Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 27 avril 2016

Le Livre de la jungle - Jungle Book, Zoltan Korda (1942)

Dans un village de l'Inde britannique, une jeune memsahib anglaise entend par hasard un vieux conteur, Buldeo, parler des dangers de la jungle. Elle lui demande de lui raconter une histoire et il raconte alors celle de Mowgli... Alors que Buldeo était plus jeune, les hommes décident de construire un village dans la jungle, empiétant sur la vie sauvage. Shere Khan, le tigre redouté, revenant sur ses terres de prédilection, rôde autour du village. Pendant ce temps, Mowgli échappe à la surveillance de ses parents pour se perdre dans la jungle. Son père part à sa recherche mais rencontrant Shere Khan, ce dernier le tue. Mowgli est recueilli par les loups qui le protègent du tigre, l’élèvent et lui apprennent le langage des animaux. Quelques années après, Mowgli, adolescent, est trouvé par des habitants du village.

Le livre de la jungle est une des productions qui permirent à Alexander Korda de conquérir Hollywood. Presque dix ans après le succès de La Vie Privée d’Henry VIII (1933) qui en fit le grand mogul du cinéma anglais, Alexander Korda s’imposait aux Etats-Unis grâce à un habile cocktail de féérie et d’exotisme. Ce sont deux productions mouvementées qui mèneront à cette adaptation du célèbre roman de Rudyard Kipling. Ayant laissé toute latitude au documentariste Robert Flaherty pour tourner sa première vraie œuvres de fiction Elephant Boy (1937), Korda constate avec effarement que le réalisateur a gardé ses habitudes de documentariste avec 55 heures de rushes sans fil narratif solide. Il rapatrie le tournage à Londres et confie la réalisation à son frère Zoltan Korda. Un sacré atout a cependant fait le voyage d’Inde en Angleterre avec l’enfant acteur Sabu. Sa complicité avec les éléphants, son charisme et charme exotique contribueront grandement au succès du film, Korda le mettant bien plus en avant dans le montage final. 

La graine de star alors âgée de douze ans passe avec aisance de cornac en Inde à apprenti acteur en Angleterre. Alexander Korda surfe donc sur cette popularité en en faisant l’acolyte espiègle du héros amoureux du Voleur de Bagdad (1940). Là encore la production chaotique verra se succéder six réalisateurs (Ludwig Berger, Michael Powell et Tim Whelan ainsi qu’Alexander Korda, Zoltan Korda et William Cameron Menzies non crédités) avec en point d’orgue un tournage terminé aux Etats-Unis pour des extérieurs rendus impossible en Europe avec l’entrée en guerre de l’Angleterre. Malgré cette gestation agitée, le résultat, merveilleux de poésie sera un grands succès aux Etats-Unis. Fort d’un nouveau filon avec cette féérie exotique et possédant une jeune star monte apte à l’incarner avec Sabu, Korda retarde son retour en Angleterre pour produire Le Livre de la jungle à Hollywood.

Le film emprunte aux différentes nouvelles mettant en scène Mowgli dans le livre sans être d’une totale fidélité - même si aux antipodes des libertés de la version Disney. Tout le film hésite entre la volonté d’un spectacle réaliste voulu par Alexander Korda et la pure fantaisie imaginée par Zoltan Korda. Le dépaysement de cette Inde et la jungle bariolée de studio allie habilement l’exotisme d’Elephant Boy et l’émerveillement du Voleur de Bagdad. Le merveilleux n’intervient pas par l’ajout d’un élément extérieur magique comme le génie de la lampe, mais plutôt de l’aura dont sont dotés les animaux bien réels tel des créatures de contes. La direction artistique fabuleuse de Vincent Korda excelle à opposer le village certes exotique mais réaliste à la jungle qui semble réellement nous emmener dans un ailleurs flamboyant. Les matte-painting donnent des proportions fabuleuses aux arbres, rendent la végétation plus foisonnante et introduisent des décors monumentaux et stylisée au cœur de cette nature avec ce palais aux trésors. 

