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jeudi 12 septembre 2024

J'ai tué Jesse James - I Shot Jesse James, Samuel Fuller (1949)


 Le destin de Bob Ford, membre de la bande de Jesse James, qui abattit ce dernier dans le dos pour obtenir son amnistie et démarrer une nouvelle vie.

Après des débuts en tant qu'écrivain et journaliste, Samuel Fuller met un pied à Hollywood où il tente de se faire une place en tant que scénariste. Ces débuts sont interrompus par son engagement dans 1re division d'infanterie américaine au cours de la Seconde Guerre mondiale, en tant que soldat et reporter de guerre pour une expérience qu'il relatera plus tard dans Au-delà de la gloire (1980). Il végète à son retour, ne parvenant pas à imposer ses scénarios alors qu'il est employé par Warner. Il va néanmoins parvenir à convaincre Robert L. Lippert, petit producteur indépendant, de financer son script de J'ai tué Jesse James en échange d'un salaire dérisoire. Le film va ainsi marquer les débuts d'une impressionnante carrière. 

La figure de Jesse James avait connu une récente transposition cinématographique avec le diptyque Le Brigand bien-aimé de Henry King (1939) et sa suite Le Retour de Frank James de Fritz Lang (1940). Ces œuvres, romanesque et spectaculaire à souhait pour le King, plus rugueuse avec le Lang, étaient des odyssées pleines de bruit et de fureur avant tout centrées sur la fratrie des James. J'ai tué Jesse James fait le choix d'un film plus introspectif et, si l'ombre de Jesse James plane au-dessus du récit, celui-ci se concentre avant tout sur l'après et le destin du traitre Robert Ford. Bien plus tard une œuvre comme L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford de Andrew Dominik (2006) creusera aussi ce sillon en plaçant à égale importance le hors-la-loi et son meurtrier en dépeignant leur relation complexe.

Ici Samuel Fuller nous dépeint un Jesse James et ses acolytes comme en fin de parcours, lassés par des années de périls et de cavales. La scène d'ouverture nous montre un hold-up qui tourne mal, sans butin et avec blessures pour Robert Ford (John Ireland), forcé de se réfugier chez Jesse James et sa famille. Nous découvrons un James (Reed Hadley) usé, mais incapable de se ranger et sortir de sa routine criminelle malgré les reproches de son épouse. Fidèle protégé de Jesse James, Robert Ford voit cependant une porte de sortie avec la possibilité d'amnistie en livrant son mentor. Samuel Fuller interprète cependant le motif de cette funeste trahison comme motivée par l'amour, Ford espérant enfin pouvoir épouser Cynthy (Barbara Britton), belle actrice lasse de l'attendre. L'assassinat est filmé dans un mélange d'urgence, de tension et d'une vraie volonté de figée l'image connue et légendaire de Jesse James confiant et tournant le dos à Robert Ford qui va l'abattre froidement. 

Ce qui devait être une libération va cependant tout faire dérailler pour Ford. Son acte avait pour but de se construire un cocon intime ou l'amour de Cynthy pourrait se substituer aux amitiés viriles du gang, mais cette dernière horrifiée par son geste se détourne peu à peu de lui sans qu'il le comprenne. S'il a éloigné la menace de la loi, Ford en a malgré lui créé une plus vaste puisque désormais il est la cible des pistoleros en quête de notoriété, d'un Frank James avide de vengeance, ou de fidèles nourrit de l'aura de Robin des bois de l'ouest entourant Jesse James. Samuel Fuller confronte le mythe en construction à la réalité au dépend de Robert Ford, forcé d'entendre la chanson folklorique célébrant James et le dévalorisant, ou en devant rejouer son geste meurtrier dans les salles de spectacles pour quelques dollars.

John Ireland est remarquable, témoignant sous ses airs menaçant d'une belle vulnérabilité. On ressent tout au long du récit profond remord pour son acte, se croisant au dépit progressif de voir se dérober à lui la raison qui l'a motivé. On se surprend à ressentir davantage d'empathie pour Ford que pour Cynthy se détournant de lui après son "sacrifice". Tant qu'il semble promis à l'amour de la jeune femme, Ford assume l'opprobre publique, le danger et sa nature de paria, mais tout s'effondre bientôt. Son rival amoureux John Kelley (Preston Foster) se présente d'ailleurs de façon cruelle comme son inverse idéalisé, incarnation de la droiture sans faille et de la virilité assurée lors des différents morceaux de bravoure le mettant en scène. 

Au contraire les quelques actions de "rachat" de Ford son estompée dans la narration et entourée d'ambiguïté (le coyote qu'il abat pour sauver le prospecteur mais Fuller laissant croire qu'il allait l'assassiner, le sauvetage de Kelley durant la bagarre au saloon). Toutes ces tourments et contradictions culminent lors du duel final, confrontant Ford à son passé coupable (l'impossibilité d'abattre son adversaire dans le dos) et à son futur brisé. Cette impasse est symboliquement visible par les contrechamps sur Ford plongé dans le noir durant le duel, alors que les plan d'ensemble montre que la séquence se déroule en plein jour. J'ai tué Jesse James est une belle réussite de western intimiste, posant déjà le talent de Samuel Fuller même si le film ne sera pas un succès. 

Sorti en dvd zone 1 chez Criterion ou visible en streaming sur Cine+/OCS 

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