samedi 6 juillet 2024
Baby Tsina - Marilou Diaz-Abaya (1984)
jeudi 4 juillet 2024
Le Kid de Cincinnati - The Cincinnati Kid, Norman Jewison (1965)
Eric Stoner, surnommé le « Kid de Cincinnati », est un as du poker de La Nouvelle-Orléans. Shooter, son manager, contacte un organisateur de tournoi, Slade, pour mettre sur pied une rencontre au sommet entre lui et le vieux Lancey Howard, un maître incontesté et reconnu du poker.
Le Kid de Cincinnati est la dernière (avec Nevada Smith de Henry Hathaway et La Canonnière du Yang-Tse de Robert Wise l’année suivante) interprétation de Steve McQueen dans un emploi de « rookie », de jeune chien fou et/ou arrogant se heurtant à une certaine réalité du monde. Avec le succès de Bullitt et L’Affaire Thomas Crown (les deux en 1968) viendra le temps du mâle alpha séducteur et charismatique dont se dessinaient déjà les contours dans ses rôles précédents. Il interprète ici le « Kid », jeune surdoué du poker cherchant à se faire une place au somment en affrontant Lancey Howard (Edward G. Robinson), maître vieillissant mais indéboulonnable du jeu.
Le film fut pour Norman Jewison l’occasion de sortir des comédies pour lesquelles il était identifié en début de carrière, pour le mettre sur les rails de productions plus ambitieuses pour les années à venir. Il remplace un Sam Peckinpah (qui retrouvera McQueen pour Junior Bonner et Guet-Apens) qui débuta le tournage mais fut renvoyé au bout de quelques jours. Son choix de filmer en noir et blanc (afin de donner une patine années 30 en rapport avec la période de l’intrigue) et de corser la facette érotique irrita le producteur Martin Ransohoff qui fit le choix de le congédier. Le scénario est construit sur une longue mise en place des personnages et enjeux avant de déboucher sur un haletant climax voyant le duel entre le Kid et Lancey. Le trio de personnages principaux articule une dynamique observant les différents stades de la carrière d’un joueur de poker.Le Kid végète encore dans les bas-fonds (la partie d’ouverture virant au pugilat) malgré une réputation qui le précède, et son ambition démesurée vacille encore face à la tentation d’une vie amoureuse plus apaisée auprès de la douce Christiane (Tuesday Weld). McQueen exprime très bien ce mélange de froideur et de douceur, le petit ami tendre pouvant basculer en un instant dans une raideur glaciale si les attentes de son aimée font obstacles à ses projets. Le mentor Shooter (Karl Malden) est une sorte de projection d’un avenir raté pour le Kid, déclassé depuis une défaite humiliante face à Lancey et mal marié à Melba (Ann-Margret), femme légère semblant avoir jeté son dévolu sur lui en des heures plus glorieuses. L’environnement faussement luxueux et étriqué du couple, leur manque de communication, semble tisser le futur d’une union née dans le milieu vicié et insincère du poker. Enfin nous trouvons Lancey, détaché de tout et dévoué à son art, filmé par Jewison dans un alliage de prestance et de solitude (le long plan le figeant seul à l’image avant la partie alors que le Kid vient de saluer toute l’assemblée chaleureusement). Il s’est délesté avec l’âge des dernières tentations susceptibles de le distraire (la tirade au Kid sur la gêne que représente les femmes et une relation suivie), et n’existe désormais plus que pour briser ses adversaires, puis les écraser de son dédain à coups de bons mots.Jewison resserre progressivement le cadre du récit, comme pour nous faire évoluer justement entre les possibles que représentent les trois personnages, leur rapport au monde. L’énergie cosmopolite et l’urgence de la Nouvelle-Orléans par le prisme de ses rues, ses salles de jeux grouillantes passent par le Kid. Les frustrations et les égos meurtris s’agitent dans l’intimité du foyer pour Shooter et Slade (Rip Torn), nanti ne pouvant étendre sa domination de classe sur la table de poker. Le huis-clos final nous fait entrer dans le pur monde du jeu, des faux-semblants et du duel que l’on pense appartenir à tous les protagonistes, mais qui est avant tout celui-de Lancey. Norman Jewison signe un morceau de bravoure virtuose où les rudiments de poker suffisent à la compréhension, le bluff et l’intimidation manifeste passant par la gestuelle, les jeux de regards, hésitants pour certains et froid jusqu’à la déshumanisation pour d’autres. Les voix et regard déterminés capturés par Jewison expriment tout l’ascendant du Kid et Lancey sur leurs faire-valoir, avant que la table n’appartienne plus qu’à eux.Les cadrages, le montage et l’intensité sobre de McQueen font passer toute une gamme d’émotion avec peu, notamment les micros-évènements qui amènent le Kid à soupçonner Shooter de fausser la partie. La dernière main fait basculer la table en véritable espace mental, la photo de Philip H. Lathrop estompant les contours de la pièce pour ne plus qu’éclairer les visages captivés par le spectacle et y projetant leurs propres névroses. Jewison nous avait en réalité habilement préparé à l’issue - le Kid ayant perdu de sa « pureté » initiale tout en ne se pliant pas à l’ascétisme de Lancey - mais celle-ci s’avère néanmoins implacable, faisant tomber de son piédestal l’un des deux joueurs – appuyé par la tournure différente de l’énième jeu avec le jeune laveur de chaussure. Entre le rookie, le raté et le vieux sage, quelle est l’étape suivante attendant le Kid ? La question reste ouverte lors de la conclusion sobre.Sorti en bluray français chez Warner
