Tout juste évadé de prison, Gohelle
cherche à quitter le pays. Dans le train, il fait la rencontre d'un
certain Alain Ginestier, visiblement fortuné. Gohelle a alors l'idée de
demander à sa charmante maîtresse - Marie-Ange - de charmer ce pigeon
idéal. Mais elle va tomber dans son propre piège et s'éprendre du
millionnaire.
Voyage sans espoir est un flamboyant mélodrame qui marque la rencontre entre le film noir et le réalisme poétique. Le film est un remake de Les Amants de minuit
de Augusto Genina (1931) produit par Roger Richebé au sein des
Établissements Braunberger-Richebé, société qu'il codirigeait alors avec
Pierre Braunberger. Au début des années 40 et désormais seul maître à
bord des Films Roger Richebé, le producteur se rend compte qu'il possède
toujours les droits du film et décide d'en signer un remake. Il en
confiera le scénario à Pierre Mac Orlan, sorte de père spirituel du
réalisme poétique depuis la merveilleuse adaptation que tirèrent Marcel
Carné et Jacques Prévert de son roman Quai des brumes
(1938). Roger Richebé pensait au départ réaliser le film lui-même mais
désormais pris par ses responsabilité de dirigeant du Comité
d'organisation de l'industrie cinématographique (ancêtre du CNC crée
conjointement par les français et les allemands sous l'Occupation) il
devra en confier la direction à Christian-Jaque. Celui-ci avait réussi
depuis plusieurs années déjà à se sortir de l'ornière des comédies
populaire à succès avec Fernandel grâce à des réussites majeures comme La Symphonie fantastique (1942) ou L'Assassinat du père Noël
(1941). Ce sera donc une occasion de plus de montrer une autre facette
de son talent versatile, notamment en apportant sa patte dans une ultime
réécriture du scénario.
Avec sa ville portuaire éthérée et
réaliste à la fois, ses amours maudites et le poids de la destinée, le
film dessine un univers typique de Mac Orlan où viennent s'inscrire des
archétypes du film noir : l'innocent (Jean Marais), le gangster (Paul
Bernard) et la femme fatale (Simone Renant). La tragédie transcende ces
archétypes à travers des personnages tous en quête d'évasion, symbolique
ou bien réelle. Le malfrat Pierre Gohelle (Paul Bernard) fraîchement
évadé de prison renoue avec son amante Marie-Ange (Simone Renant) pour
l'aider à quitter le pays. La victime idéale pour réaliser ses plans
semble être Alain (Jean Marais), jeune homme innocent et fortuné fuyant
également sa vie monotone de directeur de banque et prenant un bateau
pour l'Argentine. Chaque personnage est prisonnier, chacun à sa manière.
Pierre est ainsi enchaîné à cette existence criminelle, incapable par
faiblesse mais aussi par les circonstances (un chantage implacable) de
se reconstruire une existence plus honnête.
Marie-Ange est tout aussi
enchaînée à cette liaison coupable source de souffrances pour elle.
Alain incarne une pure figure de pureté et d'innocence juvénile mais
s'avérera également assujetti à un secret douloureux. L'une unité de
temps et de lieu de la nuit de cette cité portuaire va pourtant
permettre à chacun de se libérer, par l'amour. L'égoïsme et le pur
instinct de survie laisse place au dépit de l'amoureux abandonné pour
Pierre, l'appât et la victime s'étant rapproché de manière inattendue
avec la romance sincère et passionné entre Alain et Marie-Ange. La
présence inquiétante de Paul Bernard se fait fébrile, le détachement de
Simone Renant devient une pure exaltation amoureuse et la naïveté
presque agaçante de Jean Marais laisse place à une angoisse latente. Les
seuls protagonistes apaisés sont ceux résignés (superbe Lucien Coëdel
en marin amoureux), omniscient (Louis Salou en truculent policier) ou
uniformément négatif (les membres de l'équipage) qui observent à
distance le drame se jouant au cours de cette nuit.
Le tournage
entièrement en studio confère une aura toute particulière au film.
Chaque environnement se plie littéralement à la personnalité du
protagoniste. La photo de Robert Lefebvre multiplie les éclairages
tortueux et expressionniste pour nourrir les noir desseins de Pierre
(l'arrivée dans le wagon de train où le portefeuille d'Alain s'offre à
lui), offre un entre-deux diffus devant les hésitations coupable de
Marie-Ange (superbe scène de cabaret où Simone Renant donne de la voix)
et s'illumine d'une pure grâce immaculée lors des scènes romantiques
comme cette entrevue sous un kiosque. La ville oscille également entre
étouffement urbain et une imagerie féérique avec ce magnifique
panoramique parcourant les lumières nocturnes depuis le balcon de
Marie-Ange.
On navigue ainsi entre inquiétude et émerveillement, le
malheur frappant comme le souligne un dialogue ceux n'ayant pas pu ou su
revenir en arrière et apprendre de leur erreurs. La bouleversante
dernière scène montre ainsi l'expression du jusqu'auboutisme amoureux,
pour le meilleur et pour le pire dans une pure tragédie. Une belle
réussite un peu oubliée, peut-être à cause de son rattachement à la
Continentale (Richebé forcé d'en céder les droits pour boucler son
budget devra en répondre à la Libération) mais qui participera à
l'ascension de Jean Marais puisque intercalé entre L'Éternel Retour (1943) et Carmen
(1945) du même Christian-Jaque. Tout juste tiquera a-t-on sur quelques
dialogues et personnages typé (le matelot asiatique fourbe) dénotant un
certain racisme.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
Tótem (2024) de Lila Avilés
Il y a 5 heures
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire