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mardi 17 octobre 2023

L'École militaire de Nakano - Rikugun Nakano gakkō, Yasuzo Masumura (1966)


 Au cours d'un étrange examen oral, un lieutenant comprend qu'il vient d'être intégré à l'école d'espionnage de Nakano. Coupé du monde pendant un an, formé à toutes les disciplines, il va devenir le parfait espion..

En 1962 Yasuzo Musumura signait un de ses meilleurs films avec Black Test Car, récit d'espionnage industriel où l'on observait les machinations machiavéliques entre des corporations dans une pure logique de concurrence capitaliste. Le film participait, avec Géants et jouets (1958) sur un thème voisin, remplacer le patriotisme belliqueux et fanatique d'antan par la fidélité sans failles ni scrupule à l'entreprise qui remplaçait indirectement le Japon en tant que collectif auquel prêter allégeance. L'école militaire de Nakano est en quelque sorte un retour aux origines, quand avant le profit financier, les manipulations, les complots et coups bas servaient le drapeau dans le monde du renseignement. Le scénario s'inspire de réelle école de Nakano qui fut le principal centre de formation du renseignement militaire de l'armée impériale japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. Fondée en 1938 et dissoute en 1945, elle forma plus de 2500 agents qui en sortirent rompus à l'art du contre-espionnage, du sabotage, des opérations secrètes ou encore de la guérilla. Le film de Masumura mélange réalité et fiction pour dépeindre les premiers pas et coups d'éclats de l'école en observant la formation de ses élèves fondateurs.

Les pages d'actualités propagandistes ouvrant le récit agitent tous les fronts en cours et à venir pour le Japon, expliquant la nécessité d'une nouvelle réponse à ses menaces. Jiro (Raizô Ichikawa), un jeune officier de réserve va subir un curieux examen qui va l'amener à être sélectionné pour une mission secrète. Il va découvrir qu'il est, avec d'autres jeunes gradés d'élite choisi pour inaugurer une école d'espionnage basée à Nakano. Ils vont durant un an abandonner leur vie et leur identité pour acquérir à travers des disciplines physiques, intellectuelles et psychologique tout le bagage pour devenir de redoutables espions. Masumura alterne moment de vie où le groupe se soude avec la froideur de l'apprentissage où le savoir à maîtriser est aussi divers que l'art de la torture (à infliger ou à subir), l'ouverture de coffre-fort, les langues et la géopolitique. L'école est au départ une expérience dépourvue de moyens, vivant du mécénat militaire et seulement guidant par la fois de son directeur tandis que la conviction des élèves est plus vacillante. Parallèlement, Yukiko (Sachiko Murase), la jeune fiancée de Jiro inquiète de ne pas avoir de nouvelle se lance sans succès à sa recherche et décide d'intégrer le service de décryptage en tant que dactylo. Les deux intrigues vont bien sûr se rejoindre avec des conséquences tragiques.

Comme souvent au Japon et encore plus durant cette ère fasciste, le collectif prime sur l'individu et les élèves réfractaires sont rapidement ostracisé, écrasé psychologiquement (un suicide) voire physiquement (un seppuku contraint et forcé) par la force du groupe au nom de l'avenir de l'école. Le microcosme de l'établissement est une métaphore du Japon dont il s'agit de défendre les intérêts contre l'adversité extérieure. Masumura ne fait cependant pas de ses personnages des fanatiques décérébrés, qui sont conscients que le Japon est en grande partie responsable des menaces qui le guettent à cause de sa politique expansionniste à travers l'Asie. 

La flamme du patriotisme glacial naît ainsi d'une volonté de ceux se considérant comme l'élite de corriger les erreurs et de guider le pays dans la bonne direction. Il y a quelque chose de cérébral et d'habité à la fois dans l'union se faisant au sein des élèves qui se déploie peu à peu. On peut se demander si Arthur Harari a vu le film de Masumura tant le mimétisme est grand avec les scènes de formation de Onoda (lui-même passé par l'école militaire de Nakano) dans son magnifique Onoda, 10 000 nuits dans la jungle (2021) et qui offre une part d'explication à la folie guerrière qui guidera ce dernier.

Après cette longue mise en place, l'heure est à la pratique avec la périlleuse mission de décrypter les codes de transmission des Anglais. Avec les multiples enjeux en cours, Masumura ne conçoit pas un piège aussi virtuose que dans Black Test Car mais parvient néanmoins à captiver dans une sorte de Mission: impossible (la série tv débutant la même année aux USA, elle n'a pu avoir d'influence sur le film) avant l'heure ou du John Le Carré nippon en exploitant les failles et petits travers de chacun pour arriver à ses fins. La dimension à la fois ludique et glaciale du complot en trait de se faire s'estompe cependant quand les enjeux vont rejoindre la vie personnelle que Jiro pensait avoir laissé derrière lui. La dernière partie est saisissante de noirceur lorsque, sans trop en révéler, Jiro gagnera ses galons d'espion impitoyable en étant capable de sacrifier la dernière chose qui le liait à l'humanité. 

Masumura laisse le spectateur à sa stupéfaction et son dégoût sans le moindre effet dramatique appuyé, la situation cruelle et la fin d'une victime innocente suffisant à nous faire ressentir l'ampleur du pas franchit. La voix-off de Jiro tout au long du film et plus particulièrement durant la conclusion a cette hauteur détachée et déterminée nous montrant la transformation du personnage, tout en proposant en contrepoint les moments de fraternité exaltée des élèves désormais prêts à mettre en pratique leur savoir sur tous les fronts possibles. Mal interprétée, la fin où Jiro part plein de détermination vers la Mandchourie pourrait presque faire passer le film pour une œuvre de propagande - ce serait mal connaître la filmographie de Masumura qui renvoie tous le monde dos à dos vu l'aperçu des méthodes anglaises tout aussi peu recommandables. Néanmoins, le potentiel narratif est là et le film engendrera deux suites Nakano Army School: Top Secret Command de Tokuzô Tanaka (1967) et Army Nakano School: War Broke Out Last Night Akira Inoue (1968) où Raizô Ichikawa reprend son rôle.

Sorti en dvd japonais

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