L'avocat Anthony Keane
est chargé de la défense de Mrs. Paradine, qui est accusée d'avoir assassiné
son riche mari aveugle. Fasciné par la beauté de sa cliente, il se laisse
aisément persuader de son innocence, d'autant plus qu'il ne tarde pas à
s'amouracher d'elle, bien que marié lui-même avec une femme présentant toutes
les qualités.
Le Procès Parradine
est le dernier film d’Hitchcock réalisé pour le compte du producteur David O.
Selznick. Ce dernier qui avait invité et fait faire ses premiers à Hollywood à
Hitchcock qui passait de la totale liberté de sa période anglaise à l’interventionnisme
du nabab hollywoodien. La fantaisie et l’inventivité d’Hitchcock allait ainsi
se confronter à la rigueur d’O. Selznick avec le somptueux mélodrame gothique Rebecca (1940) et l’inventif mais plus
mineur La Maison du Docteur Edwardes
(1945). Entretemps Hitchcock aura su appréhender le système hollywoodien et s’épanouir
hors du giron de son « parrain » en signant notamment Lifeboat (1944) pour la Fox et surtout Les Enchaînés (1946) dont la
pré-production fut financé par O.Selznick contraint de revendre le projet à la
RKO pour combler les dépassements de Duel au soleil (1947). Le Procès Parradine
est donc leur dernière collaboration commune, O.Selznick échouant à faire
signer un nouveau contrat à Hitchcock désormais émancipé. Les frustrations s’amoncèlent
donc une nouvelle fois pour le réalisateur un sujet imposé et écrit par
Selznick dans sa première mouture - adapté d’un roman de Robert Smythe Hichens –
avant d’être remanié par Alma Reville, Ben Hecht et James Bridie. Il en va de
même pour le casting où celui envisagé par Hitchcock (Laurence Olivier (Anthony
Keane), Greta Garbo (Anna Paradine) et Robert Newton (André Latour)) est
remplacé par des stars où espoirs potentiel sous contrat chez O.Selznick avec
Gregory Peck, Allida Valli et Ann Todd. Le film constitue donc un Hitchcock
assez mineur et pas particulièrement palpitant dans sa trame judiciaire. Il
trouve pourtant un vrai intérêt par les trouvailles formelles et les parallèles
intéressants avec d’autres œuvres du Maître du Suspense.
Le premier élément frappant est la façon dont Le Procès Parradine semble constitue le
pendant inversé de Rebecca. Le
personnage-titre de ce film brillait par son absence physique (puisqu’étant
décédé) tout en imprégnant tous les personnages marqués par son souvenir, en
hantant tous les oppressants décors symboles de son aura maléfique. Sa présence
invisible empêchait Joan Fontaine de s’approprier son nouveau foyer et son
époux, le surnaturel sous-jacent contrebalançant avec une obsession plus
psychanalytique à travers la gouvernante Mrs Danvers. Dans Le Procès Parradine, l’accusée Mrs Parradine (Allida Valli) semble
être l’incarnation vivante de Rebecca (son allure correspondant au portrait
peint vu d’elle dans le film et au semblant de description du livre de Daphné
Du Maurier) et plutôt que de les laisser deviner, Hitchcock donne à voir son
influence et sa séduction néfaste envers ceux qui daignent l’approcher. La
dualité blonde/brune, ténèbres/lumières et vice/vertu s’illustre dans le
triangle amoureux avec l’avocat Kean déchiré entre son épouse Gay (Ann Todd) et
Mrs Parradine.
Nous découvrons Mrs Parradine en ouverture dans les
clairs/obscurs de sa demeure où elle joue du piano en robe noire, la
fascination et le mystère qu’elle dégage s’amorçant dans un mouvement de caméra
saisissant un visage faussement paisible et troublé par un regard incertain
entre bonté et folie. A l’inverse Gay apparait dans un décor domestique
lumineux au blanc dominant à l’image de sa blondeur « pure » et ses
tenues blanches. L’érotisme, le désir et la manipulation irriguent les
rencontres pourtant chastes de Keane et Mrs Parradine en prison quand la
tendresse du couple Keane/Gay parait bien timorée alors que plus tactile.
Hitchcock renoue d’ailleurs avec l’obsession amoureuse purement formelle de Rebecca le temps d’une scène magnifique
où Kean visite la maison de campagne des Parradine et se trouve comme hypnotisé
dans la chambre de Mrs Parradine dont la personnalité inonde les lieux.
Il est dommage que l’interprétation inégale et les
péripéties laborieuses gâchent cette approche. La raideur et la distinction
anglaise d’un Laurence Olivier aurait rendu la bascule vers un désir fiévreux
bien plus significatif qu’avec le trop propre sur lui Gregory Peck, plus
intéressant dans la faillite finale de son personnage dans les scènes de
procès. De même Hitchcock ne semble pas avoir un grand intérêt pour Ann Todd,
pendant trop tiède à la présence envoutante d’Allida Valli qui suscite tout son
intérêt. Cela casse d’ailleurs l’intéressant parallèle entre le couple Gregory
Peck/Ann Todd et son possible futur qu’incarne celui de Charles Laughton/Ethel
Barrymore, la bienveillance de Barrymore ne pouvant plus rien pour le nihilisme
amer de Laughton.
La prestation de celui-ci est toutefois l’occasion d’une
critique en filigrane de de la corruption de cette haute société anglaise
bouffie de sa supposé supériorité, notamment lors de la scène où il tentera de
séduire Ann Todd. C’est donc des personnages ambigus plutôt que des «gentils »
que naîtra l’émotion. La connexion entre Mrs Parradine et le valet André Latour
(Louis Jourdan dans son premier rôle hollywoodien) se ressent ainsi par la
seule mise en scène avec ce panoramique où Allida Valli semble comme deviner la
présence de Jourdan en arrière-plan lors de son arrivée dans la salle d’audience.
C’est là que la tragédie se noue par la réalisation inventive d’Hitchcock avec
ses plongées, ses mouvements où alternent l’expression de la présence hiératique
et domination de Mrs Parradine, la peur de Gay en spectatrice discrète voyant
son époux perdre pied. Les plans rapprochés servent à saisir les âmes en
perdition, que ce soit un Gregory Peck dépassé, Louis Jourdan et ses désirs
contradictoire ou l’observateur goguenard de la douleur des autres qu’est
Charles Laughton. Mais c’est surtout Allida Valli maudissant de sa haine et son
mépris Gregory Peck qui marque durablement, la photo de Louis Garmes jouant
parfaitement du contraste de sa robe noire et de la pâleur de son visage, le
tourment et la passion dans une même image ambiguë. C’est réellement là la
vraie conclusion du film plutôt que le double épilogue final avec des figures
qui n’auront jamais su réellement nous intéresser.
Sorti en Bluray chez Carlotta
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