L'action se déroule en 1946 dans un hôpital de campagne américain en Normandie. Les infirmières, qui ont toutes rang de lieutenant, y sont strictement séparées des hommes du rang, mais le soldat Hogan (Jack Lemmon) a bien l'intention de faciliter la rencontre d'un de ses camarades avec celle qu'il aime. De fil en aiguille, il en vient à organiser un grand bal clandestin dans un hôtel du Havre tenu par une Française au caractère bien trempé. Il doit pour cela déjouer les manœuvres du tortueux capitaine Locke (Ernie Kovacs), son rival en amour auprès de l'infirmière Betty Bixby (Kathryn Grant).
Le Bal des cinglés est une des comédies les plus réussies de Richard Quine, l'une de celle où s'équilibre le mieux son esprit transgressif et son humour ravageur. Si la comédie militaire ou de régiment possède déjà quelques titres à son actif, Richard Quine amène ici un souffle de modernité qui anticipe certains classiques irrévérencieux à venir comme Qu'as tu fais à la guerre papa de Blake Edwards (qui coécrit le scénario de Le Bal des cinglés et la parenté est évidente), Les Jeux de l'amour et de la guerre de Arthur Hiller ou encore MASH de Robert Altman. Le scénario pose un contexte coutumier à Richard Quine, dans ses drames (Les Liaisons secrètes (1960), Le monde de Suzie Wong (1960) comme ses comédies (L'Adorable voisine (1958)), celui d'une romance ne pouvant s'épanouir à cause d'un environnement moraliste et inquisiteur. Ici il s'agira d'une caserne et hôpital américain à la fin de la guerre au sein duquel de simples soldats ne peuvent se rapprocher des infirmières, le statut de gradée de ces dernières les rendant inaccessible à cause du règlement. Il se joue même une sorte de lutte des classes avec des gradés masculins comme le sournois capitaine Locke (Ernie Kovacs) profitant de leur position pour évincer leurs rivaux simples troufion. C'est la déconvenue à laquelle va se confronter Hogan (Jack Lemmon), génie de la combine qui va chercher à contourner le règlement en organisant un bal clandestin.Une fois les bases de ce postulat prometteur posées, c'est parti pour une irrésistible comédie sans temps mort où Quine fait feu de tout bois. C'est un festival de personnages loufoques (Jeanne Manet tordante tenancière d'hôtel française à l'accent prononcé, un guest totalement azimuté de Mickey Rooney), de running gag dialogué (Dick York se lamentant de végéter à un post minable) ou situationnel (Betty contrainte d'engloutir les verre de lait pour couvrir Hogan) quand d'autres sont patiemment construit et étiré jusqu'à l'insoutenable comme le faux macchabée ou d'une fulgurance à couper le souffle tel la découverte de la dentition de castor refaite sur l'oncle de la tenancière. Sous la comédie alerte, Quine parvient néanmoins à caractériser et nous attacher à tout un groupe de personnages qu'il sait mettre en valeur quel que soit leur temps à l'écran. Ainsi malgré l'avalanche de péripétie, on ne perd pas de vue le couple juvénile ayant motivé l'initiative d'Hogan et l'on est heureux de leur tête à tête final. De même la romance entre Hogan et Betty (Kathryn Grant à croquer) progresse de la frustration première au quiproquo hilarant pour finalement mener vers quelque chose de très touchant dans la dernière partie, notamment lors de l'attente vaine et solitaire d'Hogan. Jack Lemmon est pour beaucoup dans cet équilibre, son personnage roublard le forçant à une certaine sobriété qu'il ne transgresse judicieusement que dans les moments sentimentaux notamment cette belle déclaration où il "oublie" le grade de Betty. Ernie Kovacs semble aussi se délecter en gradé odieux et veule, provoquant les rires tout en maintenant une vraie tension maintenant les enjeux du récit et l'empêchant malgré les nombreux écarts de basculer dans la pantalonnade. C'est drôle, prenant et touchant de bout en bout jusqu'au feu d'artifice final que constitue le fameux bal.
Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount et visible actuellement à la Cinémathèque français dans le cadre de la rétro consacrée à Richard Quine
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