Anarene, petite ville
perdue du Texas de l'Amérique profonde du début des années 1950. Deux
adolescents, Sonny (Timothy Bottoms) et Duane (Jeff Bridges), découvrent la
vie, le cinéma, le football américain, les filles, les petits boulots, l'ennui,
etc. sur fond de musiques d'époque.
La nostalgie est un des thèmes récurrents de l’œuvre de
Peter Bogdanovich. Elle s’inscrit dans son bagage d’historien cinéphile à
travers les travaux, entretiens et amitiés noués avec plusieurs grands
réalisateurs de l’âge d’or Hollywoodien (Alfred Hitchcock, Howard Hawks, John
Ford…). Dans ses films, cette nostalgie peut s’exprimer dans une même veine
cinéphile en revisitant un genre emblématique (la screwball comedy On s’fait la valise docteur ?
(1972), la comédie musicale Enfin l’amour
(1975)), mais aussi dans le fantasme du passé dans les nombreuses œuvres « rétro »
de sa filmographie (La Barbe à papa
(1972), Daisy Miller (1974), Nickelodeon (1976). Ce regard en arrière
ne relève pas de la seule fascination et n’exclut pas la noirceur (le contexte
de la Grande Dépression de La Barbe à
papa). Cette approche correspond en tout point à l’œuvre littéraire de Larry
McMurtry où la célébration d’un monde révolu se conjugue à la description de sa
chute et de ses pans les plus sombres. C’est le cas dans le roman Horseman, Pass By et son adaptation par
Martin Ritt, Le Plus sauvage d’entre tous
(1963). On le voit également sur la série d’ouvrages Lonesome Dove et le
feuilleton télévisé qui en fut tiré, et il y en eu une belle démonstration plus
récente avec le scénario qu’il écrivit pour Le
Secret de Brockeback Moutain.
C’est sur les conseils de son ami acteur Sal Mineo que Peter
Bogdanovich prend connaissance de The
Last Picture Show, roman de Larry McMurtry paru en 1966. S’il est déjà une
sommité critique (et a une petite expérience d’acteur) la carrière de cinéaste
de Bodganovich se résume à deux œuvres de genres modeste avec La Cible (1968) et Voyage to the Planet of Prehistoric Women (1968). Le questionnement
est donc immense pour lui quant à la manière d’adapter cette chronique texane,
avec d’abord le choix radical d’un tournage en noir et blanc (après une
discussion avec Orson Welles, autre de ses mentors) ainsi que celui d’un
casting d’inconnus. L’histoire dépeint au début des années 50 le quotidien d’un
groupe de personnages à Anarene, ville perdue du Texas. Bodganovich s’attache
dans à premier temps à montrer sous un jour bienveillant cet environnement
morne par le biais de la jeunesse.
L’ennui ordinaire se surmonte par la
camaraderie où même le jeune simple d’esprit Billy (Sam Bottoms) est intégré au
groupe que forment notamment Sonny (Tim Bottoms) et Duane (Jeff Bridges). La
sinistrose se propage jusqu’à la faible équipe de football lycéenne locale et est
source de railleries – même si l’on ressent la déception de ne même pas pouvoir
se raccrocher à ça – mais les rituels quotidiens permettent tout surmonter. Ils
s’incarnent par des lieux et des figures bienveillantes qui font office de
socle sociaux. La salle de billard ouverte à toute heure est tenue par la
présence tutélaire de Sam « the lion » (Ben Johnson), le snack aux
horaires tout aussi élastiques bénéficie de l’accueil gouailleur de Genevieve (Eileen
Brennan) et le cinéma où voir les dernières sorties (et flirter joyeusement)
voit la douce Miss Mosey faire office d’ouvreuse.
Chacun de ces mentors a en quelques sorte réussi à surmonter
ses espoirs déçus dans son activité où ils sont aux premières loges pour
observer, anticiper et apaiser les soubresauts de la communauté. C’est
particulièrement vrai pour Sam, Ben Johnson dégageant la présence paternelle
qui manque à ces jeunes gens (dans le reproche comme le pardon avec la sobre et
magnifique scène o il retrouve Sonny au snack) mais aussi l’histoire ancestrale
de la région dans une dimension interne au récit et extra diégétique par son
passif filmique (ses rôles dans la trilogie de la cavalerie chez John Ford
notamment). Ces lieux semblent moins déprimant par sa seule présence quand il
en raconte la genèse lors de la partie de pêche, la caméra de Bodganovich
alternant le somptueux paysage avec le visage minéral de Sam et entrecroisant le
récit des bouleversements géographiques avec ceux, intimes du personnage qui se
laisse aller à la confidence sur un amour perdu. La dernière apparition du
personnage, par sa nature sobre et touchante, est l’ultime expression d’un
paradis perdu avant que tous les maux étouffés de la communauté éclatent peu à
peu.
La Dernière séance
est l’illustration des espoirs déçus des
adultes et de celles inaccessibles des enfants. Les deux constituent parfois un
éternel recommencement avec la belle Lois (Ellen Burstyn) ayant choisi la
réussite social plutôt que le vrai amour de sa vie et végète désormais entre
ennui, alcool et amants. Sa fille Jacy (Cybill Shepherd dans son premier rôle)
semble prendre le même chemin, mettant sa beauté au service du seul paraître,
qu’il soit viril avec Duane, social quand elle se rend à une fête dénudée de
jeunes gens nantis. L’actrice par sa minauderie virginale de façade révèle un
envers plus sombre et provocant qui s’il prête à des scènes diablement
sensuelle s’exprime par ailleurs de façon beaucoup plus dramatique – le fils de
pasteur aux penchants pédophile.
La relation physique qu’elle aura avec l’amant
(Clu Gulager) de sa mère conjugue ainsi érotisme et culpabilité et est à mettre
en parallèle avec la liaison plus sincère de Sonny avec Ruth (Cloris Leachman),
femme marié. D’un côté une étreinte faisant office de trophée filmée avec une
préciosité factice (quand les tentatives avec Duane soulignent le seul aspect
gauche) et de l’autre des solitudes domestiques et existentielles capturée avec
une vraie tendresse par Bogdanovich. Le premier baiser gauche un soir de noël,
les larmes de Ruth d’éprouver à nouveau le contact charnel et tendresse simple
de leur scènes communes, tout cela façonne la seule relation apaisée du film - pour
un temps.
Pour les plus jeunes le rêve se limite à une présence et/ou
un statut (Jacy pour Duane qui ne peut l’oublier) et chez les adultes à un
regret des occasions manquées. La résignation cynique de Lois a pour miroir le
désespoir de Ruth, Jacy qu’on imagine aussi délurée et superficielle à l’issue
du film renvoie quant à elle à l’âme éteinte de Sonny bien conscient qu’il a
tout perdu et gâché. Le noir et blanc de la photo de Robert Surtees paraissait
au départ capturer un paradis perdu, le fondu enchaîné funèbre final semble au
contraire éclairer un mausolée : celui des occasions manquées, des espoirs
déçus et des illusions brisées.
Le film eut le même impact dans la vie
personnelle de Peter Bogdanovich. Le succès public et critique changea son
statut, et sa romance avec Cybill Shepherd fit voler en éclat son couple avec Polly
Platt (collaboratrice fidèle qui repéra d’ailleurs celle qui allait lui prendre
son époux). La Dernière séance demeure un des étendards du Nouvel Hollywood et
sans doute la plus grande réussite de son auteur.
Sorti en bluray et vd zone 2 français chez Carlotta
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