Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 25 septembre 2017

Susan Slade - Delmer Daves (1961)

Après dix ans d'activité professionnelle exercée au Chili, Roger Slade rentre aux États-Unis. Sur le bateau qui les ramène, sa fille, Susan, s'éprend d'un alpiniste. À l'instant où ils se quittent, ils se considèrent comme fiancés. Malheureusement, les jours s'écoulent et Susan ne reçoit guère de nouvelles. Elle se désespère d'autant plus en découvrant qu'elle est enceinte. Son père confirme ses craintes : le jeune homme est mort lors d'une ascension. La famille décide alors de partir pour le Guatemala où le père a son nouveau poste ; là-bas, Susan accouchera de son bébé qui passera pour celui de sa mère.

Susan Slade est le troisième de la grande série de mélodrame de Delmer Daves à la Warner après A Summer Place (1959) et Parrish (1960). Le réalisateur en reprend des éléments avec ce trouble sexuel de la jeunesse, l'atmosphère provinciale de secret mais aussi l'accomplissement individuel de ces héros juvéniles. Cependant Daves fait évoluer ces questionnements avec les mœurs de l'époque et propose une nouvelle variation passionnante. La facette scandaleuse de A Summer Place reposait grandement sur un conflit générationnel posant un regard différent sur le sexe tandis que Parrish intégrait une forme de pureté de corps et d'esprit au cheminement intime de son héros. Le scénario (adapté du roman The Sin of Susan Slade de Doris Hume) endosse ainsi le point de vue d'une héroïne dont l'émancipation n'est plus seulement familiale mais l'oppose au monde moralisateur qui l'entoure.

Susan Slade (Connie Stevens) est une jeune fille retournant à la civilisation après 10 ans d'exil dans le désert au Chili où son père (Lloyd Nolan) exerçait en tant qu'ingénieur de forage. Daves confronte d'emblée cette isolation qu'elle abandonne (avec ces vue impressionnantes de la famille au milieu de cette désolation) au choc de la civilisation avec cette croisière bondée qui les ramène aux Etats-Unis. Retrouver cette foule, c'est aussi désormais se confronter à son regard, son jugement et son désir ce qui décontenance la jeune fille innocente. La terreur au premier mot échangé puis l'abandon charnel total quand elle tombera amoureuse durant le voyage de l'alpiniste Conn White (Grant Williams) exprime ainsi l'intensité et l'inexpérience de Susan dans ces premiers contacts au monde. Ce mélange de pureté et de stupre dégagée par Connie Stevens (et si bien utilisé dans Parrish) fonctionne à merveille ici, son jeu faisant office d'ellipse pour expliciter le rapport sexuel puisque l'on passe du baiser hésitant à un visage tout en moue de désir difficilement contenu quelques scènes plus tard au fil de sa romance avec Conn.

On ne trouve plus de conflit avec les figures de parents bienveillants joués par Lloyd Nolan et Dorothy McGuire qui la pousse dans les bras du jeune homme pour son épanouissement avant d'être effrayé par l'intensité de sa passion pour lui. Daves fait également planer l'ambiguïté quant aux intentions de celui-ci, laissant autant croire au vil séducteur qu'à l'amoureux transi et pressant. Le sexe est évoqué explicitement dans les dialogues mais ce sera plus ses conséquences que l'acte en lui-même qui causeront le drame et ainsi par rapport aux précédents films. C'est du regard et jugement moral des autres plutôt que du désir (qui s'exprimait par une culpabilité pathologique et théâtrale dans un film comme La Fièvre dans le sang (1961)) que naissent la peur et les choix hasardeux de l'héroïne tombée enceinte. Tout dans le film ramène une Susan Slade pourtant sexuellement mature à son statut de petite fille dans ses relations avec ses parents (la scène où elle reçoit un cheval en cadeau), charmantes quand tout va bien mais qui la plie à leur rapport moralisateur face à cette société. Sans montrer un monde extérieur forcément oppressant et accusateur, Daves illustre ainsi les carcans d'un ancien monde qui effraie des parents pourtant compréhensifs qui choisiront la fuite et le mensonge pour masquer le déshonneur de leur fille.

Dès lors il ne sera pas étonnant que la vraie romance du film se fasse avec Hoyt Brecker (Troy Donahue) qui est lui aussi un paria qui s'assume et défie la société qui le juge à l'aune de son père. Formellement déploie une imagerie americana puissante où les grands espaces confrontent les personnages à leurs maux intérieurs. La silhouette de Susan se perd ainsi écrasé par le chagrin dans l'urbanité de San Francisco quand elle comprendra que Conn a contacté ses parents mais pas elle depuis leurs séparation. De même avec cette scène où elle domine une falaise à cheval, un fondu entremêlant le fracas des vagues et son visage scrutant l'horizon comme une illustration des tourments de son cœur. La nature sauvage et l'architecture urbaine perdent ce spleen latent pour retrouver des vertus amoureuses quand s'y retrouvent Susan et Hoyt et Daves déploie des séquences virtuose (cette poursuite à cheval digne de ses plus beaux western) ainsi que des compositions de plan somptueuse comme cette entrevue dans ce salon de thé en bord de mer magnifié par la photo de Lucien Ballard.

A l'inverse toutes les scènes d'intérieur témoigne de l'enfermement, de la duplicité dans laquelle s'engonce les personnages pour fuir le jugement des autres. La joyeuse scène en début de film où la famille Slade visite sa nouvelle maison n'existe que pour la mettre en scène comme une prison dorée pour Daves à travers ses cadrages et ses jeux d'ombres. Toute la sophistication de cette demeure prend un tour oppressant explicitant le malaise comme quand Susan constatera la distance qui la sépare désormais de son bébé alors qu'ils demeurent sous le même toit. Susan souffre finalement plus des concessions douloureuses à la bienpensance, pour son statut maternel et de femme. L'union de convenance (avec le riche héritier joué par Bert Convy) comme celle sincère avec Hoyt sont ainsi empêchées par les entraves intimes de Susan. En suggérant constamment et en n'explicitant jamais le drame par un personnage malfaisant, Daves fait ainsi entièrement reposer la destinée de Susan sur volonté de surmonter ce regard des autres. Alors certes ce sera un rebondissement un peu grossier qui nous y amènera (on retrouve le côté soap opera assumé de tous ces mélodrames) mais avec pour issue l'épanouissement intime total de l'héroïne.

 Sorti en dvd zone 1 chez Warner

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