On reconnaît le technicolor en plus et l’atmosphère inquiétante en moins pas mal des trouvailles formelle d’Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper dans leur légendaire King Kong (1933). Cependant tout cela ne fonctionnerait pas sans une narration habile pour nous introduire dans cet univers. C’est d’abord un conteur qui dépeint et parfois surligne l’action pour illustrer l’arrivée accidentelle de ce « petit d’homme » dans la jungle et son enfance auprès des loups. Les artifices s’estompent et la narration est plus immersive au fil du récit et de l’adoption du point de vue de Mowgli. Le merveilleux ne s’invite complètement que quand Mowgli guide le récit en acquérant la parole et assumant son aventure. Au départ il n’est qu’un indigène courant nu, incapable de communiquer et dont la voix-off explicite chaque intention. Après son séjour chez les hommes et l’acquisition du langage, l’empathie fonctionne permet l’introduction du merveilleux avec un vrai référent. 

L’habileté du montage de Charles Crichton ainsi que la conviction et le charisme de Sabu rendent limpides tous les échanges entre Mowgli et ses amis de la jungle. Contrairement à d’autres productions exotiques, y compris les plus nanties comme un Mogambo (1955), on ne repère aucun usage de stock-shot durant tout le film. On imagine le travail de dressage intense et le visionnage de rushes laborieux pour avoir pu avec autant de justesse saisir l’élégante déférence de la panthère noire Bagheera ou la nonchalance menaçante du cruel tigre Shere Khan. L’alchimie incroyable de Sabu avec les animaux aide aussi lors des scènes plus rapprochées avec les loups et bien sûr les éléphants. Les trucages n’interviennent que dans les moments les plus spectaculaires telles ces images collées lorsque Mowgli provoque Shere Khan ou lorsqu’il s’agit de faire apparaître un animal réellement fantastique. Le gigantesque et sage python Kaa est donc le seul animal doté de la parole et à l’attitude anthropomorphe, animé par une sorte d’ancêtre de l’animatronic. 

Alexander Korda était parvenu à glisser un semblant de message politique à travers le personnage de Jaffar - toute ressemblance avec le méchant du Aladin de Walt Disney n’est pas fortuite – incarné par Conrad Veidt, un tyran où on devinait les menaces pesant en Europe. Il en va de même mais de façon plus philosophique dans Le Livre de la jungle. L’homme y apparait irrémédiablement cupide et imparfait, suscitant des moments d’une surprenante noirceur avec une longue errance meurtrière en pleine jungle. Mowgli ne peut que tourner le dos à cette civilisation cupide, intolérante et guerrière dans un final spectaculaire et purificateur. Le score de Miklós Rózsa décuple encore la majesté des images de ce spectacle naïf, sincère et dépaysant. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Elephant Films 

lundi 25 avril 2016

Le Convoi des braves - Wagon Master, John Ford (1950)

Dans les années 1870, deux jeunes maquignons acceptent de conduire un convoi de Mormons vers la vallée de San Juan dans l’Utah. C’est vers cette "Terre promise" qu’ils souhaitent se rendre avec leurs biens et leurs aspirations afin d’y fonder une nouvelle colonie. Au cours de leur odyssée, ils vont devoir affronter maintes péripéties, accueillir au sein de leur austère communauté une maigre troupe de pathétiques saltimbanques et affronter de cruels hors la loi.

Wagon Master est une des œuvres les plus attachantes de John Ford, et une de ses favorites dans sa filmographie. Le récit prend un motif bien connu du western à savoir l’épopée de pionniers vers la « Terre promise » dans cet Ouest abritant un refuge pour tout américain en quête d’enracinement. Cela aura donné nombre de grands classiques tel que Convoi de femmes (1951) de William A. Wellman entre autres. Nous suivrons ici un convoi de mormons cheminant à travers le désert pour rejoindre la vallée de San Juan dans l’Utah pour fonder une communauté prospère sur ces terres fertiles. Les embûches rencontrées font parties des figures récurrentes du genre, entre un climat hostile, des indiens navajos ou une horde de dangereux bandits avec les frères Clegg. Pourtant Ford semble comme désamorcer tout le potentiel d’action, d’épreuve et de tension inhérent à une telle odyssée pour proposer un récit apaisé, nonchalant et presque ennuyeux pour celui venu chercher les sensations précitées.

