Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Francesca (Doris Dowling) et Walter (Vittorio Gassman) sont un couple de jeunes délinquants. Ils viennent de dérober un collier de valeur dans un hôtel. Poursuivis par la police, ils se cachent dans un convoi de mondine en partance pour les rizières de la plaine du Pô. Francesca dissimule le collier que lui a confié Walter. Celui-ci, pensant passer ainsi inaperçu danse avec la jeune Silvana (Silvana Mangano) mais se fait repérer par les policiers et s'enfuit. Dans le train, Silvana est intriguée par Francesca et, pour l'aider, lui fait obtenir un travail de mondina clandestina (sans contrat).
Riz amer est un film charnière dans l’aventure néoréaliste. Le film sort alors que le genre s’apprête à entamer un lent déclin symbolisé par la défaite de la gauche aux élections en cette année 1948. Giuseppe De Santis, sans doute un des réalisateurs les plus engagés du néoréalisme (il fit partie de la résistance italienne en lutte contre Mussolini et l’Allemagne durant la Deuxième Guerre Mondiale) l’avait sans doute senti venir, tant avec ce troisième film il trouve l’équilibre parfait entre message et destins individuels.
Comme nombre de réalisateurs de l’époque, Giuseppe De Santis a débuté par la critique, plus précisément au sein de la revue Cinema. Là, son ancrage à gauche (notamment au sein du Parti communiste) l’amène à être un des premiers défenseurs d’un cinéma décrivant la réalité du prolétariat. Les paroles font bientôt place aux actes lorsqu’il collabore au scénario du Ossessione de Visconti qui l’engage même comme assistant. Sur le tournage se produit un fait anodin mais d’une importance capitale pour De Santis. Lors d’une séquence montrant le couple de héros arpenter la campagne, De Santis propose à Visconti de garder au sein de l’image en arrière plan les paysans effectuant les moissons. Visconti accepte et scelle là la profession de foi de De Santis.
En effet, le réalisateur applique à la lettre cette méthode sur Riz amer tout en se démarquant légèrement des canons néoréalistes. Dans la plupart des films néoréalistes première période, l’aspect documentaire et l’expression d’une certaine vérité primaient sur la dramaturgie classique. Le focus se faisait donc progressivement sur les personnages après s’être appliqué à dépeindre l’ensemble d’une communauté (ouvrier, paysans…).
Dans Riz amer, c’est exactement l’inverse et ce, dès la scène d’ouverture qui fait écho à la tentative d'Ossessione. Au premier plan, une pure intrigue de film noir où l’escroc Vittorio Gassman (son emploi odieux habituel se teinte d’une aura menaçante délestée du comique qui l’allègera à l’avenir) est traqué par la police au sein d’une gare pour le vol d’un collier précieux. Sur le point d’être capturé, il confie l’objet à sa petite amie Francesca (Doris Dowling) qui va se mêler pour un temps aux journalières en partance pour la récolte de riz dans la plaine du Pô. La fuite des deux héros aura en effet été entrecoupée d’images du départ massif de ses « mondines », ouvrières agricoles officiant chaque été à l’époque dans la région de la Lombardie notamment. L’arrière plan réaliste s’inscrit ainsi de manière diffuse avant de devenir un élément clé de l’intrigue principale. Point d’astuce narrative à y voir cependant, ce transfert du cadre et des enjeux obéit totalement à la thématique du film qui va voir le comportement de la fille de mauvaise vie Francesca transformé au contact des ouvrières.
L’idée du film sera d’ailleurs venue à De Santis et son scénariste Carlo Lizzani alors qu’eux mêmes assistaient à un des grands départs estivaux de ses travailleuses. La vision de cette grande procession féminine, unies, chantante et d’une beauté sans égale dans leur vigueur travailleuse les aura durablement marqué. C’est là qu’on saisit le brio de De Santis et sa démarche à contre courant. Tous les éléments extérieurs tendent à se mêler à cette inaltérable vision de communion collective des ouvrières. La trame policière devient une tranche vie du quotidien de ces femmes, la grâce du moment est privilégiée au rythme enlevé du début. Plus symboliquement, les rôles s’inversent entre la starlette américaine de série B Doris Dowling (recrutée pour attirer le public d’outre atlantique) et la vraie vedette révélée par Riz amer, Silvana Mangano. L’ouvrière soudainement objet de tous les regards et la « star » gagnée par les vertus de la vie en communauté, tout un signe…
Riz amer, en plus de cet éloge de la collectivité est aussi (et surtout) une belle ode à la féminité. Sans se délester de son aspect documentaire, la caméra de De Santis s’attarde amoureusement sur la beauté de ces femmes au travail. Leur dur labeur semble les magnifier, tant dans leurs formes engoncées dans leurs tenues de travail que la pâleur de leur jambe ou de leur visage radieux et marqué à la fois par l’effort. La photo d'Otello Martelli est irradiée de l’atmosphère estivale de la province de Verceil où fut tourné le film. Cette chaleur palpable intensifie les moments de tension telle cette très originale scène où ouvrières sous contrat et clandestines s’affrontent dans une joute chantée. C’est également cette même fièvre qui les accompagne lors des instants plus sensuels et apaisés, le languissant repos quand la pluie empêche de se rendre à la rizière ou durant les bains.
