Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 12 janvier 2024

Juana la Loca - Vicente Aranda (2001)


 En 1496, Jeanne de Castille, fille des rois catholiques, était destinée à être l'épouse de Philippe de Habsbourg, fils de l'empereur Maximilien d'Autriche. À leur première rencontre, le désir et l'attirance mutuelle sont immédiats. Une passion naît entre eux. A la mort des siens, Jeanne devient l'héritière de la couronne espagnole et reine de Castille. Voulant devenir une bonne épouse, une bonne mère et offrir tout son amour à son mari, Jeanne devient obsessionnelle et jalouse. En plus d'être infidèle, Philippe en fait la victime d'ambitions et de conspirations politiques.

Vicente Aranda signe avec Juana la Loca une fastueuse fresque historique où il remonte bien plus loin dans le temps que ses différents œuvres évoquant la Guerre Civile Espagnole. Il s'agit une fois de plus d'un fascinant portrait de femme avec l'évocation de Jeanne de Castille, dites "Jeanne la folle". Ephémère reine de Castille et d'Aragon qui manifestant des signes de troubles mentaux, fut exilée et forcée d'abandonner la régence à son père Ferdinand II avant l'accession au trône de son fils Charles Quint. On attribue la folie de Jeanne ou du moins ses prémices à l'amour passionné qu'elle vouait à son époux Philippe de Habsbourg et c'est bien cet angle romanesque et torturé qui va intéresser Vicente Aranda.

Le film s'ouvre sur le départ d'Espagne de Jeanne (Pilar López de Ayala), forcée de quitter les siens pour un mariage d'alliance avec Philippe de Habsbourg. Jeanne nous apparaît comme une jeune fille fragile et apeurée, pas du tout préparée aux responsabilités qui l'attendent dans une cour étrangère. Sentant les peurs de sa fille, sa mère la reine Isabelle de Castille (Susi Sánchez) tente de la rassurer en lui expliquant qu’elles n’ont plus ne fit pas un mariage d'amour, mais finit par aimer son époux et qu'il en sera de même pour Jeanne. C'est un moment clé pour la suite des évènements, comme si la mère avait presque conditionné la passion amoureuse de Jeanne pour lui permettre de mieux appréhender son avenir. En effet l'arrivée de Jeanne à la cour est assez déroutante pour qui ne connaît pas avec précision les évènements historiques. Pressé de posséder Jeanne, Philippe (Daniele Liotti) précipite la cérémonie de mariage et la porte avec empressement jusqu'à la chambre nuptiale. Alors qu'on imagine l'inexpérimentée Jeanne dépassée et abusée, elle se montre pleine d'aisance et conquise par son homme, d'autant que l'acteur Daniele Liotti arbore les traits les plus avenants qui soit en latin lover ténébreux. 

Dès lors Vicente Aranda met en place une dynamique inattendue avec une Jeanne entre amour maladif et nymphomanie constamment en demande du cœur et surtout du corps de son époux, désemparée dès qu'elle n'est plus en sa présence. Cela décale dans un premier temps l'organisation de la cour pensée comme une séparation des sexes, les femmes voguant à leurs activités "superficielles" et les hommes à des divertissements virils tels que la chasse, les beuveries et éventuellement l'adultère. Jeanne par son désir insatiable bouscule cela et Aranda orchestre plusieurs scènes chocs mettant en scène les assauts de la souveraine ne laissant aucun répit à son époux. Cette libido effrénée tisse quelques fils rouges formels comme le fait que Jeanne apparaisse durant quasi la moitié du film enceinte, cette activité sexuelle entraînant de multiples grossesses - et une rocambolesque scène d'accouchement. 

La première partie du film se déroulant aux Pays-Bas dans la cour de Philippe, l'équilibre fait que ce dernier demeure le dominant malgré son envahissante épouse. Le jeu des morts et des successions faisant accéder Jeanne au trône de Castille, l'emprise psychique et corporelle de cette dernière devient une domination officielle sur son Philippe. Tout en mettant en lumière les excès de Jeanne, Aranda souligne l'anomalie que constitue à la cour d'Espagne cette inconséquence supposée spécifiquement féminine au pouvoir. L'incapacité de Jeanne à gouverner est mise en avant à cause de cet amour fou, quand on imagine moindre cette remise en question par un souverain masculin volage. Les intrigues de palais troubles alternent avec les disputes conjugales les plus terre à terre, la réconciliation se faisant par les appels ardents de Jeanne prête à tout pardonner pour une étreinte vigoureuse de plus par Philippe. Pilar López de Ayala livre une prestation sidérante, le visage initialement virginal et innocent étant peu à peu gagné par les spasmes d'émotions irrépressibles, entre désir, jalousie et amour incandescents. Elle désintègre à elle seule tout risque d'académisme dans le fond et la forme d'un film par ailleurs somptueux dans sa reconstitution, décors et costume. Mais la moindre esquisse de moment figé, de composition de plan soignée, de séquence d'inspiration picturale, implose en plein vol par l'obsession amoureuse et charnelle de Jeanne. Elle est une anomalie à la cour tout comme dans le contexte et les attentes d'un film historique.

Cela s'avère impressionnant dans une des scènes les plus brillantes du film. Souhaitant rendre Philippe jaloux, Jeanne orchestre un moment d'intimité avec un officier dans l'espoir que Philippe les surprenne. Ce dernier les découvre effectivement mais prévenu, simule une colère de façade et Jeanne rassurée de l'amour de son homme arbore un énorme sourire alors qu'elle est supposée avoir été "démasquée". Le regard entre satisfaction et démence de Jeanne laisse passer un flux d'émotion absolument indescriptible. La scène d'ouverture amorçant une narration en flashback nous avait prévenu du sort final de Jeanne, mais pas des circonstances. Alors que sous la folie son autorité naturelle avait réussi à stopper le complot visant à sa destitution, c'est la mort tragique de Philippe qui scelle définitivement sa perte d'esprit et la victoire de ses ennemis. L'ultime scène entérine le décalage ayant eu cours tout le film. Jeanne vieillie et retirée au couvent depuis des décennies est montrée dans une composition de plan austère et pieuse par Aranda, avant que la voix-off dévoilant ses pensées toujours aussi impures et obnubilée par le corps de Philippe fasse voler en éclat la dignité de ce tableau.

Sorti en dvd zone 2 et doté de sous-titres français sous le titre "Mad Love"

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