Ce n’est pas l’adversité qui liera les voyageurs mais bien leur capacité à s’accepter, à s’entraider les uns et les autres. La notion de collectif et de solidarité domine l’ensemble du récit et la caractérisation des personnages. Les deux maquignons incarnés par Ben Johnson et Harry Carey Jr. acceptent ainsi de conduire les mormons sans arrière-pensée et à la seule vue de la difficulté qui les attends sans leur aide. Ford escamote un élément qui aurait rendu cet altruisme plus crédible, les deux personnages jouant leurs revenus au poker dans la scène précédente. La perte de leur mise aurait justifié le bon geste mais au contraire ils gagnent et c’est de leur plein gré qu’il s’engage dans l’odyssée. Un tel stratagème aurait développé une forme d’individualisme pour les deux personnages alors que Ford fait reposer l’équilibre du convoi sur une harmonie qui coule de source, où chacun a choisi d’être là et prêt à s’y fondre. Le convoi est une entité aux personnalités contrastées néanmoins mais marchant toutes dans le même sens. 

Ford esquisse chacun des voyageur avec sa bonhomie coutumière notamment un Ward Bond déterminé et colérique mais là aussi toujours ramené à la raison quand il s’emporte, que ce soit par le révérend lorsque les jurons pleuvent ou tout simplement par les évènements tel cette invective injuste pour son cheval qui se cambre pour le protéger des sables mouvants. Les éléments extérieurs sont vites ramenés à la raison par le regard accusateur du collectif (le docteur usant de l’eau rare dans ce désert pour se raser) mais aussi par des sentiments naissants avec la romance s’esquissant entre Ben Johnson et Joanne Dru. Un Howard Hawks se serait régalé de l’opposition entre le convoyeur rustaud et la saltimbanque séductrice mais là aussi Ford ne s’y attarde pas. Les regards, attitudes et allusions font comprendre l’amour naissant, les difficultés à l’exprimer se dévoilent par un simple éloignement du collectif (Joanne Dru fuyant la demande en mariage de Ben Johnson) et son accomplissement passe par la seule image avec Joanne Dru et Ben Johnson côte à côte dans le charriot à la fin.

Un tel traitement aurait pu rendre l’ensemble austère mais John Ford déploie un lyrisme apaisé qui irrigue l’ensemble du film. Les magnifiques décors naturels n’écrasent jamais les voyageurs de leur majesté mais semble les accompagner, bien présents mais jamais oppressant ni hostile – voir la rapidité avec laquelle est réglée l’évocation de la soif. Le film reste constamment à hauteur d’hommes, l’imagerie grandiose ne s’invitant que pour célébrer ce collectif dans les somptueux plans d’ensemble où la communauté s’avance dans le décor sous une lumière diaphane en entonnant des chants traditionnels. Ford développe son traitement progressiste des indiens amorcé dans Le Massacre de Fort Apache (1948) ces derniers représentant ce type d’entité unie par excellence. Les Clegg, bandits en fuite qui vont intégrer le convoi sont définis bien plus sommairement dans leurs attitudes et allures dégénérées, une anomalie à châtier et à éliminer – avec la patience d’une maladie infectieuse, voir l’attente de l’isolement du collectif justement pour s’en débarrasser. Une œuvre passionnante, apaisée et d’une grande subtilité sous ses contours simples. 

Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse 

 

vendredi 22 avril 2016

Everybody Want Some!! - Richard Linklater (2016)

Dans les années 80, suivez les premières heures de Jake sur un campus universitaire. Avec ses nouveaux amis, étudiants comme lui, il va découvrir les libertés et les responsabilités de l’âge adulte. Il va surtout passer le meilleur week-end de sa vie…

Les meilleurs films de Richard Linklater reposent souvent sur la notion de temporalité. Celle-ci peut à la fois rallonger les apartés amoureux et espacer les retrouvailles du couple Julie Delpy/Ethan Hawke dans la magnifique trilogie Before Sunrise (1995), Before Sunset (2005) et Before Midnight (2013). A l’inverse le passage vers l’âge adulte de Boyhood (2014) capturera les instants de vie dans un ensemble plus vaste, intimiste et ambitieux. Linklater se plaît à jouer sur cette temporalité pour illustrer à la fois une évolution et/ou saisir une attente, le sentiment d’un moment bien défini. C’est précisément à cela qui s’attelait dans un de ses plus beaux films, Dazed and Confused (1993) où il observait les pérégrinations d’un groupe d'ado le dernier jour de lycée 1976.

