Perdu dans la foule de
Tokyo, un homme a rendez-vous avec Mahiro, sa fille de douze ans qu’il n’a pas
vu depuis des années. La rencontre est d’abord froide, mais ils arrivent à
discuter et promettent de se retrouver. Mais ce que Mahiro ne sait pas, c’est que
son “père” est en réalité un acteur de la société Family Romance, engagé par sa
mère.
Dans son roman biographique Tokyo Vice – narrant son expérience de journaliste occidental à la
rubrique faits divers d’un grand quotidien japonais -, Jake Adelstein nous
gratifiait lors d’un chapitre d’une anecdote singulière. Enquêtant sur une
affaire de disparation, Adelstein retrouve le cadavre de la victime dont il va
identifier la cause du décès grâce à son sens de l’observation et ses lectures
curieuses. Loin d’être criminelle, la mort de la victime obéissait par sa
posture morbide et étudiée aux préceptes du Manuel pour réussir son suicide, ouvrage réellement disponible dans
les librairies japonaises. Pourquoi cet aparté ? Il s’agit de mettre en
exergue une facette fascinante de la culture japonaise où la moindre fêlure,
les maux les plus douloureux et intimes, disposent d’un guide, d’un service ou
d’une solution froidement méthodique et méticuleuse.
Werner Herzog s’engouffre dans cette faille dans son dernier
film Family Romance LLC. Ce titre
désigne une vraie entreprise japonaise spécialisée dans la location d’acteurs
pour satisfaire des besoins émotionnels divers et variés des clients. Herzog,
habitué tant dans ses fictions (les collaborations houleuses avec Klaus Kinski
où la tension à l’écran n’est pas que jouée) que ses documentaires (le
déroutant Grizzly Man (2005)) à jouer
des frontières entre réel et affabulation et va poursuivre cette méthode dans Family Romance. Le film est une pure
fiction scénarisée qui suit les différentes missions d’un acteur de la société
Family Romance, sauf que ce dernier (Yuichi Ishii) exerce vraiment cette
profession dans la réalité. Si Herzog admet qu’une séquence relève de la pure
invention (celle du funérarium), tout le reste du film entretient une ambiguïté
certaine quant à l’inspiration possible de vrais cas traité par la compagnie –
renforcés par l’image vidéo et l’usage d’acteur non-professionnels.
Chaque situation est donc l’occasion d’observer des quidams
tenter de guérir leurs maux par ce baume artificiel. La franche comédie s’invite
sur certains tropisme typiquement japonais (Yuichi endossant la faute d’un
salaryman et encaissant la retentissante engueulade à sa place), voire la
satire capturant un narcissisme plus actuel avec cette jeune femme engageant la
troupe pour simuler l’affairement de paparazzi autour d’elle. C’est cependant
quand il observe mal-être plus existentiel et questionne moralement (tant dans
la véracité des faits que la frontière fiction/réel déjà évoquée) que le film
captive. Un désespoir plus latent s’exprime ainsi en faisant revivre un de ses
rares moments de bonheur à une clientes. Le sourire crispé sur ce visage marqué
par les vicissitudes de l’existence affirme ainsi le seul bonheur possible dans
le simulacre, sans que l’on n’y trouve à redire face à la sinistrose du réel.
Le fil rouge du film repose sur la prestation de Yuichi se faisant passer pour
le père de l’adolescente Mahiro qui ne l’a jamais connu.
Le simulacre éphémère et voulu par des adultes laisse place
à une manipulation de plus discutable. Les névroses des adultes (en l’occurrence
la mère de Mahiro) débouchent sur une volonté de contrôle inquiétante dont est
victime la jeune fille dont les réactions sont l’objet de comptes rendus
détaillés. Herzog en faisant entrer une innocente dans la danse parvient
pourtant à développer un écrin intime qui dépasse la prestation. La réalisation
oscillant constamment entre hauteur existentielle et/ou ironique, entre « mise
en scène » et dispositif documentaire, crée une vraie zone grise lors des
séquences père/fille. La confiance progressive et la simplicité des moments
partagés traduisent un réel tant dans le monde qui les entoure (la fillette
métisse victime de racisme) que dans l’intimité qui se dégage des échanges à
fleur de peau de Yuichi et sa fille.
L’acteur jusque-là brillant professionnel
trahit un engagement plus personnel qu’on devine par les informations qu’il
escamote dans les révélations à la mère. Dans tout son cynique postulat, le
simulacre s’avère plus équilibrant que le réel et ce pour la figure la plus
vulnérable du récit. C’est par ce constat que Herzog s’éloigne du regard
moqueur et/ou inquisiteur dont on aurait pu l’accuser envers les japonais, pour
endosser une même zone grise dans son approche. Herzog interroge la notion de
réel mais ne juge pas l’interprétation que peuvent en avoir les clients de
Family Romance, représentant chacun autant de possibilités complexes. Triste ou
nécessaire dans le monde qui nous entoure, c’est bien là que repose le
questionnement de Werner Herzog quant à l’existence d’une telle entité.
Découvert à L'Etrange Festival
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