La politique du ministère de l'information dans sa volonté de galvaniser
le peuple anglais durant la Deuxième Guerre Mondiale fit le plus
souvent opter la production cinématographique dans une veine réaliste.
On oscille ainsi entre le style documentaire de films de guerre comme Ceux qui servent en mer de David Lean (1942) ou L'Héroïque parade de Carol Reed (1944) et la veine réaliste de mélodrames capturant la vaillance du peuple anglais durant le conflit tel que Ceux de chez nous
de Sidney Gilliat (1943). Il existe pourtant quelques films empruntant
une voie différente pour ce cinéma de propagande à travers un cinéma
fantastique où l'argument surnaturelle sert le message par la métaphore.
Cela donnera quelques beaux ovnis comme Thunder Rock des frères Boulting (1942) - où des fantômes inciteront un reclus à s'engager dans le conflit - et donc ce They came to a City produit par le studio Ealing encore aventureux et pas formaté à la comédie.
Le
film adapte la pièce éponyme de J. B. Priestley qui apparait d'ailleurs
en personne dans le prologue et l'épilogue et hormis les stars John
Clements et Googie Withers conservent l'ensemble du casting scénique.
L'intrigue voit un groupe de neuf personnages d'horizon différents
transposés sans explication dans une cité mystérieuse. Les protagonistes
constituent à la fois des archétypes sociaux et idéologiques dont
l'introduction et le récit maintient ou fait transcender ce cliché
initial. On trouve donc là un l'ouvrier John Dinmore (John Clements),
l'hôtesse de bar Alice Foster (Googie Withers), les époux Malcolm et
Dorothy Stritton (Raymond Huntley et Renee Gadd), l'homme d'affaire
Cudworth (Norman Shelley), la vieille fille Philippa et sa mère (Frances
Rowe et Mabel Thery), le bourgeois joueur de golf George Gedney (A. E.
Matthews) et enfin la femme de ménage usée Mrs Batley (Ada Reeve).
La
mise en place mystérieuse introduit donc dans des situations ironisant,
questionnant ou suscitant l'émotion quand à leur situation avant que des
ténèbres étouffante les happent vers ce lieu étrange. La direction
artistique de Michael Relph (futur collaborateur essentiel de Basil
Dearden) offre une sorte de continuité au matériau théâtral avec cet
immense rempart dépouillé où échouent les personnages. L'austérité sert
ainsi une disposition scénique qui sert les joutes verbales mais la
photo vaporeuse de Stanley Pavey et les fulgurances grandiloquente de
Dearden donne à l'ensemble la dimension stylisée d'un véritable espace
mental.
L'épure du cadre fait d'autant plus ressortir le
caractère des personnages et les sentiments que leur inspirent les
lieux. Pour la vieille fille Philippa et l'hôtesse Alice, c'est
l'endroit de tous les possibles leur faisant échapper à leur morne
quotidien : celui des jobs et ville interchangeables d'un labeur sans
but pour Alice, et d'une mort lente dans l'ennui de la vie recluse que
lui impose sa mère pour Philippa. L'égoïsme des nantis traduit un
capitalisme aveugle chez Cudworth ou la si importante notion de lutte
des classes de la société anglaise pour le jouer de golf et la mère de
Philippa. Enfin la dépression et le dégout ordinaire de l'autre se
ressent dans l'anxiété de Dorothy Stritton quand c'est un vrai bol d'air
pour son époux.
Les personnages se trouvent en fait dans l'antichambre
d'une cité qui sera le reflet de leur psyché telle qu'on nous l'a
présenté. John Dinmore, ouvrier enragé contre les nantis y voit un
espace d'entraide et d'égalité. La femme de ménage à bout de force y
trouve elle lieu où elle pourra enfin se reposer et Alice ce foyer
qu'elle n'a jamais pu trouver dans le monde réel. D'autres rejetteront
cette cité jurant avec leur vision étriquée dans l'individualisme
social, capitaliste et hédoniste mais ciblant spécifiquement les mœurs
anglaises. La question initiale de l'introduction du film était de
savoir si durant l'après-guerre le peuple serait enclin à tout changer
en tirant parti des erreurs passé ou de poursuivre l'ancien monde. Le
patchwork de personnages donne différentes réponses à cette
interrogation.
La fameuse cité provoquant l'épiphanie ou le
dégout des uns et des autres restera invisible, l'opinion du spectateur
se faisant à travers la réaction des personnages. C'est la grande idée
du film qui laisse la représentation et l'idéologie possible à la seule
interprétation du spectateur. Plus que le communisme auquel on pourrait
penser c'est surtout l'humanisme qui prédomine (y compris chez certains
qui choisiront de ne pas rester dans la cité) dans une volonté de
s'imprégner, de diffuser ou de fuir cette bienveillance utopique. Le
film devient ainsi plus proche de certaines fable de Michael Powell et
Emeric Pressburger comme Une question de vie et de mort (1946), ou de certaines tentatives américaines mystiques
comme Horizon perdus de Frank Capra, Le Fil du rasoir d'Edmund Goulding ou Le Secret Magnifique de Douglas Sirk (1954). Un vrai ovni et certainement le film le plus étrange de Basil Dearden.
Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez BFI et doté de sous-titres anglais
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