Smooth Talk est un coming of age trouble explorant l'adolescente Connie en pleine découverte et expérimentation de sa féminité, de son pouvoir d'attraction sur les hommes. La réalisatrice Joyce Chopra déploie toute une imagerie presque cliché de teen movie dans les situations et les environnements du film : petite ville provinciale pavillonnaire, le "mall" comme centre névralgique d'attraction des jeunes filles y jouant les "femmes" en aguichant la gent masculine et lorgnant les boutiques de luxe, atmosphère estivale et crépusculaire appelant à la transgression et à la découverte. Laura Dern exprime toute une dualité entre attrait et peur de l'interdit, tout d'abord physiquement avec ce visage poupin, ses moues boudeuses de l'enfant qu'elle est encore s'opposant aux courbes langoureuses et à l'attitude provocante de la femme qu'elle croit être. La séduction demeure un jeu innocent et collectif où chaque audace se termine par une crise de rires avec ses copines, l'effronterie restant toujours sans conséquences. L'excitation et le danger se déploie progressivement, en faisant progressivement éclater le trio d'adolescentes, en basculant des journées ensoleillées et rassurante à la nuit, en passant du centre commercial au bar où se réunissent les jeunes adultes de la ville. La belle assurance s'estompe et ramène Connie à son statut de petite fille apeurée (le retour nocturne et solitaire sur une route déserte la montrant effrayée comme une héroïne de conte) et l'expose aux rencontres où elle va explorer tout un spectre de figures masculines, la confrontant à son hésitation entre innocence et transgression. Au garçon tout aussi timide et innocent avec lequel elle n'échangera qu'un baiser répond un autre bien plus entreprenant le temps d'une scène sensuelle où Connie hésite entre soumission et peur face à l'éveil de son propre désir.Malgré cette sensualité trouble, le film reste en surface et exprime même une patine faussement culpabilisante qui, à travers les avertissements des adultes, le rapproche des mélodrames américains à la transgression ambiguë des années 50/60 comme La Fièvre dans le sang (1960) ou les films adolescents de Delmer Daves (Susan Slade (1961), La Soif de la jeunesse (1961)). L'univers fantasmatique de Connie (les photos de James Dean dans sa chambre) se rapproche grandement de cette période, tout comme l'expression de l'incommunicabilité entre Connie et ses parents. Sur ce dernier point il y une hésitation entre les rapports parents/enfants plus rudes et libérés correspondant aux années 80 du film, et quelque chose de plus contenu, secret, rappelant là plutôt l'incompréhension des années 50 où émerge la culture adolescente et la vraie prise en compte de celle-ci. Toutes ces contradictions se ressentent dans la relation conflictuelle entre Connie et sa mère (excellent et juste Mary Kay Place), ainsi que la jalousie de Connie envers sa sœur aînée, la plus sage June (Elizabeth Berridge) représentant justement une figure idéale passée et en surface de l'adolescente. Tout ce sentiment d'attente et d'entre-deux nous prépare ainsi à une stupéfiante dernière partie et l'arrivée du véritable prédateur, le viril, séduisant et menaçant Arnold Friend (Treat Williams). Durant une vingtaine de minutes absolument virtuose, ce dernier se fait le tourmenteur, le tentateur, la menace masculine omnisciente pour Connie progressivement brisée psychologiquement par Arnold Friend. Joyce Chopra joue de la réminiscence avec de précédentes scènes où on le devinait épier Connie de l'extérieur dans le bar à son insu. Le climax inverse cela en acculant progressivement Connie seule chez elle et écrasée par le regard concupiscent et carnassier que Arnold Friend pose sur son corps. La grande force de la scène est d'exprimer la menace sans violente physique ou verbale explicite, Friend par l'affirmation de l'évidence selon laquelle Connie lui appartient corps et âme finit par briser celle-ci par le verbe, les regards insistants et la présence animale. Treat Williams est absolument stupéfiant et le dispositif trahit peu à peu l'ambivalence de Connie telle que démontrée depuis le début. La porte vitrée entre Friend et Connie les sépare tout en illustrant une proximité symbole du désir et de la peur de notre héroïne. L'atmosphère de la scène est aussi inquiétante que sensuelle, et le langage corporel de Connie exprime autant une attirance étouffée qu'une peur sincère, comme une jeune fille peut en ressentir avant une première fois. Dès lors la réalité de la scène peut être questionnée, réelle agression ou projection fantasmée et coupable de Connie ? L'aura surnaturelle de Arnold Friend autorise les deux interprétations, d'autant que le fameux instant transgressif restera hors-champs pour nous perturber davantage. Le film est adapté de la nouvelle Where Are You Going, Where Have You Been? de Joyce Carol Oates et effectivement on retrouve tout le l'étrangeté et le mystère que l'autrice est capable d'inscrire dans des environnements familiers et les portraits féminins. Il y quelque chose de lynchien aussi dans la manière de montrer l'envers matériel et psychique sombre d'une imagerie americana au centre de Blue Velvet (1986) où la candeur de Laura Dern servira encore, mais aussi de Fire Walk with où la transgression débouche sur le cauchemar qui n'est que suggéré dans Smooth Talk, ou alors n'y représente qu'une étape marquante (dont on peut se relever) plutôt que la fin de tout chez Lynch. Sous ses faux contours de teen movie, une vraie pépite sujette à interprétations !
Sorti en bluray anglais chez Criterion et doté de sous-titres anglais
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