Gerardo et sa femme
Annalisa mènent depuis quelque temps une existence tranquille et sans histoire,
au grand dam de celui-ci. Un jour, un homme sonne à leur porte pour essayer de
leur vendre un chandelier. Gerardo sent rapidement l’arnaque, et pour cause :
celui-ci était jadis expert en escroquerie en tout genre, surnommé Gerardo
l’artiste pour sa capacité à incarner de multiples personnages dans le but
d’extorquer les gens…
L’Homme aux cent
visages est la première collaboration d’une des plus fameuses associations
de la comédie italienne, Vittorio Gassman et Dino Risi. Les années 50 furent
une période de formation pour Risi où il signa des œuvres intéressantes (Le Signe de Vénus, Boulevard de l’espérance, la série des Pauvres mais beaux) ainsi que des commandes moins marquantes (Pain, amour, ainsi soit-il, soit le plus
faible volet de la trilogie initiée par Luigi Comencini) mais où l’on
n’entrevoyait que par intermittences la méchanceté des chefs d’œuvres à venir.
Quant à Vittorio Gassman il mène une carrière brillante au théâtre à partir de
la fin des années 40 mais hormis quelques fameuses exceptions (Riz amer (1948) de Giuseppe De Santis), il ne
se signale guère au cinéma pour lequel il entretient une faible estime par
rapport à son travail sur scène. Il ira un temps se perdre à Hollywood où son
physique avantageux en font un latin lover de choix mais sans non plus trouver
de rôle ou film à sa mesure (Guerre et
paix de King Vidor notamment.
Le tournant pour Risi et Gassman sera la
sortie du Pigeon (1958) de Mario
Monicelli qui marque l’avènement de la comédie italienne. Gassman y délaisse
les emplois de bellâtres pour une figure plus veule, authentique et qui le
révèle dans un registre comique. Dès l’année suivante il transforme l’essai
avec La Grande Guerre (1959) du même
Monicelli qui le lance définitivement en figure majeure de la comédie. Le
succès du Pigeon ouvre également de
nouvelles perspectives à la comédie italienne croisant désormais à ses
préoccupations sociales un humour féroce et délesté de la bienveillance du
« néoréalisme rose ». Dino
Risi s’engouffre dans la brèche pour signer Le Veuf (1959), son premier grand film porté par un fabuleux Alberto Sordi.
L’homme au cent visage
constitue néanmoins un entre-deux, une œuvre agréable où Gassman conserve sa
dimension séduisante et où son côté transformiste ne tire pas vers le
monstrueux (présent dans les multiples sketches qu’il interprétera dans Les Monstres). Nous y suivons Gerardo
Lantini (Vittorio Gassman) modeste employé heureux en ménage avec la belle
Annalisa, mais où les dialogues sous-entendent une frustration par rapport à
une vie passée plus exaltante. La rencontre avec un escroc à la petite semaine
et la facilité d Gerardo à le démasquer lance ainsi une narration en flashback
révélant les motifs de cette « science » de la tromperie. Médiocre
comédien comique, Gerardo voit son manque de subtilité et ses élans cabots se
prêter bien mieux à la comédie de la vie ordinaire et donc à l’arnaque. Après
une initiation malheureuse et un bref séjour en prison, le monde du théâtre et
du cachet laborieux se referme pour laisser s’ouvrir celui de l’escroquerie et
son argent facile. Le film est un régal de truculence dans la progression et
l’inventivité de ses stratagèmes de tromperie.
Loin d’aller dans une
sophistication qui éloignerait le récit du réel, le scénario reste dans la
continuité du Pigeon (le talent pour
le crime en plus par rapport aux pieds nickelés de Monicelli) par son côté
système D (on pense à l’épisode du chewing-gum sous le comptoir du bijoutier),
chaque mise en scène jouant de la débrouillardise et des connaissances des
petits travers humains par les arnaqueurs. Dans ce cadre le plan importe moins
que le registre infini de Gerardo, Vittorio Gassman se régalant à passer d’une
incarnation à une autre selon la situation. Gentleman, rouleur de mécanique,
amoureux éperdu, Gassman excelle en tout avec toujours ce petit degré
d’exagération qui paradoxalement le rend plus crédible à ses victimes. Ce réel
toujours plus authentique par sa folie et ses circonvolutions inattendues est
un thème au cœur de l’œuvre de Dino Risi, les travers humains poussant toujours
vers un absurde dramatique ordinaire (Les
Monstres bien sûr) et vers une noirceur teintée d’humour noir et de vrai
désespoir dans chefs d’œuvres des 70’s (Au nom du peuple italien, Parfum de femme, Dernier Amour…).
On est cependant loin d’une telle âpreté ici où domine un allant
amusé dont l’intérêt principal repose sur un réel en forme de miroir aussi
fragmenté que les cents visages de son héros. Chaque dialogue, attitude ou
situation constituent ainsi un chausse-trappe ingénieux dont Lantini est le
maître d’œuvre. Mais à force de rouerie c’est la banalité ordinaire que ne
saura plus distinguer notre héros à son tour victime sentimentale avant une
conclusion jubilatoire où l’outrance demeure la meilleure arme. Plus qu’une
manière de s’enrichir, l’arnaque est surtout un moyen de fuir l’ennui du
quotidien.
Ressortie en salle le 14 juin
Film vu récemment sur Canal Sat que j'ai trouvé très amusant. Gassman est parfait.
RépondreSupprimerLe film mérite une ressortie,en effet.