Dans les années 1930, Maria et Nora, deux
jeunes filles d'Europe centrale, sont contraintes de quitter leur pays
pour se réfugier à Londres, loin de la menace dictatoriale qui a coûté
la vie à leur père. Sept ans plus tard, Maria retrouve, au hasard des
rues de Paris, son premier amour. S'ensuit alors une quête périlleuse de
justice, qui compromettra les deux jeunes soeurs...
Secret People est un film d'espionnage
brillant qui s'inscrit dans le versant plus sombre des productions
Ealing, alors que la comédie commence à être le genre de prédilection du
studio. On doit sa genèse au méconnu Thorold Dickinson, réalisateur
talentueux mais souvent entravé dans des projets où il n'avait pas
toujours la main au scénario ou la production. En 1940, Dickinson se
rend au War Office britannique en attente d'une production visant en ces
temps de guerre, à prévenir la population de tenir des discours
dangereux. Dickinson rencontre à cette occasion Michael Balcon patron de
la Ealing, studio pour lequel il put parfois être monteur.
Les deux
hommes sympathisent et il en naîtra l'excellent thriller Next of kin
(1942) répondant au cahier des charges du War Office. Durant ses
recherches pour ce film, Dickinson observe les méthodes de la police et
découvre certaines affaires singulières à laquelle elle peut être
confrontée comme les pressions que peuvent mettre les organisations
politiques secrètes sur les quidams qui les intègrent parfois de force, et
l'emprise mentale exercée sur eux. Le sujet intéresse Dickinson qui
décide d'y consacrer un film. Il mettra près de dix ans à écrire le
scénario et trouver un financement pour le projet, trouvant à nouveau
refuge au sein de la Ealing de Balcon qui voit en Dickinson un sang neuf
bienvenu pour le studio.
On suit le destin de deux sœurs, Maria (Valentina Cortese) et Nora
(Audrey Hepburn), filles d'un intellectuel activiste d'un pays (qu'on
suppose d'Europe de l'est) soumis à la dictature et qui se sentant
menacé les confie à son ami Anselmo (Charles Goldner) installé à
Londres. Les années passent, les sœurs deviennent citoyennes
britanniques, et si Nora fait son chemin dans sa carrière de danseuse,
Maria végète car vivant dans le souvenir de son père assassiné et aussi
de celui de son collaborateur le plus proche qui fut également son
fiancé, Louis (Serge Reggiani). Le recroisant au hasard d'un voyage à
Paris, Maria va être entraînée dans une spirale infernale par les
accointances politiques douteuses de Louis qui flatte ses désirs de
vengeance en organisant l'assassinat du bourreau de son père. Thorold
Dickinson tisse un suspense au cordeau où se tiennent en parfait
équilibre la tension psychologique et le pur suspense de thriller
d'espionnage.
L'ambiguïté et la duplicité que dégage Serge Regianni
jette un trouble sur les retrouvailles avec Maria, ainsi que sur toutes
les séquences romantiques plus légère où leur lien rompu se renoue.
Chaque geste, sourire et action de Louis semble calculé et viser des
desseins plus lointains et inquiétants. Le début lumineux du film qui
voit les sœurs passer de l'angoisse de leur dictature au bonheur d'une
vie nouvelle, marqué par l'atmosphère bienveillante qu'Anselmo cherche à
poser pour elles après leurs épreuves. L'introduction du personnage de
Louis fait basculer la photo de Gordon Dines dans le clair/obscur tant
que l'on ne connaît pas exactement ses intentions, mais que sa seule
présence distille le doute. Lorsque son plan se dévoile (faire de Maria
la porteuse d'une bombe destinée à tuer le dictateur de passage à
Londres), c'est une plongée dans le cauchemar ininterrompue.
Même si l'on y pense forcément un peu, Dickinson sait se différencier de l'approche expressionniste du Carol Reed de Huit heures de sursis (1947), Le Troisième homme (1949) ou L'Homme de Berlin
(1953). Il ne se repose pas sur les cadrages déroutants mais cherche à
poser une ambiance hallucinée adoptant le point de vue de Maria
découvrant un monde sordide qui lui est inconnu. Le sommet est
certainement la scène où elle est interrogée par l'organisation et où le
verbe sec, répétitif et menaçant suffit à expliciter la menace. Les
visages de ses interlocuteurs sont soit escamoté par le découpage qui
s'arrête à leur pied ou à leurs mains, soit masqué dans l'obscurité de
la pièce.
L'idée formelle la plus brillante est de placer la silhouette
de Louis en arrière-plan de Maria apeurée, et la confiance en cet être
aimé s'évanouit tandis que la lumière de sa cigarette alternativement
apparaître/disparaître son visage avant de s'évanouir complètement dans
les ténèbres. On reconnaît bien là le talent de Dickinson pour instaurer
une tonalité à la lisière du fantastique en se pliant au point de vue
terrorisé de ses protagoniste, notamment dans un remarquable flashback
de la séquence d'attentat.
C'était le cas dans Gaslight (1940) remaké plus tard par George Cukor avec Hantise (1944), ou La Reine des cartes (1949) excellente adaptation de La Dame de pique
de Pouchkine. On appréciera les touches scabreuses subtilement amenées
(Louis qu'on devine avoir couché avec l'innocente Nora après l'avoir
manipulée à son tour) et l'emphase mélodramatique assumée de la dernière
partie qui sert parfaitement la noirceur du récit. Le film ne
rencontrera malheureusement pas le succès à sa sortie et ce sera
l'avant-dernier long-métrage de Dickinson qui se consacrera ensuite à la
production et à l'enseignement. Le film a néanmoins une importance
considérable dans l'histoire du cinéma. Au moment du tournage, William
Wyler se trouve à Rome où il fait des repérages pour son futur Vacances Romaines
(1953). Dickinson lui envoie alors les essais de la toute jeune Audrey
Hepburn qui convainquent à la fois Wyler de l'engager pour son film,
mais aussi la Paramount de lui faire signer un contrat. La suite est
connue !
Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Films
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