Après des études dans
un pensionnat suisse, Stefano Mattioli, adolescent timide et sensible, se
destine à la prêtrise. Mais alors qu'il est sur le point de l'annoncer à son
père, Leonardo, grand éditeur milanais, ce dernier lui fait part de son souhait
de voir son fils lui succéder à la tête de l'entreprise. Lorsque Stefano
assiste à une entrevue difficile entre son père et un jeune magasinier accusé
d'un vol qu'il n'a pas commis, il découvre le vrai visage de son père.
La Corruption
prolonge la veine sociale initiée par Mauro Bolognini au contact de Pier Paolo
Pasolini. Après des débuts impersonnels durant les années 50 dans le registre
de la comédie populaire (mais qu’il rehaussait toujours de sa maîtrise
formelle) la rencontre avec Pasolini entremêla propos engagé et visuel
puissant, la connaissance des mœurs urbaines de Pasolini s’articulant au sens
du drame de Bolognini dans le diptyque romain Les Garçons (1959)/ Ça s'est
passé à Rome (1960) ainsi que dans Le Bel Antonio (1960). Cette veine sociale se prolongerait donc même quand
Bolognini aborderait enfin son registre privilégié du film en costume dans La Viaccia (1961) et donc dans le registre
contemporain de La Corruption. Le
film peut se voir comme une sorte de pendant plus incarné de Prima della rivoluzione (1964) de
Bernardo Bertolucci, le questionnement de ce dernier se perdant dans un style
trop précieux et référencé. Les deux films dépeignent un jeune héros idéaliste
qui va se confronter à la fin des utopies. Chez Bertolucci il s’agira de la
vacuité des idéaux politiques et plus précisément marxistes que reniera un
personnage superficiel et vaniteux.
Mauro Bolognini aborde la question dans un registre plus
existentiel. Au sortir de ses études, le jeune Stefano (Jacques Perrin) désire
embrasser une carrière de prêtre quand la logique voudrait qu’il reprenne la
succession de son père Leo (Alain Cuny) riche éditeur milanais. Dès la scène d’ouverture
les interrogations à venir sont posées avec le discours du doyen et Bolognini
démarque Stefano du monde qui l’entoure. La caméra scrute dans un même
mouvement les lycéens rigolards et trépignants avant les vacances quand
Stefano, visage juvénile et innocent est isolé en gros plan, calme et stoïque.
Les idéaux paraissent vide de sens et le catholicisme désuet va au culte de l’argent,
du pouvoir et du profit qu’exprime cette Italie de la bulle économique. Ceux
qui refusent cet état de fait sont perdus, que ce soit dans une prison mentale
hypocondriaque comme la mère hospitalisée perpétuelle ou bien sûr Stefano qui
va payer cher son idéalisme et sa foi. Bolognini montre en plusieurs temps ce
pouvoir implacable d l’argent, subtilement, insidieusement puis de façon crue
au final.
L’autorité de chef d’entreprise se manifeste ainsi au départ dans l’injustice
avec cet employé injustement accusé de vol et forcé de rembourser une somme qu’il
n’a pas. Dépité par la vocation ecclésiastique de son fils, Leo va l’en
détourner le temps d’une croisière où le garçon sans expérience résistera
difficilement aux charmes de la belle Adriana (Rosanna Schiaffino). Fille
légère se donnant au plus offrant, elle explique sans honte l’expression de son
amour intéressé pour les hommes qui la courtise à un Stefano dépité mais
néanmoins troublé. La scène où il cède à ces instincts est un moment érotique
et dramatique d’une rare intensité, magnifiquement filmé par Bolognini.
Perturbé par une dispute avec son père, Stefano se réfugie à la salle de bain
où se trouve une Adriana dévêtue et sortant de la douche. Le corps nu laisse
deviner ses promesses de voluptés, entraperçues dans le reflet d’un miroir
embué par Stefano. Lorsqu’un bout de serviette tombe, les sens du jeune homme
se déchaînent et il doit s’abandonner à une Adriana triomphante. Le problème de
notre héros est de ne pas avoir expérimenté le monde et ses tentations dans sa
pension suisse, rendant ses velléités chastes vaines face à la première
épreuve. La gestuelle maternelle d’Adriana trahit également un manque plus
profond chez Stefano ne connaissant que la brutalité du modèle paternel.
Dès lors une fois commis l’irréparable, le sacerdoce de ce
personnage en quête de perfection est mis à mal. Bolognini dessine la prison
dorée qui le fera rentrer dans le rang de manière symbolique (le père bloquant
sa fuite à la nage) et manifeste en le confrontant à ses contradictions pour le
ramener dans le giron de l’héritage familial. On s’attend à un final cinglant (façon Prima della rivoluzione justement) mais Stefano st trop pur pour
rentrer dans le rang aussi lâchement. Un ultime rebondissement cinglant
exprimera la profonde inhumanité de cette société où tout se monnaie, y compris
la bonne conscience avec la vraie nature de l’intellectuel de gauche Morandi (Filippo
Scelzo).
Quel choix alors pour Stefano. Accepter la réalité de ce monde cynique
et en prendre sa part ou se réfugier dans des utopies auxquelles il ne peut
plus souscrire (par faiblesse de l’attrait charnel avec la religion) ou dont il
a pu constater l’hypocrisie avec la gauche bienpensante ? Le film se
conclut sur ce dilemme cruel tout en nous en donnant subtilement le vainqueur.
La dernière scène se passe dans une sorte de boîte de nuit à ciel ouvert où
chacun entame une sorte de danse contemporaine où chacun s’exécute dans son
coin, sans partenaires et sans un regard pour le voisin. S’amuser et profiter
du moment pour son seul plaisir sans se préoccuper d’autrui, tel est la
promesse du futur qu’annonce Bolognini dans cet épilogue faussement enjoué… Tous ces éléments allaient nous mener vers Chronique d'un homicide (1972), conflit des générations bien plus brutal au coeur des Années de Plomb et un des meilleurs film de Bolognini.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire