L’ouvrage de Benoit Marchisio se penche sur une révolution
esthétique et culturelle certes moins célébrée que le Nouvel Hollywood de la
décennie précédente, mais tout aussi importante. L’arrivée des clippeurs au
cinéma à l’orée des années 90 concrétisera ainsi, avec des fortunes diverses,
leur impact sur la culture populaire. L’auteur se penche plus précisément sur
Propaganda, entité emblématique de par ses personnalités (David Fincher,
Michael Bay, Mark Romanek…) et les images indélébiles qu’elle contribua à créer
à travers ses publicités et clips pour les artistes les plus prestigieux des 80’s
(Guns’n’Roses, Madonna, Janet Jackson…). Propaganda, fondée par des jeunes
loups aux dents longues rêvant de cinéma trouvait ainsi un équilibre idéal
entre culture de masse et intégrité artistique puisque les expérimentations formelles
les plus audacieuse s’immisçaient dans les foyers par le biais de spot pour des
marques prestigieuses (Coca-Cola, Nike…) et les clips en rotation lourde sur
MTV.
L’auteur dépeint dans le détail le contexte qui permit cette
bascule et notamment par les mutations de l’industrie musicale. La création et
le succès de MTV amène une demande exponentielle en image pour alimenter la
grille quotidienne et crée une bulle dans le marché alors balbutiant du clip.
Quelques réalisateurs aux parcours divers se distinguent alors et décident de
fonder leur propre compagnie, Propaganda qui sera le terreau créatif qui tracera
leur chemin vers Hollywood. Benoit Marchisio tout en narrant de façon précise
et accessible les méandres du business qui guident l’ascension de Propaganda
(participation de Polygram, relation avec les agents, dividendes) est également
allé interroger les participants à l’aventure. Si certaines figures
emblématiques manquent à l’appel (David Fincher de plus en plus rétif aux
entretiens ces dernières années, Spike Jonze), toute une flopée d’interlocuteurs
côtés art et souvent méconnus/oubliés (Dominique Sena star du clip bien rentré
dans le rang au cinéma, l’anglais Nigel Terry, David Hogan…) viennent narrer
les aspects les plus secrets de cette période folle ainsi que des dirigeants
faisant leur premier pas avant un destin glorieux (Steven Golin futur double
Oscarisé en produisant The Revenant
et Spotlight récemment).
Le succès et les innovations de Propaganda s’inscrivent
ainsi dans un contexte que ses créateurs sont les seuls à comprendre en offrant
aux jeunes générations des images inédites. Tout matériau, artiste ou marque
est ainsi l’occasion pour les réalisateurs d’expérimenter un maximum tout en
servant le « produit » filmé. C’est l’ère du high concept où une idée simple
se voit filmée de la manière la plus stylisée et esthétisante possible, le brio
technique ne se délestant jamais d’un côté tape à l’œil voire vulgaire pour
marquer immédiatement les esprits. Benoit Marchisio analyse en profondeur les
morceaux de bravoures les plus impressionnants de Propaganda (et la lecture
incitera aux longues heures à passer sur Youtube) où se marient cet amour de la
belle image, ce croisement du classique et de l’ancien, de la grâce et de la
vulgarité.
Le clip Express yourself de Madonna signé David Fincher sous influence Metropolis/Blade Runner (traumatisme esthétique pour toute cette génération), la grandiloquence des Guns’n’Roses filmée par Nigel Terry, les débordements rococo et sexy de Michael Bay sur I'd Do Anything For Love (But I Won't Do That) de Meat Loaf ne sont que quelques exemples de cette folie qui annoncent la future carrière cinématographique de certains (la caméra baladeuse de Panic Room (2002) déjà usée par Fincher dans un clip de Steve Winwood).
Le clip Express yourself de Madonna signé David Fincher sous influence Metropolis/Blade Runner (traumatisme esthétique pour toute cette génération), la grandiloquence des Guns’n’Roses filmée par Nigel Terry, les débordements rococo et sexy de Michael Bay sur I'd Do Anything For Love (But I Won't Do That) de Meat Loaf ne sont que quelques exemples de cette folie qui annoncent la future carrière cinématographique de certains (la caméra baladeuse de Panic Room (2002) déjà usée par Fincher dans un clip de Steve Winwood).
L’émulation créatrice et les excès divers témoignent des personnalités
de chacun (Michael Bay égal à lui-même d’après l’image que donne à voir ses
films, Dominic Sena renonçant régulièrement à ses salaires pour compléter sa
vision de chaque clip) avec de beaux exemples de débordements hollywoodiens
même si Marchisio ne tombe jamais dans le gossip
et le règlement de compte à la Peter Biskind. Des choix hasardeux, des
occasions manquées (David Fincher revenant au bercail pour The Game (1997) qui sera malheureusement un échec commercial) et un
mauvais timing malheureux (Dans la peau
de John Malkovich (1999) premier vrai et grand succès commercial au cinéma
alors que Propaganda vit son crépuscule) conduiront pourtant à la chute de la
compagnie. En dépit d’une influence majeure au cinéma et à la télévision (la
série Twin Peaks et le palmé Sailor et Lula (1990) de David Lynch) Propaganda n’aura
pas su endosser seul ses apports, le mariage avec le cinéma ne fonctionnant qu’avec
le chapeautage d’un vrai producteur (Jerry Bruckheimer prenant Michael Bay sous
son aile à partir de Bad Boys (1995))
ou le génie de ses créateurs parti s’épanouir ailleurs (David Fincher
évidemment). Dès lors reste une belle odyssée du cinéma contemporain
superbement narrée par Benoit Marchisio dans cet ouvrage captivant.
Edité chez Playlist Society
Edité chez Playlist Society
J'ignorais que les cinéastes traités ici appartenaient à une même vague. Vu ce que tu en dis et le sujet en question, ça me botte bien... Merci pour le coup de projo.
RépondreSupprimerE.
Ah oui carrément en fait lsur es six fondateurs de Propaganda tu as 4 réalisateurs (David Fincher, Nigel Terry, Dominic Sena, Greg Told) auxquels se sont greffés après les Antoine Fuqua, Michael Bay, Alex Proyas et autres noms connus. C'était vraiment le studio par et pour les artistes au départ en tout cas. Tu devrais bien kiffer et passer des heures sur youtube en parallèle ;-)
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