Employé d'une agence
de voyages à Paris, Jean-Arthur Bonaventure et son collègue « Gros-Nono »
Dupoirier échafaudent un projet inattendu de séjour touristique : « Robinson,
démerde toi – 3000 F, rien compris », c'est-à-dire l'occasion pour chaque
client de revivre sur une île déserte l'expérience de Robinson Crusoé. La
direction est enthousiaste et très vite, Jean-Arthur accompagné de « Petit-Nono
», le frère de Gros-Nono, s’envolent pour les Antilles afin de préparer
l’arrivée des premiers vacanciers. Le voyage, guère organisé, tourne bientôt à
la déconfiture...
Après un nouveau long hiatus cinématographique (Du côté d'Orouët certes sorti en salle
en 1973 fut en fait tourné en 1969) Jacques Rozier voit l’opportunité de signer
son troisième long-métrage lorsque Claude Berri lui propose de le produire s’il
tourne avec Pierre Richard. La présence de ce dernier (nouvelle superstar
comique française depuis le succès de Le
Grand Blond avec une chaussure noire (1972)) ne modifie guère la
méthodologie spontanée si chère à Rozier. Les
Naufragés de l’île de la Tortue emprunte la structure d’Adieu Philippine (1962) et Du côté d'Orouët avec son point de
départ parisien joyeux et confus dont découle, le départ, le dépaysement et l’odyssée
intime vers des contrées sauvages, désolées (et mentales). Seulement Les Naufragés de l'île de la Tortue
radicalise cela avec un Pierre Richard constituant un véritable double de
Jacques Rozier.
Un mensonge hasardeux de Jean-Arthur Bonaventure (Pierre
Richard) à sa compagne débouche ainsi sur des rencontres et situations qui vont
le mener aux antipodes de son modeste job d’employé d’agence de voyage. La
scène d’ouverture résume finalement bien la chose, lorsque Bonaventure déroule
machinalement à un client les modalités des croisières disponibles et que ce
dernier témoigne d’envies plus simples, moins programmatiques. Ce besoin de
sortir des clous, d’échapper à la routine, à l’organisation, est emblématique
de l’approche de Rozier qui le figure dans l’idéal de son héros. Le film est
une sorte d’anti Les Bronzés,
portrait juste et satirique d’une société française dans le nouveau cadre
vacancier normé du Club Med, à l’orée des matérialistes années 80. Jacques
Rozier s’inscrit lui dans le sillon plus hippie et libertaire des seventies mais
qui se confronte au fil du récit à la mentalité de la décennie suivante. Les
participants à l’expédition sont ainsi imprégnés de cet esprit libertaire mais
dans l’adversité retrouve la petitesse et l’appel du confort des Bronzés.
Le réalisateur oscille entre filmage à hauteur des
personnages et majesté somptueuse, les cadres et la photo scrutant les paysages
dans un savant mélange d’ébahissement et d’inquiétude face à cet inconnu.
Rozier se joue magnifiquement d’un aléas de production (Pierre Richard forcé de
partir avant la fin du tournage pour aller sur son projet suivant) pour
poursuivre cette veine improvisée dans un rebondissement (Bonaventure en
prison) et une forme narrative différente, avec le journal en voix-off de Julie
de la dernière partie. Le film sera malheureusement un échec commercial mais l’auteur
nous offre là un de ses plus beaux voyages.
Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
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