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dimanche 8 juin 2025

Lenny - Bob Fosse (1974)

 Il est le plus insolent, le plus libertaire, le plus controversé des comiques des Sixties. L'histoire hors-norme de Lenny Bruce, dont les improvisations caustiques rencontreront un succès inégalé. S'attirant les foudres de l'Amérique bien-pensante, entre scandale, drogue et condamnations, ce maître du politiquement incorrect se fera la voix de toute une génération.

Lenny est une œuvre qui s’intercale entre deux sommets de Bob Fosse, Cabaret (1972) et Que le spectacle commence (1980). Bien que ne traitant pas des bonheurs et des maux du spectacle chanté et dansé, Fosse n’en traite pas moins des coulisses d’un autre grand art scénique, la comédie stand-up. L’un des inventeurs de ce style est sans conteste Lenny Bruce, star comique adulée et controversée durant les années 60 jusqu’à sa mort prématurée à l’âge de 40 ans. Bob Fosse va proposer le portrait de l’artiste dans une forme éloignée des poncifs du biopic et qui sera maintes fois copiée par la suite.

Le récit oscille entre les temporalités, les points de vue et les modes de narration. Il y a notamment une forme semi-documentaire voyant l’entourage proche de Lenny Bruce (son ex-femme, son manager et sa mère) témoigner face caméra sous forme d’interview. Il y des moments scéniques nous montre un Lenny en artiste au sommet de son art et de son irrévérence, partagée avec un passé s’attardant sur ses débuts et sa lente construction de trublion provocateur. Le montage brillant harmonise l’ensemble par un fil rouge intime et public ou chacun des dispositifs rebondissent et se répondent entre eux pour refléter le Lenny d’hier et de demain, le personnage de scène et l’homme. Ainsi à l’amoureux timide vivant un touchant coup de foudre avec Honey (Valerie Perrine) répond un Lenny déjà marqué par les excès mais posant un regard cynique et corrosif sur la relation de couple. Lors que ces différentes échelles de récit se rejoignent progressivement, l’on comprend peu à peu que les épreuves de la vie ainsi qu’une confiance artistique accrue ont permis à Lenny de se construire un alter-ego rebondissant avec férocité sur scène de ses bonheurs et déconvenues dans le privé. Ces nuances sont capturées par la somptueuses photo de Bruce Surtees, dans un noir et blanc magnifique dont les jeux d’ombres et de lumières immergent dans l’ambiguïté de Lenny.

Après s’être montré capable de faire cet état des lieux personnel et impudique, il s’agit de faire celui de la société américaine dans son ensemble, ce qui amorcera le début des problèmes avec la justice. Racisme, sexualité, droits des gays, aucun tabous, aucune injustice n’échappe au verbe acéré de Lenny, qui n’épargne pas davantage les autorités ou les personnalités publiques comme les Kennedy. Bob Fosse offre plusieurs perspectives dramatiques dans sa mise en scène des séquences de stand-up. Passé le début où Lenny se cherche dans des propositions impersonnelles correspondant aux standards codifiés de l’époque (imitations, déguisement, jeux de mots), Fosse montre un Lenny dominateur et sûr de lui. 

Il est capable de retourner une salle qu’il a lui-même rendu hostile par l’usage de termes raciaux offensant en tissant sous la vulgarité un discours progressif et intelligent. Il dénonce l’hypocrisie morale par l’usage explicite de pratiques sexuelles supposées tabous mais pratiquées de tous. Fosse alterne entre le seul filmage de la scène arpentée par Lenny et à l’inverse l’ensemble de la salle de spectacle traversée et la harangue d’un public hilare, ravi de ces interactions. Les cadres figés du début correspondent au style de représentations désuètes auquel se soumet initialement Lenny, avant que l’improvisation typique du stand-up ne contamine la réalisation qui fait alors de la salle un terrain de jeu complice où notre héros est invulnérable – les hilarantes invectives des policiers présents pour le piéger et dont certains étouffent difficilement un rire.

Malheureusement l’hostilité et l’opprobre morale du monde extérieur le rattrape hors de ce royaume. S’il parvient par son audace à prolonger la magie dans les cours de tribunal, Lenny est de plus en plus entravé, fragilisé mentalement et psychiquement dès lors qu’il ne peut plus exercer son métier. Dustin Hoffman livre une performance brillante, tout en savant mélange de contrôle et de nervosité, après avoir étudié en profondeur les enregistrements des prestations de Lenny Bruce. Bob Fosse signe un grand film en forme de cri de liberté face au rigorisme et à la bienséance de l’Amérique WASP. 

Sorti en bluray français chez Wild Side 

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