Rick Todd, un artiste de seconde zone, vit avec
un colocataire gaffeur, Eugène Fullstack. Ce dernier fait des rêves
délirants sur les aventures d'un super-héros nommé « Vincent-le-Vautour »
: Rick note les idées d'Eugène, qui parle en dormant, et s'en inspire
pour créer une bande dessinée qui lui permet de trouver enfin le succès.
Les deux compères font bientôt la connaissance de deux résidentes
colocataires de leur immeuble, Abby Parker et Bessie Sparrowbush. Abby
s'avère être aussi auteur de BD et, de surcroît, des préférées d'Eugène,
celles de « Madame Chauve-souris ». Abby s'inspire de sa fofolle copine
Bessie pour écrire ses histoires…
Artistes et modèles
est le quatorzième film en commun du duo comique formé par Jerry Lewis
et Dean Martin. Peu auront réellement passé avec bonheur l'épreuve du
temps mais Artistes et modèles constitue
sans conteste une de leur plus grande réussite. Cela est grandement dû
au choix de Frank Tashlin à la mise en scène, recruté pour son passé de
dessinateur et cartoonist. Le sujet est au cœur du scénario avec des
personnages gravitant (ou espérant) dans le milieu de la bande dessinée.
Rick Todd (Dean Martin) et Eugene Fullstack (Jerry Lewis) sont donc des
aspirants dessinateurs et auteurs qui végètent sans espoirs immédiat de
réussite. Dean Martin retrouve son emploi de séducteur et Lewis celui
d'homme-enfant gaffeur mais l'intrigue repose moins que dans d'autres de
leur films sur leur interaction. Aux intrigues très lâches habituelles
s'ajoutent une loufoquerie plus prononcée où Tashlin s'inscrit dans le
sillage des en cours de la comédie américaine.
Pour décupler cet
aspect cartoonesque Tashlin fait de Jerry Lewis et Shirley MacLaine le
vrai duo comique du film, à savoir celui sur lequel repose la plus
grande excentricité. Leur première rencontre arrive après une série de
facéties rocambolesque reposant sur l'apparat et l'hyper expressivité,
les excès somnambule de Eugene l'amenant à chambouler son voisinage et
croiser la route de Bessie (Shirley MacLaine) grimée du costume de son
personnage de bd favori Bat Lady. Chaque
face à face fait des étincelles dans la démesure délirante où Tashlin
ajoute une multitude de gags directement inspirés du cartoon, notamment
dans leur dimension sexuelle. Dans le bureau de l'éditeur, Eugene tente
maladroitement un baiser pour faire diversion, baiser qui lui est rendue
avec une fougue inattendue par Bessie qui le plaque contre une fontaine
d'eau qui se met à surchauffer pour traduire son émoi amoureux et
surtout érotique. Enfin la séduction volontaire de Bessie culmine dans
une folle sérénade amoureuse (et meilleur numéro musical du film) où
elle entonne un Innamorata enflammé pour
Eugene, la sensualité (le petit maillot de bain jaune et les attitudes à
la Betty Boop de Shirley MacLaine ne laisseront pas indifférent) se
disputant à la farce avec les réactions hilarantes de Lewis.
Le
couple Dean Martin/Dorothy Malone parait nettement plus sage mais leur
nature commune d'artiste amène l'autre thématique du film. L'une des
premières scènes voit Rick et Eugene surmonter leur dénuement extrême du
moment en "faisant semblant" que cela va mieux pour eux. Tashlin
déploie avec humour une mécanique de l'illusion jouant autant sur les
attitudes ou la bande-son traduit l'illusion (la bande-son faisant
surgir des notes de piano quand Lewis feint d'en jouer), les gags ses
effets impossible dans le réel (des objets de l'appartement qui tombent
suite au contact de ceux imaginaire lancés par Martin) et le jeu outré
de Lewis la manière outrée de s'en convaincre avec ce maigre fayot
dégusté et assaisonné comme un véritable festin.
Cette thématique du
faux-semblant, du fantasme plus ou moins impossible à réaliser est au
cœur de la comédie américaine des années 50 - et développée en amont,
comme l'incursion du cartoon par un Preston Sturges. Billy Wilder s'y
frottera dans une dimension de pastiche, de romance et de chronique
sociale dans Sept ans de réflexion (1955) et Certains l'aiment chaud (1959) tandis que la veine satirique et cartoonesque sera mieux creusée par Tashlin dans La Blonde et moi (1956) et surtout La Blonde explosive (1957). Si l'intrigue de Artistes et modèles
n'est pas très percutante (c'est plutôt une suite inégale de sketch),
le dédoublement et le jeu du vrai/faux des situations et interactions
des personnages est passionnant. L'illusion, le rêve et le mensonge
débouchent plusieurs fois sur un réel inattendu (les élucubrations
nocturnes de Lewis base d'une vraie bd, cette bd source d'une
sous-intrigue d'espionnage), les fantasmes s'incarnent dans un réel
qu'on est capable de voir ou pas (Lewis croisant la vrai Bat Lady puis
troublé sans se l'avouer par Bessie sans son costume). Le script inclut
même des clins d'œil amusant comme lorsque Dean Martin entonne un doux Sweetheart
à Dorothy Malone, chanson de son répertoire que son personnage s'excuse
de ne pas interpréter aussi bien que son vrai interprète.
Ces
divers éléments sortent ainsi le film de la mécanique des films du duo,
dont la sensualité emmène vers des rives plus adultes. Les allusions
sexuelles et dialogues à double sens pleuvent, sans parler des
situations érotiques équivoques telle cette apparition incendiaire de
Dorothy Malone dans une serviette de bain cachant tout juste le minimum
requis - scène maintenue par la Paramount malgré les demandes de coupe
des membres du Code Hays. Le film entame une fructueuse collaboration
entre Jerry Lewis et Frank Tashlin qui signera ensuite Hollywood or burst (1956) pour le duo puis six films (Rock-a-Bye Baby (1958), The Geisha Boy (1958), Cendrillon aux grands pieds (1960), L'Increvable Jerry (1962), Un chef de rayon explosif (1963) et Jerry chez les cinoques
(1964)) pour Lewis en solo. C'est la rencontre aussi des futurs
complices du Rat Pack avec Shirley MacLaine et Dean Martin amené à se
retrouver plusieurs fois et surtout dans le superbe Comme un torrent de
Vincente Minnelli (1958).
Sort en dvd zone 2 français chez Paramount
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