Everybody want some en constitue une sorte de prolongement tout aussi réussi. Linklater y renoue avec la dimension autobiographique et rétro (l’histoire se déroulant en 1980) ainsi que l’unité de temps et de lieu avant un moment décisif pour les personnages. Dazed and Confused questionnait la fin d'un âge et ses doutes, Everybody want some le début d'un autre et ses espérances dans le cadre d’un weekend de pré rentrée à la fac. Notre héros Jake (Blake Jenner) va intégrer l’équipe de base-ball universitaire découvrir la vie en communauté avec ses futurs coéquipiers.

Ce cadre sportif est propice aux différentes ruptures de ton d’un film constamment léger et dont la profondeur se déploie progressivement. Ces jeunes hommes en rut et toujours en recherche de la conquête d’un soir expriment donc la solidarité et l’avancée en meute qui devrait constituer leur union sportive à travers les techniques de dragues astucieuses, maladroites et pathétiques de chacun. On s’observe, se soutient, se moque et se bat ensemble dans une délicieuse ambiance vintage où la visite de boite de nuit disco, country, d’un concert punk ou d’une soirée arty témoigne aussi sous la futilité de l’hésitation à quoi s’identifier dans ces futures années de fac. Sous les forfanteries et la camaraderie virile permanente, les personnages et en particulier Jake voient leur statut de sportif comme un atout, un mal nécessaire ou un poids. La légèreté et les échanges potaches dissimulent un esprit de compétition permanent dont certains s’accommodent car vivant au jour le jour, certains ayant des espoirs de carrière professionnelle étant beaucoup plus impliqués tandis que d’autres comme Jake semblent chercher autre chose qu’ils ignorent encore. L’ensemble du casting déborde de charisme et d’énergie, Linklater caractérisant avec brio une dizaine de protagonistes de manière fluides et dans le mouvement perpétuel. 

Chacun a donc droit à son moment, les aspirations se révélant dans l’hédonisme et la futilité de façade. L’hésitant Jake est rendu volontairement plus terne par le réalisateur pour exprimer ses doutes et mieux faire exister ses camarades haut en couleur et reflétant les thématiques du film. La peur de grandir s’incarnera avec l’amateur d’herbe détendu Willoughby (Wyatt Russell) – sorte de jumeau immature du  Matthew McConaughey de Dazed and Confused -, l’insouciance maline avec Finn (excellent Glen Powell), l'esprit de compétition dans son versant positif à travers McReynolds (Tyler Hoechlin imposant une belle présence) ou plus problématique avec le très agité Jay (Juston Street). Tout cela s’exprime en filigrane sans être appuyé si ce n’est dans la seule séquence sportive du film, une scène d’entraînement superbement filmée où se concentrent de façon exacerbée toutes les attentes contradictoires des personnages.

Linklater laisse la magie se déployer lorsqu’il donne un tour indistinct à cette attente de quelque chose. Ce sera notamment par le sentiment amoureux naissant entre Jake et Beverly (Zoey Deutch), le scénario orchestrant la rencontre par d’heureux hasards et de charmante tentative de séduction – le sportif supposé lourdaud allant en toute timidité coller une lettre sur la porte de sa dulcinée. Pas d’aparté amoureux cassant l’ambiance pourtant, le mouvement et le dialogue guidant le rapprochement (la logorrhée étant décidément l’idéal pour nouer les liens chez Linklater comme dans Before Sunrise et Before Sunset) et créant la complicité notamment par un premier échange au téléphone. Dès lors quand les moments partagés se font plus silencieux, on devine qu’un même sentiment les lie et rend l’éloquence inutile. 