mardi 2 juillet 2024
Pompo The Cinephile - Eiga daisuki Pompo-san, Takayuki Hirao (2024)
L’une des qualités majeures du manga et de l’animation japonaise grand public réside dans sa capacité à nous plonger dans des disciplines très spécifiques, et d’y insuffler un mélange de déférence et d’universalité les célébrant tout en les rendant accessible à tous. Un manga/animé comme Hikaru no go a popularisé le jeu de go auprès du jeune public à l’échelle internationale, les plus réfractaires au sport se sont plongé dans les odyssées de Captain Tsubasa et autre Slam Dunk, et ce ne sont que quelques exemples parmi les plus connu. Le dépassement de soi du shonen nekketsu, l’empathie et la subjectivité des meilleurs shojos, tout cela contribue à une somme de valeurs à la fois simples et complexes que les artistes japonais savent matérialiser dans les sujets les plus variés.
Pompo The Cinephile en est une nouvelle démonstration. Le film est l’adaptation du manga de Sugitani Shogo, publié en 2017. Le manga et la japanimation se sont déjà souvent attaqué au monde du spectacle et du cinéma, mais dans les titres nous étant parvenu en France il s’agissait soit de fiction adolescente explorant une discipline spécifique (les mangas Act-age ou Akane Banashi, en plus ancien la série d’animation et le manga Glass no Kamen/Laura ou la passion du théâtre), soit des titres plus adultes à la dimension référentielle Millenium Actress (2001) ou Paprika (2007) de Satoshi Kon. Pompo The Cinephile détone donc par la plongée qu’il offre dans le monde du cinéma en nous proposant une sorte de La Nuit Américaine revisité en japanimation.Nous allons y suivre dans un équivalent imaginaire de Hollywood, les rêves, les doutes et l’ascension de Gene, passant d’assistant à réalisateur pour sa productrice Pompo. Le défaut majeur du film réside dans les facilités destinées à rendre le film accessible à tous. Le chara-design, fidèle au manga, est des plus conventionnels et ne fait ressortir la personnalité des protagonistes que de façon grossièrement signifiante (Gene cinéphile passionné, forcément ahuri et des poches sous les yeux) quand il ne cède pas au kawaii ou le fan-service le plus facile. De même, si la construction du film suit plutôt fidèlement les étapes de la fabrication d’un film (écriture, préparation, tournage, montage, financement, reshoots), les difficultés et doutes rencontrés obéissent à des codes shonen dans ce qu’ils ont de plus basiques, véhiculant une émotion assez fabriquée.Le réalisateur Takayuki Hirao a fait ses débuts en travaillant aux côtés de Kon sur Millenium Actress et la série Paranoïa Agent, et a récemment brillé en réalisant des épisodes de la série Spy x Family. C’est précisément le mélange de proximité ordinaire et de virtuosité extraordinaire de cette dernière qui fait le sel de Pompo The Cinephile. Le réalisateur s’extirpe des schémas balisés dès lors qu’il peut transmettre par la seule mise en scène la passion des personnages pour leur art. La première expérience de montage de Gene sur une bande-annonce exprime par une symbolique flamboyante l’exaltation de celui-ci, marionnettiste maniant des fils de pellicule pour assembler à sa guise les images qui happeront le public. L’abnégation de l’aspirante actrice Natalie fait l’objet aussi tourbillonnant flashback construisant une dynamique chargée d’espoir avec le présent, tandis que le rapport ambivalent de Pompo (entre passion artistique et velléités commerciales) fait également l’objet d’échos très réussis jusqu’à la touchante conclusion. Le geste collectif que constitue un tournage est bien amené aussi dans des séquences assez irrésistibles d’efficacité narrative, posant tous les impondérables (logistiques, météorologiques) auxquels doit répondre une production. Tout cela est bien sûr idéalisé (pas d’égo, de rivalité ou de malveillance) mais rendu tangible et formellement réussi (l’éclaircie venant après le tournage pluvieux improvisé) par Takayuki Hirao. En dépit des facilité inhérentes à sa cible jeune public, Pompo The Cinephile est néanmoins une initiation attachante aux coulisses du monde du cinéma pour celui-ci, ponctué de jolis clins d’œil pour les plus âgés – Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore.En salle