Nagiko, la fille d'un calligraphe célèbre, qui autrefois lui avait souhaité son anniversaire en lui calligraphiant ses vœux sur le visage, entreprend à son tour d'écrire. Après un mariage raté, un incendie, elle se lance à la poursuite de l'amant-calligraphe idéal qui usera de son corps tout entier en lieu et place de papier. Après bien des échecs, elle rencontre finalement Jérôme, un traducteur d'origine anglaise. Il la convainc d'être le pinceau plutôt que le papier.
La noirceur des conclusions d’œuvres comme Zoo (1985), Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989) ou encore TheBaby of Macon (1993), avaient érigé le corps humain comme espace de souillure fascinante, de cannibalisme ou de culte morbide. The Pillow Book voit Peter Greenaway poursuivre cette réflexion, mais en se renouvelant avec une influence culturelle et esthétique cette fois tournée vers l’Asie. Le réalisateur s’inspire ici de Les Notes de chevet, classique de la littérature japonaise du 11e siècle, reposant sur une suite d’impression triviale de Sei Shōnagon, dame de compagnie de l'impératrice consort Teish. L’ouvrage est explicitement cité et mis en scène par intermittences, mais le récit repose davantage sur une sorte de variation moderne dont l’héroïne est la jeune Nagiko (Vivian Wu).
Fille d’un célèbre calligraphe, elle sert dès l’enfance de modèle à celui-ci, s’amusant à lui calligraphier des vœux sur le visage et le cou lors de ses anniversaires. La signification des motifs écrits place la fillette, et au sens large la femme, comme un objet soumis et définit par son créateur, et par conséquent l’homme. Nagiko observe cette soumission dans une logique de classe en voyant son père (Ken Ogata) subir les avances de son éditeur (Yoshi Oida), puis en la subissant elle-même par un mariage arrangé dont elle finira par s’évader. Exilée à Hong Kong, Nagiko ne peut cependant se défaire de ce conditionnement et va chercher de nouveau à être le réceptacle corporel d’un calligraphe inspiré. Peter Greenaway prolonge les expérimentations formelles entamées sur Prospero’s Books (1991), transformant l’image en prolongement des pages et corps calligraphiés, rajoutant des écrans exprimant le point de vue est les sentiments ambivalents des personnages. Ainsi Nagiko d’une part fait montre d’émancipation en quittant son milieu et son Japon natal, mais de l’autre recherche la « signature » d’un homme sur son corps. C’est l’occasion pour Greenaway de multiplier les situations érotiques scandaleuses dont il a le secret, bien aidé par la prestation tout en lâcher-prise de Vivian Wu, tour à tour vulnérable, espiègle et provocante. L’arrière-plan japonais délaisse ses inspirations picturales occidentales habituelle pour travailler un mimétisme entre les situations sensuelle du récit et les estampes érotiques japonaises, auxquelles s’ajoutent parfois un « écran » rejouant des situations de Les Notes de chevet. Déstabilisant dans un premier temps, ce choix devient de plus en plus organique et instinctivement compréhensible par le spectateur, par l’écho qui se crée naturellement avec le cheminement de Nagiko. Le melting-pot esthétique exprimé par les différents milieux que traverse l’héroïne font du film un objet hybride, voyant U2 alterner avec de la cantopop, Guesch Patti ou de l’enka japonaise, les costumes varier entre costumes traditionnels japonais et tenue de mode marquées nineties – conçus par Emi Wada. L’unité ne se dégage qu’avec la sérénité amoureuse et artistique conjuguées acquises par Nagiko. Après avoir sollicité différentes rencontres et amants occasionnels à marquer son corps de leur inspiration, Nagiko est décontenancée lorsque le polyglotte Jérôme (Ewan McGregor) l’incite au contraire à se faire autrice plutôt que réceptacle. Ce qui n’était que tumulte et provocation devient alors une merveille de langueur charnelle, romantique et artistique où les peaux des amants se font le parchemin de leurs baisers, caresses et bien sûr inspiration littéraire, avec un Jérôme devenant un véritable « manuscrit » humain délivré à l’éditeur. Ce dernier est la source des maux d’enfance de notre héroïne, qui en s’ouvrant au sentiment amoureux éveille aussi sa jalousie, ravive sa rancœur et met à mal le fragile équilibre qu’elle a trouvé.La dimension d’espace mental se renforce, tout en permettant encore de nouvelles visions originales et inédites de la part de Greenaway qui parvient totalement à fondre son univers extravagant à cette imagerie nippone. La conclusion faisant d’un corps aimé une matière littéraire à archiver et chérir ravive fortement le souvenir romanesque et vengeur de Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant. Tout à sa mue asiatique, Greenaway demeure totalement cohérent dans ses obsessions et cette amour funèbre.Sorti en bluray anglais chez Indicator et doté de sous-titres anglais
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