Linklater escamote le côté charnel trop prononcé (alors que le reste du film est sexy à souhait avec ces look 70’s/80’s tapageurs des jeunes filles, les moustaches et torses velus des garçons) dès lors que l’amour entre dans la danse, un baiser et une coucherie qu’on suppose plus que l’on ne voit – là aussi renouant avec la construction de Before Sunrise – suffisant à tout faire comprendre par la seule image et les attitudes. Le récit s’arrête pile au moment du premier cours sur le sourire béat de Jake. Il ne sait pas de quoi l’avenir sera fait mais ne sera pas balisé par les seuls cours, matchs de base-ball et les fêtes. Cette dernière nuit avant le saut dans le vide aura rendu le futur plus charmant et incertain. C’est aussi cela l’entrée dans l’âge adulte semble nous dire Linklater, des possibilités encore infinies.

En salle 

mercredi 20 avril 2016

The Mind Reader - Roy Del Ruth (1933)

Chandler se fait passer pour un voyant sous le pseudonyme de "Chandra" afin de gagner de l'argent facilement. Le charlatan se met alors à prédire l'avenir. Mais très vite, il tombe sous le charme d'une de ses victimes, Sylvia, et la vérité ne tarde pas à éclater...

The Mind Reader est un Pré-Code où plane comme souvent l'ombre de la Grande Dépression. L'absence de scrupule comme la naïveté désespérée se conjuguent à travers l'escroquerie bien rôdé du "voyant" Chandler/Chandra, le contexte justifiant sa roublardise tout comme la crédulité de ses clients se raccrochant à ses prédictions en ces temps incertains. C'est dans un premier temps l'humour qui s'invite dans cette vision des pérégrinations frauduleuses de Chandler. Plutôt que d'aller en quête d'un job qui se fait rare, l'arnaque est encore le moyen le plus amusant et efficace pour s'enrichir et on s'amuse beaucoup de l'astuce et du folklore mystérieux déployé par notre héros et ses complices. Le détachement amusé domine, d'autant que les boniments demeurent sans conséquences. La culpabilité rattrapera Chandler lorsqu'il tombera amoureux de Sylvia (Constance Cummings) une de ses victimes crédules qui finira par le démasquer.

Le ton bascule ainsi progressivement alors qu'au départ l'arnaque était une échappatoire rieuse pour les escrocs et une forme malgré tout de spectacle illuminant le quotidien pour les victimes. Désormais en souffrance dans une vie trop sage d'homme marié, Chandler s'échappe dans le crime par pur égoïsme plus que par la nécessité initiale pour des dommages collatéraux plus dramatiques. La drôlerie est bien plus acide avec une voyance bien renseignée sur l'infidélité des maris volages avec quelques moments savoureux de flagrant délit. Mais à briser des ménages par jeu Chandler voit le sien se déliter par ses mensonges et causer un drame inattendu.

La rédemption de Chandler semble correspondre à un changement d'ère plus morale, Roy Del Ruth ne jugeant jamais ses personnages qui conservent un capital sympathie en dépit de leurs mauvais coups. L'heure n'est plus à arborer une distance rieuse fac à la crise mais à un refuge dans la famille que cette insouciance menace. Tout en prônant une sorte de retour moral, c'est surtout la nostalgie des bons moments passés qui se ressent dans la conclusion, le duo de filous entre Chandler et Frank (excellent Allen Jenkins) constituant finalement le vrai couple du film.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

Extrait

mardi 19 avril 2016

Au nom du pape roi - In nome del papa re, Luigi Magni (1977)

En 1867, l’Etat pontifical romain en guerre contre les troupes de Garibaldi subit un attentat dans lequel 23 zouaves trouvent la mort. La comtesse Flaminia, mère naturelle de Cesare Costa, un des trois terroristes immédiatement arrêtés, vient trouver Monsignor Colombo, un juge du Sacré Conseil, pour qu’il lui vienne en aide. Pour le convaincre, elle lui révèle qu’il est le père de Cesare, né d’une relation éphémère. Colombo fait libérer Cesare mais se trouve confronté à un cas de conscience : peut-il favoriser un accusé et laisser condamner les deux autres ?

