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mercredi 10 février 2016

Le Cri du sorcier - The Shout, Jerzy Skolimowski (1978)


Au cours d'un match de cricket qui se déroule dans une institution psychiatrique, l'écrivain Robert Graves fait la connaissance de Charles Crossley, un pensionnaire étrange présenté comme très intelligent. Alors qu'ils sont tous les deux dans une cabane à compter les points de la partie, Crossley entreprend de lui raconter son histoire. Grand marcheur, il dit avoir voyagé pendant dix-huit ans en Australie où il apprit la magie d'un sorcier aborigène et acquit un pouvoir terrible, le cri de terreur qui provoque une mort instantanée.

Troisième film britannique de Jerzy Skolimowski, Le Cri du sorcier est une œuvre fascinante entremêlant la singularité polonaise du réalisateur (formé à l'École nationale de cinéma de Łódź aux côté d’Andrzej Wajda et Roman Polanski pour lequel il écrira Le Couteau dans l’eau (1962) avant de lui emprunter le pas en Angleterre) et imagerie typiquement anglaise imprégnée d’une terreur plus universelle. Le film est une adaptation d’une nouvelle de Robert Graves dans laquelle Skolimowski trouve matière à exploiter son thème de l’absence de communication, au cœur de son film le plus connu, la romance adolescente Deep End (1967).

Le film joue à plusieurs niveaux sur la notion de mensonge et de croyance. Ce sera d’abord à travers la narration avec ce récit en flashback où le temps d’une partie de cricket dans un asile psychiatrique, Crossley (Alan Bates) l’un des patients, narre son histoire folle à un auditeur (Tim Curry) curieux. Vagabond mystérieux, il s’immisce dans l’intimité du couple formé par Rachel (Susannah York) et Anthony Fielding (John Hurt). Ne sachant par quel bout prendre l’inconnu, les Fielding laisse malgré eux Crossley poser son emprise sur leur volonté. Le cadre rural paisible jure avec la silhouette ténébreuse de Crossley qui fascine Anthony tout en mettant Rachel mal à l’aise. Son passé étrange en Australie où il aurait passé dix-huit ans et appris la magie noire attise la curiosité d’Anthony, d’autant plus pour ce musicien expérimental lorsque Crossley lui révèle avoir appris un cri maléfique propre à tuer tout auditeur malheureux alentour. 

Cette question de mensonge et de croyance s’exprime donc à la fois par la notion de point de vue mais aussi de la présence inquiétante de Crossley dont l’attitude évoque autant la folie que de réelles aptitudes surnaturelles. Skolimowski trouble nos repères par une narration dilatée dont le montage expérimental rappelle le travail de Nicolas Roeg (on pense à Walkabout (1971) et Ne vous retournez pas (1973) notamment). Des inserts révèlent des éléments de décors, d’objets, des embryons de rebondissements où l’on hésite entre hallucinations, cauchemar et vrais flashforwards qui dessinent les contours d’un piège absolument diabolique. Le Cri du sorcier est tout à la fois un triangle amoureux oppressant qu’un récit de soumission et d’addiction amoureuse et érotique. Crossley est un prédateur qui devinant le quotidien terne du couple va poser progressivement les jalons d’une machination implacable.

Une fois le film terminé la trame parait assez limpide et c’est bien l’étrangeté instaurée par Skolimowski qui fait toute la force du film. Le passé australien de Crossley (le meurtre de ses enfants et les coutumes de mariages aborigènes) laissent peu à peu deviner ses objectifs et les apartés les plus déroutants prendront sens de façon inéluctable non sans nous avoir glacé le sang le temps de quelques séquences mémorables comme la démonstration de force où Crossley use du cri. Les transitions bizarres et la mise en scène tout à la fois flottante et précise du réalisateur contribue à la perte de repères, renforcé par la mise planante et expérimentale de Mike Rutherford.

Skolimowski ne signe pas une œuvre hermétique mais fait néanmoins confiance à l’intelligence du spectateur en n’explicitant rien tout en semant les indices par la seule image, notamment l’usage de reproduction de tableaux de Francis Bacon dont un est « rejoué » par Susanna York pour nous faire comprendre à quel point son corps et son esprit son désormais assujettis. Les acteurs sont tous formidables : John Hurt joue de son physique malingre pour montrer à quel point sa volonté est écrasée par la détermination (magique ou psychologique) d’un Alan Bates taiseux et magnétique. Susannah York incarne à elle seul le basculement du film, ménagère ordinaire et méfiante qui s’érotise peu à peu en expression d’un sortilège amoureux ou magique où le regard se trouble, le corps se dénude et l’attitude se fait provocante.

L’ambiguïté demeure jusqu’au bout, le flashback comportant ses zones d’ombres (Crossley avouant dès le départ agencer les évènements à sa guise) et le présent semant le doute (les interférences de la partie de cricket provoquées ou pas par Crossley) jusqu’à un terrifiant final où l’on ne sait s’il est dû au forces de la nature ou aux forces occultes avec l’ultime manifestation du cri. Une chose sûre cependant avec la dernière scène, ce désir violent nous aura emmenés aux confins d’une folie maladive.

Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Elephant 

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