lundi 7 octobre 2013
Sylvie et le Fantôme - Claude Autant-Lara (1946)
La jeune Sylvie, vivant dans le château de son père, un baron ruiné, est fascinée par le portrait d'un jeune chasseur qui se fit tuer par amour pour sa grand-mère à l'âge de 20 ans. Ses sentiments vont faire revivre le fantôme du malheureux. Pour ses seize ans, son père engage un jeune homme pour jouer le rôle d'un fantôme. La suite est une série de quiproquos car elle se retrouve alors non pas avec un fantôme mais quatre; l'acteur engagé par son père, Ramure un prisonnier évadé, Frédéric le fils de l'acheteur du tableau et le vrai fantôme1...
Claude Autant-Lara rencontrait un de ses grands succès populaire avec ce charmant et envoutant Sylvie et le Fantôme. Adapté de la pièce éponyme de Alfred Adam, le film se situe à mi-chemin entre la veine du fantastique poétique initiée au début des années 40 par des films comme Les Visiteurs du Soir (1942) et la tonalité romantique et vaudevillesque initiée par Autant-Lara dans Douce (1943), Le Mariage de chiffon (1941) ou plus tard Occupe-toi d'Amélie (1949). Ces deux veines s'entremêlent merveilleusement, cette dimension surnaturelle et romantique incarnée par l'héroïne entraînant toute la suite de réactions en chaîne et quiproquos de l'intrigue et des autres personnages.
Sylvie (Odette Joyeux actrice fétiche d'Autant-Lara durant les années 40 et avec lequel elle tournera quatre films) est une jeune fille rêveuse plus fascinée par le passé et ses fantômes que le monde qui l'entoure. Elle est ainsi subjuguée par un vestige du vétuste château familial à savoir le portrait d'un jeune chasseur tué pour avoir courtisé sa grand-mère.
Le drame revêt une dimension romanesque exaltante pour la jeune fille qui se ressent dès la scène d'ouverture où elle relate les faits à une assemblée conquise par sa passion. Autant-Lara amorce le mystère par petites touches que ce soit par l'obsession du chien pour le tableau où le décor fabuleux du château où la découverte d'un passage secret annonce le côté poreux qui se ressentira par la suite avec le vrai spectre déambulant joyeusement dans tous les recoins.
Une désillusion va ainsi amener le fantôme du chasseur à réellement se manifester, l'appel de celle qui l'idolâtre étant le plus fort lorsque le Baron en difficulté financière devra vendre le tableau. Le fantôme arbore les traits de Jacques Tati dans un port majestueux et un masque mêlant tendresse et résignation pour celle qu'il ne peut qu'effleurer. Ce romantisme va pourtant prendre une dimension plus concrète avec une suite de rebondissement surprenant.
Le Baron regrettant d'avoir vendu le tableau que chérissait sa fille engage pour son anniversaire un acteur qui se fera passer pour le fantôme bercera encore ses illusions pour le soir de ses seize ans. Sauf que rien ne se déroule comme prévu puisque à l'acteur initialement prévu Anicet (Louis Salou), vont se mêler le voleur au cœur tendre Ramure (François Périer) et l'amoureux transi Frédéric (Jean Desailly) sous les draps du faux fantôme.
Trois fantômes et trois tonalités différentes qui relanceront constamment l'action. La plus touchante avec la passion inattendue et résignée de Ramure avec un François Perier particulièrement attachant en gros bourru surpris de voir vaciller ainsi son cœur. La plus romantique et presque niaise avec les envolées exaltée de Frédéric où Jean Desailly représente en quelque sorte l'idéal romantique de ce fantastique poétique qui imprègne le cinéma français tandis que le troisième larron Anicet fait plutôt office de caution comique avec ses manières d'acteur narcissique cabot.
A ces trois-là le vrai fantôme tient le rôle d'observateur amusé mais nourrit les même sentiments pour Sylvie et à la maladresse (Ramure) et aux grandes envolées (Frédéric) de ses rivaux du monde des vivants l'exprime lui par sa gestuelle expressive où les talents de mime de Jacques Tati font merveille. Ses mouvements délicats et ses regards possèdent autant de force que les mots, renforcés par des effets spéciaux ajoutant encore à la poésie de l'ensemble.
Notre fantôme glisse, s'élève et traverse les murs avec une grâce céleste dont Autant-Lara atténue la mièvrerie potentielle par le ton farceur du spectre qui se plaît à tourmenter les personnages les plus outranciers comme la comtesse râleuse incarnée par Claude Marcy. Odette joyeux est confondante de charme et de naïveté, le récit étant en quelque sorte son parcours initiatique ou après s'être plongée dans le passé et ses passions évanouies elle va s'ouvrir à des sentiments plus concrets.
Cette alternance entre onirisme et réel s'inscrit ainsi concrètement aussi dans les ruptures de ton du film où les moments sincères (les échanges entre Odette Joyeux et François Perrier sont les plus captivants) alternent avec le vaudeville le plus virevoltant avec quiproquos et courses poursuites en pagaille. Un très beau moment où étrangement l'émotion fonctionne bien plus envers les amoureux éconduits (d'ici ou de l'au-delà) que pour le couple finalement formé lors de la conclusion. La dernière scène est une merveille avec séquence illustrant parfaitement l'enchantement visuel et sentimental que fut ce Sylvie et le Fantôme.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
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J'aime beaucoup ce film, qui a un charme fou et désuet tout à fait réjouissant. J. Tati lunaire et évanescent et O. Joyeux mignonne à croquer...
RépondreSupprimerDans un tout autre genre, une autre histoire de fantômes que je vous recommande vivement, et qui, cette fois-ci, se prête à une critique sociale féroce, 'La tendre ennemie' de Max Ophuls (1936)
Pas encore vu 'Le mariage de Chiffon'. A mettre en haut d'une pile ?
Oh oui tout en haut de la pile même une petite merveille de drôlerie et d'ironie truffée de dialogues mordants, à voir absolument "Le Mariage de Chiffon" ! Je le reverrais bien d'ailleurs ce sera l'occasion d'en reparler ici. Toute la série de films avec Odette Joyeux est vraiment excellente de tout façon. Je note pour le Ophüls pas vu !
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