Au nom du pape roi est dans la filmographie de Luigi Magni le point central d’une trilogie constituée de Les Conspirateurs (1969) et le plus tardif Au nom du peuple souverain (1990). Ces trois films se caractérisent par une thématique qui court sur toute la filmographie de Magni à savoir l’histoire romaine, l’unité du cycle étant symbolisé par la présence de Nino Manfredi. Magni situe son récit dans l’Italie agitée d’avant la réunification de 1870 et prend comme point de départ l’ultime exécution réalisée par l‘Etat Pontifical romain sur les deux révolutionnaires Gaetano Tognetti et Giuseppe Monti, coupable d’un attentat ayant décimés 23 zouaves. Le réalisateur introduit de manière assez limpide ce contexte historique complexe auquel va rapidement se mêler la fiction.

Il ajoute un troisième comparse aux deux terroristes, Cesare Costa (Danilo Mattei), fils naturel de la comtesse Flaminia (Carmen Scarpitta). Pour sauver son fils de l’échafaud, elle va apprendre sa filiation à Monseigneur Colombo (Nino Manfredi), juge du Sacré Conseil et apte à faire libérer le jeune homme. La prestation truculente de Nino Manfredi (notamment dans la relation d'amour vache avec son domestique) ramène le récit à une dimension plus humaine et intimiste. Colombo las de cette tâche ingrate et conscient de la fin de cet état de fait s’apprête au début de l’histoire à donner sa démission pour redevenir simple curé. Cette attitude dénote un détachement face au chaos et les évènements vont constituer un éveil et un engagement face aux injustices en cours.

Alors que ses relations vont rapidement lui permettre de placer Cesare à l’abri, il culpabilisera face à la justice sommaire initiée par le Vatican pour les deux autres prisonniers abandonnés à leur sort. Le début film dévoile déjà le dégoût de son ordre du personnage (l’anecdote sur des zouaves ayant égorgés une révolutionnaire enceinte) mais cette implication personnelle va le forcer à affronter la situation plutôt que de s’en éloigner. Le pragmatisme éteint de Colombo est bousculé par la fougue révolutionnaire de Cesare lors d’intenses et amusantes confrontations. Quand Colombo mais aussi la comtesse Flaminia par son mariage noble auront traversé ces années d’agitation en rentrant dans le rang, Cesare prêt à mourir pour la cause semble bien plus vivant que ses deux parents. 

Au détachement de Colombo qui lui conseille la fuite et à l’amour aveugle ne cherchant qu’à le sauver répond donc la colère et l’ardeur juvénile de Cesare guerroyant et aimant (la scène d’amour aussi charnelle que candide dans la cave) avec une égale intensité. A cette jeunesse s’oppose l’entité sclérosée et tyrannique du Vatican. Luigi Magni en fait une description où s’affirme une satire mordante et glaçante le temps d’une scène de procès où des vieillards séniles décident de la vie d’autrui dans une connivence détachée. Cela s’exprimera aussi par la seule force des images avec les tableaux oppressants et guerriers de l’ordre des jésuites, notamment l’entrée des quartiers du « pape noir » dominée par deux immenses statues de squelettes armés - et cela annoncé dès le générique dessiné avec ses images de prêtre se livrant à la violence.

Appartenant à ce Vatican où il ne se reconnait plus et lié par cette filiation inattendue à ces révolutionnaires qui le méprise, Colombo fera le choix du cœur plutôt que d’une cause. Luigi Magni scrute ce contexte du passé en ayant à l’esprit celui plus concret de l’Italie d’alors rongée par les soubresauts des Années de Plomb. Même si dans le film toutes les violences mèneront à une impasse morale ou mortelle, Magni fait bien la différence entre ayant pour but d’écraser les faibles de l’église et celle cherchant simplement à se défendre de cette tyrannie des jeunes révolutionnaires. 

Leur inconscience les rapproche des militants d’extrêmes gauche de l’Italie des 70’s qui pensaient se trouver dans une même situation d’oppression et renouaient avec un terrorisme qui ne se sera finalement justifié (comme l'explique très bien Jean A. Gili dans les bonus du dvd) que pendant l’Occupation allemande lors de la Deuxième Guerre Mondiale. Sans renvoyer tout le monde dos à dos, Magni explicité subtilement la situation et les motivations notamment lors de la superbe scène de discours de Colombo au tribunal. Ce n’est pas pour une cause que s’engage Colombo mais contre la barbarie, ramené à une prise de conscience par ce fils mais aussi par CES fils lorsqu’il est confronté à la détresse d’une mère et d’une épouse voyant leurs hommes condamnés. La scène finale magistrale montre le chemin parcourus après les drames, Colombo affirmant son libre arbitre et sa compassion pour les morts injustes. 

