Juste erre dans Paris
à la recherche de personnes qu’il est seul à voir. Il recueille leur dernier
souvenir avant de les faire passer dans l’autre monde. Un jour, une jeune
femme, Agathe, le reconnaît. Elle est vivante, lui est un fantôme. Comment
pourront-ils s’aimer, saisir cette deuxième chance ?
Parmi les remerciements de Stéphane Batut dans le générique
de fin de son premier film Vif-Argent,
on trouve Georges Franju et George du Maurier. Le premier fut l’un de ceux qui
parvint à inscrire dans un contexte français une approche moderne du
fantastique tandis que le second a vu l’adaptation d’un de ses romans s’imposer au panthéon du romanesque gothique hollywoodien avec Peter Ibbetson de Henry Hathaway (1935). Stéphane Batut réitère la
prouesse de l’un et capture la magie de l’autre par une approche à la fois
moderne et traditionnelle de la romance surnaturelle à travers sa vision de l’au-delà.
Juste (Thimotée Robart) est un jeune homme qui identifie les
âmes invisibles, amnésiques et errantes pour les aider à accéder à l’au-delà.
Nous sommes happés par le contexte urbain réaliste où s’immisce l’étrange à
travers le regard de Juste traquant les égarés. Dès lors la présence apaisée du
personnage rassure ses interlocuteurs qui lui confient une anecdote intime,
souvent rattachée à un lieu et souvenir qui leur permettra de quitter la
réalité des vivants. Le réalisateur manie un onirisme intimiste où la vérité palpable
et touchante de la confidence se marie à l’étrangeté des environnements où le
plus austère (le sous-bois du premier départ) côtoie le grandiloquent (le décor
montagnard du second départ), ces bascules formelles se pliant à la
personnalité des concernés.
Stéphane Batut s’inspire de son premier métier de
directeur de casting où il était amené à recueillir les histoires des
candidats. Cette approche rappelle Afterlife de Hirozaku Kore-eda (1998) où la reconstitution du souvenir était un
moyen de se délester de sa vie passée pour les disparus. Ce rappel est ici spirituel avec une réalité qui s’estompe dès que Juste ferme les yeux pour se
plonger dans l’espace mental des défunts. Notre héros de par sa mission et du fait qu’il ait refusé la
mise à nu qui l’aurait fait « partir », est un être coincé entre le
monde des vivants et des morts. Ce souvenir qu’il a refusé d’appeler va à l’inverse
venir à lui avec Agathe (Judith Chemla) qui reconnaît en lui une passion
inassouvie de sa jeunesse.
Quand cette mémoire est fuie pour ne pas disparaître
dans l’inconnu pour Juste, elle n’a jamais cessé d’exister pour Agathe pour une même attente de quelque chose, de quelqu'un. Cet
entre-deux émotionnel crée une complicité reposant sur une connivence des
non-dits, du sensoriel et de la gestuelle. La romance s’incarne ainsi dans un
réel fébrile (poignante scène de danse sur une reprise de I go to sleep) ou dans les contraintes du surnaturel pour dans un érotisme poétique
qui ose toutes les audaces (sublime étreintes fantôme). Au fil des révélations, ce Paris réaliste et cosmopolite s’orne
de bizarrerie en vrillant vers celui des fantômes. Cela est source d’angoisse
latente tant dans la vraie nature des protagonistes (le couturier lui aussi en
dans l’attente d’ailleurs) mais surtout d’une esthétique qui désertifie la
ville et privilégie son incarnation nocturne. Des visions inattendues se
déploient dans une photo de Céline Bozon dont les contrastes bleus et rouges
expriment la libération et la peur que suscite cet ultime voyage. En sursis
dans le réel et séparé par la mort, la rémanence du souvenir est le salut du
couple dans un ailleurs, un entre-monde du rêve.
La mise en scène de Batut
alterne alors entre la proximité charnelle extrême et l’envol romantique et
mystique qui transfigure Paris (définitivement personnage secondaire, entre
Château-Rouge et les Buttes Chaumont) sur une bande-son envoutante de Gaspar
Claus et Benoit de Villeneuve. L’interprétation mystérieuse et à fleur de peau
de Thimothée Robart (premier rôle au cinéma) et Judith Chemla n’est évidemment
pas étrangère à cette belle réussite qui convoque Peter Ibbetson et L’Aventure de Madame Muir dans un contexte français. Stéphane Batut est un talent à
suivre, assurément.
En salle
Celui-ci je l'ai manqué. La bande annonce laissait craindre un film un peu plat, mais avec son titre, son affiche, et dans une certaine mesure l'actrice et le thème, Vif-argent me reste à l'esprit.
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