Kansas. 1928. Le fils
d’un pétrolier, Bud Stamper, est passionnément amoureux de Deanie Loomis, une
jeune fille d’une famille assez pauvre. Sa mère recommande à celle-ci de rester
pure et lui parle du devoir conjugal comme d’une épreuve douloureuse qui fait
partie de la destinée malheureuse des femmes. Dans le même temps, Ace Stamper,
un fonceur obstiné n’écoutant jamais aucun conseil, oblige son fils qui veut
devenir éleveur à faire ses quatre années d’études à l’Université de Yale avant
d’épouser Deanie.
Le milieu des années 50 voit le mélodrame hollywoodien
prendre des directions surprenantes, plus provocantes dans les sujets abordés.
Il s’agit notamment d’écorner le vernis idéalisé de la société américaine d’alors
et cela passera par une vision trouble de la jeunesse. La Fureur de vivre de Nicholas Ray (1955) introduit cette thématique
du mal-être adolescent, tant existentiel que reposant sur la frustration
sexuelle. La série de grands mélodrames juvéniles de Delmer Daves (A Summer Place (1959), Parrish (1961, Susan Slade (1961) et Rome Adventure (1962)) avait creusé un peu plus ce sillon dans lequel vient s’inscrire
La Fièvre dans le sang. Le film est
un scénario original du dramaturge William Inge dont cette jeunesse troublée
est un des thèmes de prédilection comme on a pu le constater certaines sur adaptations
de ses pièces comme Picnic et Bus Stop de Joshua Logan (1955, 1956).
Ce qui intéresse Elia Kazan ici, c’est avant tout la dimension psychanalytique
et la manière dont l’environnement americana s’avère oppressant pour les jeunes
gens.
La scène d’ouverture donne le ton des contradictions qui
agitent les personnages. Bud (Warren Betty) et Deannie (Natalie Wood) flirtent
tendrement en voiture, un décor de cascade offrant un superbe arrière-plan
romantique. Bud se montre plus insistant dans ses baisers, encouragé par la
posture offerte et le ton tendre de Deannie, mais cette dernière finit par le
repousser sous le prétexte « qu’ils ne devraient pas » aller plus
loin. Le rapport charnel se refuse non par une absence de désir d’un des deux
amoureux, mais par une forme d’épée de Damoclès morale qui pèse sur eux et les
freine dans leurs élans. Le cadre familial de chacun illustre cette frustration
commune par un déterminisme à la fois social et de genre.
Face à cette
agitation intime, Bud ne rencontre que la lourdeur d’une connivence masculine
machiste chez son père (qui lui recommande de soulager sa frustration auprès de
filles plus « faciles) pour qui il n’est qu’une marionnette à ses
ambitions financières. Deannie rencontre également un mur auprès de sa mère pour
qui le désir est une source de perdition, l’acte n’étant qu’un sacrifice de la
femme pour satisfaire son époux et faire des enfants. Plus tard l’institution s’avéra
tout aussi incapable lorsque Bud tentera de se confier au médecin local. Ce
monde est binaire, la complexité des sentiments et du désir n’a pas sa place
face à une bienpensance qui vous juge constamment – la rumeur médisante de l’espace
du lycée, les regards curieux des voisins forme le tout médisant et inquisiteur
de la foule.
Elia Kazan rend quasiment physiologique cette dichotomie
pour les personnages, jusqu’à la rupture. En début de film, après son
rendez-vous frustrant avec Bud, Deannie se love de manière lascive sur le sofa
avant d’être surprise par sa mère. Cela se poursuit tout au long du récit, l’émotion
à vif explosant de manière intense, parfois bouleversante et d’autres sans
doute un peu lourdement psychologisantes (la crise dans la salle de bain) et
hystérique. Le talent de Natalie Wood fait cependant la différence quand cela
semble trop appuyé dans les attitudes maniérées de Warren Beatty cherchant ses
marques pour son premier rôle au cinéma. En dépit de ses maladresses, Kazan
façonne un coming of age douloureux
et charnel qui sait exploiter la zone grise qu’autorise un Code Hays moins
restrictif. C’est le cas notamment avec le personnage de Ginny (Barbara Loden
compagne d’Elia Kazan) brisée dans ses élans de liberté et son besoin d’affection
(dont une scène où elle fait écho à la Natalie Wood de La Fureur de vivre justement lors d’une réaction brutale de son
père à une marque de tendresse) qui la pousse également vers un même excès et
des situations scandaleuses.
Ne reste que la nostalgie de ce qui fut et de ce qui aurait
pu être dans la magnifique dernière entrevue entre Bud et Deannie, où les vers
du poème William Wordsworth Splendour in
the grass prennent tout leur sens : « Though nothing can bring back the
hour Of splendour in the grass, of glory in the flower ; We will grieve not,
rather find Strength in what remains behind ».
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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