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vendredi 5 février 2016

Microbe et Gasoil - Michel Gondry (2015)

Les aventures débridées de deux ados un peu à la marge : le petit "Microbe" et l'inventif "Gasoil". Alors que les grandes vacances approchent, les deux amis n'ont aucune envie de passer deux mois avec leur famille. A l'aide d'un moteur de tondeuse et de planches de bois, ils décident donc de fabriquer leur propre "voiture" et de partir à l'aventure sur les routes de France...

 Après le budget imposant et la lourde logistique de L’écume des jours (2013), Michel Gondry a envie de s’attaquer à un sujet plus modeste et personnel. Ce sera donc Microbe et Gasoil où il explore à nouveau le monde de l’adolescence après le formidable The We and the I (2012). Ce film avait été une des plus belles réussites du réalisateur, sorte de Breakfast Club (1984) revisité avec l’urgence, la gouaille et l’esthétique rattachée à la génération Facebook/Instagram tout en véhiculant une émotion à fleur de peau des plus marquantes. Microbe et Gasoil tout en explorant des thèmes voisin s’attache à des souvenirs plus autobiographiques pour Michel Gondry. Jeune adolescent versaillais rêveur, il était décalé par rapport à un environnement lycéen strict et bourgeois par son attitude et une allure héritée de sa famille hippie avec ses cheveux long. Il s’était lié d’amitié avec un camarade bricoleur, excentrique et tout aussi à la marge que lui et avec lequel ils avaient entretenu la folle idée de construire un véhicule pour se balader à leur guise. Ce projet jamais réalisé va se concrétiser par la fiction bien des années plus tard.

Daniel « Microbe » (Ange Dargent) incarne ainsi un double de Gondry en adolescent chétif, féru de dessin et vexé d’être encore trop souvent pris pour une fille. Il est partagé entre une volonté de se fondre dans le conformisme de ses camarades et entretenir sa singularité qui lui attire l’amitié mais guère plus de celle dont il est éperdument amoureux, Laura (Diane Besnier). Ce genre de doute ne semble guère embarrasser Théo « Gasoil » (Théophile Baquet), assumant fièrement son originalité avec son look improbable, son humour décalé, ses inventions et mains enduites de cambouis qui lui valent son fameux surnom. Gondry capture à merveille l’amitié naissante de ses deux personnalités attachantes et ne sombre jamais dans le cliché dans le rapport à leur environnement.

La sensibilité de Microbe le rend à part sans en faire non plus une victime de brimades et l’excentricité de Gasoil aura beau susciter la moquerie, son sens de la répartie et son indifférence au regard des autres le rend intouchable. Néanmoins cet univers étriqué auquel s’ajoute des situations familiales complexes (une mère dépressive et trop aimante (Audrey Tautou) férue de new age pour Microbe et un milieu modeste et sévère pour Gasoil) bride la folle imagination du duo. Qu’à cela ne tienne, après avoir mis la main sur un moteur de tondeuse ils décident de fabriquer un véhicule pour parcourir les routes de France. De l’extérieur, la « voiture » aura le camouflage d’une baraque en bois et après une fabrication de bric et de broc ainsi que les mensonges d’usages aux parents, l’aventure peut commencer.

De ses clips à ses films de cinéma, l’imagination aura toujours revêtue les atours d’une esthétique bricolée, rapiécée et d’une naïveté rattachée à l’enfance. Cela pourrait entremêler l’imagerie et le sujet du film (Eternal Sunshine of Spotless Mind (2004) et son voyage à travers la mémoire), donner un contour ludique à un sentiment douloureux (le magnifique La Science des rêves (2006) et sa romance non réciproque) ou être carrément la raison d’être du film avec le cultissime Soyez sympa, rembobinez (2007) et ses classiques du cinéma reconstitués. Sans donner dans le rétro (le film se place clairement de nos jours), le film tourne le dos à la modernité avec ses deux héros dont l’imaginaire est d’autant plus stimulé qu’ils se désintéressent des futilités « technologiques » de leur camarades, notamment par un rebondissement surprenant et osé qui nous débarrasse du téléphone portable d’emblée. On ne pourra accuser Gondry de passéisme tant ses outils étaient au cœur du fonctionnement des ados de The We and the I et c’est simplement que ce n’était pas le sujet ici.

Les personnages sont d’un naturel confondant et attachant de bout en bout. Réflexions décalées et adultes alternent avec préoccupations plus futiles et typiques de cet âge où l’on se cherche encore - l'ironie et la maturité des ados d'aujourd'hui se dispute souvent à l'innocence d'un Diabolo Menthe (1977). Microbe est donc constamment complexé par sa taille, sa coupe de cheveux et ses premiers émois érotiques, rêvant tout en craignant de son fondre dans la masse d’être influençable et sans personnalité. L’assurance et la gouaille de Gasoil sont autant une protection qu’une affirmation de son tempérament, préférant cultiver cette exubérance puisqu’il sait qu’il ne sera jamais vraiment accepté de tous. Tout est assez bien résumé par l’image avec ce formidable objet de cinéma qu’est la voiture/cabane qui traverse paysage urbain comme nature paisible, se fondant tout en se distinguant avec une égale et indifférente allure.

Ainsi armés entre certitudes et doutes le duo va traverser d’étonnante péripéties, tour à tour inquiétantes (ce séjour nocturne chez un drôle de dentiste), dangereuse avec ce salon de coiffure en zone urbaine menaçantes et gentiment délirantes lors d’une confrontation avec des footballeurs américains. Gondry ne construit cependant pas un monde de rêve, ceux sont les personnalités lunaires de Microbe et Gasoil qui traversent une réalité où vient ressurgir sans prévenir l’actualité douloureuse comme avec ce camp de roms décimé par la gendarmerie. Tout comme ils oscillent entre leur originalité et la normalité de leurs camarades, nos héros sont peu à peu rattrapés par le réel au fil de leur délirant périple.

Une certaine mélancolie s’installe progressivement, autant rattachées à leurs préoccupations adolescentes (la romance avec Laura tutoyée mais pas concrétisée) qu’à une facette plus métaphysique (le jeu final sur les ellipses soulignant l’évaporation du temps qui passe et des bons moments quand approche le retour) et les aléas de la vie qui se rappellent douloureusement à nos héros lors du renversement final. Restera le souvenir d’une belle et amusante odyssée ainsi que d’une indéfectible amitié magnifiée par un splendide final qui célèbre la marginalité. Et au vu de l’ultime regard de la tant désirée Laura, c’est de cette affirmation de soi que naissent les sentiments les plus tendres. Un petit bijou et une des œuvres les plus touchante de Michel Gondry, injustement passée inaperçue en 2015.

Sorti en dvd zonze 2 français chez Studiocanal 

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