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mercredi 2 août 2023

Le Tigre du ciel - Aces High, Jack Gold (1976)


 Stephen Croft a toujours en mémoire les accents patriotiques du fringant pilote John Gresham, par ailleurs fiancé de sa soeur Jane, venu semer la bonne parole dans son collège en octobre 1916. Il le revoit à nouveau en 1917, à Amiens, et s'aperçoit que Gresham est devenu dépressif et suicidaire...

Le Tigre du ciel est une œuvre qui cherche à rompre un fantasme inscrit dans l’inconscient collectif sur un pan de la Première Guerre Mondiale, la dimension chevaleresque de l’opposition entre les belligérants aériens. C’est une facette en partie entretenue par le cinéma, à travers des œuvres comme Les Ailes de William A. Wellman (1927), Les Anges de l'enfer d’Howard Hughes (1930) ou encore Le Crépuscule des aigles de John Guillermin (1966), ce dernier remettant néanmoins en partie la chose en question. Le scénario du film repose sur deux sources. Il s’agit en partie de l’adaptation de la pièce de théâtre Journey's End de R.C. Sherriff écrite en 1928, et déjà adaptée en 1930 au cinéma par James Whale. Cependant la pièce comme le film de Whale décrivaient le quotidien douloureux des soldats britanniques dans les tranchées, tandis que Le Tigre du ciel en conserve les personnages et l’intrigue qu’il transpose dans le monde de l’aviation. L’authenticité de ce monde de l’aviation repose en revanche sur le livre Saggitarius Rising, autobiographie (publiée en 1936) de Cecil Lewis, pilote au sein de la Royal Flying Corps durant la Première Guerre Mondiale.

Cette opposition entre héroïsme de façade et réalité plus ambiguë s’illustre dès la scène d’ouverture. John Gresham (Malcolm Mcdowell), pilote en permission revient dans son collège recevoir les honneurs et contribuer implicitement à l’engagement de jeunes recrues en vantant ses hauts faits. En montage parallèle, Jack Gold filme un duel aérien entre Gresham et un avion allemand dont l’anglais va sortir vainqueur par une manœuvre particulièrement vicieuse et qui n’a pas grand-chose d’héroïque ni de chevaleresque. Quelques mois plus tard, le jeune Stephen Croft (Peter Firth) dont il fut le tuteur au collège le rejoint sur le front à Amiens pour à son tour se mêler à la bataille des airs en tant que pilote. Le jeune naïf va progressivement déchanter en voyant la réalité du quotidien de ses pairs. 

Pour affronter le danger, il s’agit pour les pilotes de se libérer de la trouille tenace qui les ronge dès qu’il s’installe dans leur étroit cockpit. Certains ne le peuvent pas à la manière de Crawford (Simon Ward) s’inventant toutes sortes de maux factices pour ne pas repartir en vol, et qui lorsqu’il y sera contraint va perdre la raison. Gresham fait bonne figure en apparence mais également traumatisé, il doit se saouler au whisky afin de réunir le courage de retourner en mission. Plus globalement le mess des pilotes et officiers affiche un détachement, une légèreté en toute circonstances qui les libèrent d’émotions dont la manifestation les tétaniseraient de peur également. A travers le regard candide de Croft, c’est l’exaltation qui domine avant qu’il fasse à son tour l’expérience du danger, de la peur et de la perte de compagnons précieux. 

L’aspect chair à canon qui existait dans la pièce vis-à-vis des soldats de tranchées parfaitement adaptée dans le monde de l’aviation. Le commandement envoie nos pilotes dans des missions de plus en plus périlleuses, la perte matérielle de l’avion étant un préjudice bien plus grave que celle de la mort du pilote. Pour ce faire, la révoltant choix est fait de ne pas les doter de parachutes, l’avion devenant leur ultime refuge qu’ils auront davantage le souci de préserver en gardant leur sang-froid plutôt que d’avoir l’échappatoire du parachute. On comprend donc que c’est un contexte où ils sont considérés comme une donnée sacrifiable qui glace les pilotes, davantage encore que les menaces rencontrées dans les airs. 

Jack Gold filme ainsi d’impressionnantes scènes aériennes, mais dont il évacue tout élément qui pourrait exprimer la moindre sensation de panache ou d’héroïsme. Dans l’exiguïté de leur cockpit, les pilotes sont seuls face à la mort et chaque manœuvre est une avancée pour survivre quelques secondes de plus. L’aspect camaraderie n’existe que de façon superficielle, sur la terre comme dans le ciel, comme le montre les chants alcoolisés ou les expéditions en maison close qui suivent la mort d’un camarade, l’excès et les plaisirs empêchant de trop réfléchir aux lendemains où l’on pourrait connaître le même sort. 

Visuellement le film reste très spectaculaire dans sa facture technique. Pour les vraies scènes de vol, il y a un mélange entre vrais avions de la Grande Guerre (des Stampe SV.4s belges modifiés, le Avro 504.) et d’autres de la Seconde Guerre Mondiale modifiés ou des répliques comme le Fokker E-III allemand. Il y a également un usage très convaincant de la rétroprojection lors des gros plans où l’on doit reconnaître les acteurs en gros plan, des maquettes et matte-painting (conçus par le génial Derek Meddings) presque imperceptibles quand les avions survolent des paysages bombardés. On retrouvera aussi quelques stock-shots issus justement de Le Crépuscule des aigles de John Guillermin et Le Baron Rouge de Roger Corman (1971). La parfaite maîtrise et alternance entre ces différentes techniques ainsi que le montage alerte de Anne V. Coates rend l’ensemble haletant de bout en bout, avec en point d’orgue un climax assez stupéfiant où nos pilotes doivent approcher au plus près et abattre des ballons allemands faisant office d’éclaireurs aériens statiques. 

L’interprétation joue grandement pour l’empathie grâce à un casting très impliqué, Malcolm McDowell est magnifiquement torturé, Peter Wirth parfait d’innocence et surtout Christopher Plummer incarne un mentor particulièrement touchant. Un très beau film de guerre. 

Sorti en bluray français chez Studiocanal

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