Cet aspect charnel trouve sa manifestation concrète à travers Silvana Mangano. C’est le chassé croisé de destin entre son personnage Silvana et Francesca (Doris Dowling) qui constitue le cœur du récit. Silvana fille du cru n’a connu que la misère et rêve de la grande vie tandis que Francesca lasse de suivre les arnaques de son petit ami trouve enfin paix et solidarité parmi les mondines. Le physique plantureux de Silvana Mangano, sa présence torride et la manière dont elle s’impose peu à peu dans le film affirment cette volonté d’émancipation. Bien avant Sophia Loren ou Gina Lollobrigida, elle imposa cette image de la star italienne charismatique aux formes généreuses. Le côté brut donne pourtant toute sa vérité à Silvana. C’est d’ailleurs ce qui détermina le choix de De Santis pour l’actrice qui trop maquillée et superficielle ne l’avait guère convaincu au casting. C’est en la rencontrant par hasard sans artifices alors qu’elle venait de traverser une averse qu’il pense tenir son héroïne. Sublime ironie, le producteur Dino De Laurentis sera le plus farouche opposant à l’engagement de celle qui sera sa fidèle compagne durant les quarante années à venir.
Moins important sur le papier, le rôle de Silvana s’étoffe donc à l’écran sans qu’une ligne de scénario ne soit changée, par la seule prestation fragile et torride de Silvana Mangano. Bien qu’un tel fait n’ait pu être calculé, il participe à la thématique du film, puisque Silvana Mangano exprime cet érotisme latent et Doris Dowling (au charme moins imposant mais tout aussi transcendé) la beauté s’affirmant au travail. Quand l’une se fond dans le bloc que constitue les mondines, l’autre n’a de cesse d’en sortir. Plusieurs séquences mettent en avant cette dichotomie. Le conflit entre travailleuses sous contrat et clandestines (ces dernières intensifiant le rythme de travail pour être bien vues) se résout quand toutes décident d’agir dans un intérêt commun, les premières exigeant que les secondes bénéficient du même statut.
Plus tard, l’union sacrée se fera lorsque toutes décideront d’aller travailler sous la pluie pour ne pas perdre de journée de travail, les clandestines gagnantes quoiqu’il advienne allant malgré tout rejoindre leurs amies sous les flots. Durant ces différents moments, Silvana Mangano est constamment en retrait ou absente à l’image, soit parce qu’elle est la cause du conflit (c’est elle qui entonne la première les chants contre les clandestines dans la séquence précédemment évoquée), soit parce qu’entre temps elle est devenue une fille perdue en s’acoquinant à l’infâme Vittorio Gassman. Au contraire, Francesca qui ne devrait guère se sentir concernée est à chaque fois au cœur de l’action durant toutes ces scènes, notamment celle du travail sous la pluie ou les clandestines agissent à son initiative. Cette logique trouve son aboutissement quand les mondines font corps autour de l’une d’elles, victime d’une grossesse prématurée, alors qu’en montage alterné Silvana cède au désir pressant de Gassman. Les regrets n’y feront rien et la séparation inéluctable dans cette image saisissante où Silvana poursuit sans réussir à les rattraper ses camarades transportant leur amie enceinte.
Ce jeu de miroir joue également dans les couples qui se font et se défont tout au long du film. Francesca délaisse peu à peu le manipulateur Gassman pour le soldat au cœur pur joué par Ralf Vallone (qui transpire l’authenticité pour son premier rôle à l’écran). Ce dernier au départ sous le charme de Silvana finira avec Francesca touchée par la sincérité et le respect qu’il lui témoigne. Dès lors, la suite inéluctable est prévisible. Celle qui aura avec modestie fait le chemin inverse d’un individualisme vain vers une plénitude et une paix intérieure en communauté s’en sortira. L’ambitieuse qui aura emprunté des chemins de traverse pour échapper à sa condition sera elle victime d’un terrible destin.
Affirmé comme cela, on pourrait croire à une implacable morale judéo-chrétienne mais il n’en est rien. On l’a dit, Silvana Mangano aura vampirisé l’idéologie servant le film et c’est bien de ses danses, ses sourires et ses pleurs dont on se souvient. Les erreurs et égarements s’avèrent au final plus touchants que l’illustration (réussie) de la cause rejointe par Francesca. Giuseppe De Santis l’a bien compris, puisqu’il s’attarde plus longuement dans les derniers instants sur les mondines jetant leurs grains de riz sur la dépouille de leur amie disparue.
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