jamais quitté son bayou fait la découverte à travers elle de son statut "d'inférieur". Judalon n'aime rien moins que soumettre les hommes puissants, profiter d'eux et les inciter à se déchirer pour elle. Le scénario n'en fait pas pour autant une femme fatale (malgré l'érotisme certain que dégage sa première apparition où elle essaye une robe) mais plutôt une opportuniste pensant à son bien-être quitte à renier ses sentiments. La notion de classe et le sens de l'honneur tout européen se transpose de manière violente et exacerbée dans la cosmopolite Nouvelle-Orléans, laissant douloureusement Bowie comprendre ses codes. Le duel constitue ainsi un prétexte aisé pur se débarrasser d'un rival amoureux ou d'affaire. Notre héros apparait au départ comme un être paisible et pacifiste (superbe scène où il désamorce avec humour le duel avec Narcisse de Bornay).
Mu par la volonté de réussir pour se montrer digne de Judalon, Bowie s'élève ainsi par sa férocité aux affaires et au combat, une violence contenue dans son poignard surnommé la "maîtresse de fer" et dont la fabrication prend des contours presque mythologique sous le regard de Gordon Douglas. Le réalisateur filme avec brio cette aristocratie sudiste luxuriante, sa caméra s'élevant et se faufilant dans les environnements fastueux des bals, champs de course et bateaux rutilants. Sous cet apparat, les tensions et jalousies se contiennent pour exploser dans les cadres plus populaires et neutres. Bowie, sauvageon défiant l'ordre établi devra à chaque fois répondre de sa réussite financière et possiblement amoureuse par un duel aux conséquences dramatiques. Ces moments forts sont filmés avec une virtuosité extraordinaire par Gordon Douglas tel cet incroyable combat dans une pièce obscure dont les éclairs de la foudre constituent la seule lumière - photo fabuleuse de John F. Seitz. Le découpage, les jeux d'ombres, les mouvements de caméra et la hargne des combattants font de cette scène un morceau de bravoure stupéfiant.
Gordon Douglas désamorce pourtant cette beauté romantique du duel (exprimée telle quel par un des protagonistes les plus belliqueux et à l'image par des idées formelles magnifique ave ce duel dans la brume matinale qui préfigure Les Duellistes (1977) de Ridley Scott) pour rejouer ces instants de manières toujours plus sèches, violente et douloureuse à chaque nouveau combat. Le film surprend vraiment par sa brutalité et sa noirceur où s’accumulent les morts sanglantes tout au long du récit. Bowie se perd en pensant gagner le cœur de celle qu'il aime à la force de son poignard, la maîtresse de fer étant autant cette arme que la manipulatrice Judalon. Virginia Mayo radieuse et élégante incarne à la perfection ce mirage du paradis sudiste où se joue constamment l'assujettissement et le profit (physique comme pécuniaire) de l'autre.
La réussite de Bowie est ainsi viciée dès le départ car vouée à une cause perdue, toute la témérité du personnage s'avérant au final un signe de faiblesse. Ce n'est que lorsqu'il sera involontairement extérieur à la joute qui conclut le film (et toujours causée par Judalon) qu'il sera libéré de cette emprise. Le Sud terreau des inégalités de l'ancien monde peut donc être abandonné pour le Texas où l'attend une vie plus paisible et un amour plus sincère. Même si l'on sait que cela tournera court avec la vraie destinée de Jim Bowie (Fort Alamo donc), c'est une belle rédemption pour le personnage à l'écran et que Gordon Douglas magnifie par une absolument somptueuse scène de mariage. Très belle découverte !
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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