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 vidéo

lundi 18 avril 2016

Dance Hall - Charles Crichton (1950)


Histoire de quatre ouvrières et leurs diverses aventures dans une salle de danse londonienne....

Dance Hall est une production assez oubliée du studio Ealing dont l'approche inédite restera sans lendemain au vu de son insuccès. Le film est en effet un des rares Ealing adoptant un point de vue féminin à travers une trame se préoccupant justement de la place de la femme dans cette Angleterre d'après-guerre. Le contexte avait conduit à une certaine autonomie des femmes avec les hommes au front et ces dernières contribuant à l'effort d guerre en usine. Dance Hall nous montre la situation complexe de l'après-guerre où les femmes sont déchirées entre un retour au statut de ménagère soumise et des aspirations à une autre vie qu'elles ont entrevue durant cette période sans hommes.

Dans le film, une salle de danse londonienne sera le vecteur de ces désirs contradictoires. C'est là que se retrouvent les quatre ouvrières Eve (Natasha Parry), Carole (Diane Dors), Georgie (Petula Clarke) et Mary (Jane Hyton). Entre les contraintes de l'usine et un foyer parental qu'elles ne pourront quitter que par le mariage, la salle de danse représente leur seul vrai espace de liberté. C'est là que le scénario situe tous les rebondissements, la semaine ne constituant qu'un interlude au moment où ces jeunes femmes se sentent réellement vivre, le weekend sur la piste de danse.

Les attentes sont très différentes pour chacune des héroïnes. Eve retrouve au dance hall le ténébreux Alec (Bonar Colleano), séducteur glacial mais plus excitant que son fiancé plus terre à terre Phil (Donald Houston). Georgie rêve elle d'une carrière de danseuse en gagnant le concours organisé au dance hall tandis que Carole n'aspire qu'à y trouver un mari. La justesse de la caractérisation laisse deviner que le scénario a été écrit par une femme, en l'occurrence Diana Morgan qui le cosigne avec Alexander Mackendrick. Le regard aurait été encore plus juste si elle en avait assuré la réalisation (dans la logique de promotion de Ealing puisqu'on lui doit d'autres scripts fameux comme celui de Went the day well (1943)) mais Michael Balcon préférera la confier à l'efficace Charles Crichton.

Le film interroge sur des thématiques novatrice et propose nombres de séquences fortes où les jeunes femmes se confrontent au limites entre leur statut et leur rêves, Eve subissant des crises de jalousie injuste à chaque échappée au dance hall et Georgie nourrissant une culpabilité face à ses parents durant les concours de danse. Cela ne va cependant pas plus loin avec un retour dans le rang final qui évite la mièvrerie grâce au charme des actrices. Petula Clark trouve son premier rôle adulte après ses débuts d'enfant star et est très touchante, Diana Dors impose déjà sous une forme plus légère ses atours de vamp et Natasha Parry campe un personnage assez poignant dans ses hésitations. La presse britannique sera assez injuste avec le casting, estimant les actrices trop glamour et pas crédibles en héroïnes working class.

Autre point fort, les formidables scènes de bal. La caméra de Charles Crichton explore le décor splendide du sol au plafond, les travellings capturent dans le mouvement les figures des danseurs et la frénésie de l'orchestre (The Geraldo Orchestra pour les amateurs) alternent avec l'excitation du public dans un ensemble dynamique. La photo de Douglas Slocombe sait cependant donner un contour plus inquiétant aux lieux au fil des déconvenues rencontrées par les héroïnes. Une œuvre intéressante dont les qualités seront reconnues au fil des décennies, notamment lorsque Terence Davies en vantera les mérites dans les années 90.


