Dans les rues de Hong
Kong, Ah Wah et Fly rackettent les bandits de la ville. Ah Wah vient tout juste
d'accueillir chez lui une lointaine cousine, Ah Ngor, qui doit se faire
hospitaliser pour un problème aux poumons, tandis que Fly, accompagné de Ah
Site, se prend trop au jeu et se brouille avec un gang rival. Au fur et à
mesure du récit, les relations entre Wah et Ngor deviennent plus intimes et Fly
sombre de plus en plus dans la violence et les problèmes.
Le scénario est sans doute le plus linéaire de sa carrière mais le film se distingue par quelques figures visuelles récurrentes tels ses effets d’accélération ou de dilatation du temps (la scène du début où Andy Lau se bat pour venger Fly), ainsi qu'une énergie et une liberté de mouvement via une caméra portée très dynamique. Le polar hongkongais à cette période effectue une mue de sa facette virile et opératique du heroic bloodshed cher à John Woo et ses suiveurs vers une tonalité plus romantique qu’initiera justement Patrick Tam avec My heart is that eternal rose (1989). Cette veine romantique du polar HK est indissociable de ses bandes-son flamboyantes, et d’acteurs souvent stars de la cantopop qui y contribuent par une chanson tout en gagnant une certaine crédibilité cinématographique. L’un des chefs d’œuvre du genre sera A Moment of Romance de Johnnie To (1990), avec Andy Lau, l’un des « Quatre rois célestes de la cantopop » (avec Jacky Cheung, Aaron Kwok et Leon Lai) qui trouvera là un de ses premiers grands succès. Wong Kar Wai se montre donc précurseur de ce courant par la présence de l’acteur, et en déployant son art de la scène romantique ultime comme ici les retrouvailles bouleversantes entre Maggie Cheung et Andy Lau sur fond de Take my breath away revisité en version cantonaise.
Le film inaugure justement le plaisir des reprises
cantonaises de tubes pop anglo-saxons dans les films de Wong Kar Wai, que l’on
savourera plus tard avec Karmacoma de Massive Attack dans Les Anges Déchus (1995), ou Dreams des Cranberries revisité par Faye Wong dans
Chungking Express (1994). Tous ces éléments contribuent dans une
forme brute à marquer l’univers stylisé et mélancolique du réalisateur qui
s’entrechoque à un réalisme palpable des environnements urbains hongkongais qu’il
capture déjà de façon unique. L’immersion est idéale parmi ces petites frappes,
notamment grâce à l’interprétation sans faille (notamment tous les seconds
rôles ayant la tête de l'emploi, certains recrutés parmi de vrais gangsters
locaux) dont un Jacky Cheung qui annonce son rôle torturé d’Une balle
dans la tête (1990) de John Woo. Il est assez impressionnant en jeune
loup agité et ivre de reconnaissance.
Cet équilibre entre réalisme et formalisme se ressent dans
les brutales scènes d’empoignes urbaines à la machette, qui alterne mise en scène heurtée et
temporalité suspendue, jouant autant du cachet de véracité que d’une certaine
poésie. Maggie Cheung jusque-là coincée entre bluettes et faire-valoir de
Jackie Chan, trouve là son premier rôle majeur, tout en douceur et fragilité,
qui va initier sa collaboration avec Wong Kar Wai et amorcer son ascension.
L’alchimie avec Andy Lau est palpable et toutes leurs scènes intimistes
annoncent les atmosphères introspectives de Nos Années sauvages
(1990). Dans l’ensemble, ce premier Wong Kar brille par l’expression encore mal
dégrossie de son style porté par un romantisme juvénile incandescent. Il
s’affirmera définitivement avec le film suivant, plus mûr et libéré des codes
du cinéma de genre.
Sorti en dvd zone 2 français chez CTV
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