Sorti en dvd zone 2 anglais chez Studiocanal et doté de sous-titres anglais

samedi 16 avril 2016

Le Bouc émissaire - The Scapegoat, Robert Hamer (1959)

L'anglais John Barratt visite la France. En se baladant dans les rues du Mans, il croise son sosie. La ressemblance entre les deux hommes est tellement extraordinaire qu'ils passent ensemble une soirée bien arrosée. Le lendemain matin, Barratt se réveille dégrisé dans une chambre d'hôtel, et s'aperçoit affolé qu'il a été dépouillé de ses vêtements et de son identité. Il est devenu son sosie : le Comte Jean de Gué. Son histoire est tellement invraisemblable que personne ne veut y croire. Barratt se retrouve acculé à vivre la vie d'un autre, une vie qui lui réserve quelques surprises...

Robert Hamer retrouvait Alec Guinness pour la quatrième fois avec The Scapegoat, adaptation d'un roman de Daphné Du Maurier. On devine ce qui a pu attirer le réalisateur et sa star dans le matériau original. Pour Alec Guinness c'est l'occasion de se livrer à un nouvel exercice de dédoublement entre le solitaire et humaniste John Barrat et séducteur et égoïste Jean de Gué. Pour Robert Hamer il y a matière à scruter à la manière de son Noblesse Oblige (le cynisme en moins) la décadence de la haute société à travers cette description d'une famille fort torturée de noble français. Le film pèche par un vrai parti pris d'adaptation. Le roman de Daphné Du Maurier plongeait une âme suicidaire au cœur d'une famille au penchant autodestructeur et au lourd passé, et John Barrat reprenait gout à la vie en endossant les responsabilités qui accablait son double car se sentant enfin utile.

Le roman était une vraie étude de caractères où le vide intérieur du héros suicidaire se nourrissait des maux de sa famille d'adoption pour renaître en les guérissant. Robert Hamer reprend cette idée dans le film mais avec un acteur aussi charismatique qu'Alec Guinness (à l'insistance de Daphné Du Maurier alors que la production envisageait Cary Grant) la lumière est bien plus placée sur lui que sur le défilé de névrosés que constituait la famille dans le roman. Les protagonistes sont réduits ou simplifiés, Bette Davis en matriarche morphinomane et la jeune et pétillante Annabel Bartlett s'imposent donc mais ce choix simplifient la portée de certains rebondissements qui suivent fidèlement le roman dont il aurait fallu mieux assumer de s'éloigner.

L'autre déséquilibre est d'avoir greffé une tonalité de thriller absente du livre et qui surgit sans trop d'explication au début et la fin du film. La rencontre entre John Barrat et son sosie Jean de Gué est introduite dans une logique d suspense à travers les jeux d'ombres dans la filature nocturne et l'attitude lus ouvertement inquiétante de Jean de Gué. La confrontation finale sera nettement mieux gérée mais gâchée par un épilogue un peu expédié. Du coup l'aspect social et humaniste du livre est tout juste survolé et la volonté de thriller du film pas assez appuyée. Les deux facettes auraient cependant pu fonctionner en laissant plus la narration respirer quand tout file ici trop vite en 90 minutes à peine qui ne laissent pas l'atmosphère s'installer. On peut sans doute imputer cela à l'alcoolisme de plus en plus aggravé de Robert Hamer parfois incapable de tourner et qui laissera le filmage de certaines scènes à Alec Guinness.

Ce dernier sauve le film par son épatante double performance. Lors de la première entrevue des sosies, il les différencie par son jeu subtil notamment ce passage où la présence penaude de John Barrat ne parvient pas à attirer l'attention d'un barman quand le charismatique Jean de Gué s'impose d'un simple geste de la main. Faute d'antagonistes consistant (le personnage de Blanche passionnant dans le livre et pourtant incarné par l'excellente Pamela Brown n'existe pas vraiment) l'argument du livre est inversé, la bonhomie et bienveillance de l'imposteur transformant les membres de la famille plutôt que les problèmes de cette dernière éveillant son empathie. Pas inintéressant mais pas assez creusé pour convaincre, dommage mais le livre se prêtait sans doute mieux à une adaptation en feuilleton tv. Une adaptation plus récente a d'ailleurs été produite par la BBC, à tenter éventuellement.

Sorti en dvd zone 1 (mais le disque est multizone) chez Warner dans la collection Warner Archives et sans sous-titres 

On comprend un peu le problème avec cette bande annonce jouant essentiellement sur le suspense