Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Murder on D Street - D-Zaka no satsujin jiken , Akio Jissoji (1998)
Murder on D Street est une adaptation
d'Edogawa Ranpo qui s'inscrit dans le regain d'intérêt que trouve
l'écrivain au Japon dans les années 90, bénéficiant de rééditions
prestigieuses, d'études universitaires et de transpositions
cinématographiques nanties. Alors que les adaptations des années 60/70 (Le Lézard noir de Kinji Fukasaku (1968), La Bête aveugle de Yasuzo Masumura (1969), Horror of Malformed Men de Teruo Ishii (1969), La Maison des perversités
de Noboru Tanaka (1976)) travaillent une forme de provocation notamment
dans la violence et l'érotisme, celles des 90's, fortes de ce retour en
grâce de l'auteur, creusent plutôt un sillon méta et référencé. C'est
le cas du fascinant The Mystery of Ranpo
de Rintaro Mayuzumi et Kazuyoshi Okuyama (1994), objet inclassable entre
adaptation et biopic fantasmé d'Edogawa Ranpo. On retrouve de cela dans
Murder on D Street qui adapte la première
aventure de Kogoro Akechi, le plus célèbre personnage de Ranpo et sorte
Sherlock Holmes à la japonaise.
C'est le succès de cette nouvelle qui
incita Ranpo, à la demande de ses éditeurs, d'en faire un héros
récurrent que l'on retrouvera tout au long de douze romans et nouvelles.
Dans la version écrite de Murder on D Street,
Akechi n'est donc pas encore le gentleman détective charismatique et
perspicace, mais plutôt un jeune homme féru d'énigme policière qui va se
trouver par hasard à une affaire criminelle qu'il va résoudre. Le film
se démarque de cet aspect et entretient une connivence avec le grand
public japonais connaissant le personnage, pour le montrer à la fois sous son
jour le plus iconique mais aussi le déconstruire. Ainsi Akechi nous est
d'abord présenté comme un reclus hirsute et désabusé, retiré des
affaires policières malgré une célébrité qui demeure après ses exploits
passés (l'occasion de faire dans le référentiel lorsqu'un personnage lui
cite certaines anciennes affaires résolues qui firent la une des
journaux, et donc autant de citations de roman).
La mise en abime est au cœur même du récit. Tokiko Sunaga (Yumi
Yoshiyuki) est une séduisante veuve qui va réclamer les services de
Fukiya (Hiroyuki Sanada), peintre et faussaire de génie. Elle attend de
lui qu'il peigne des copies parfaites des originaux d'un peintre
controversé qu'elle a en sa possession. La première mise en abime
intervient lorsque Fukiya comprend que le modèle des sulfureuses
peintures bondage n'est autre que sa commanditaire au passé sulfureux
sous ses airs respectables. L'égo de Fukiya va donc l'inciter à être le
seul dépositaire de l'œuvre du peintre et que sa copie se substitue à
l'original. Pour cela il doit tuer Tokiko, seule preuve vivante du
subterfuge qu'il envisage. La mise en scène scrute les poses les plus
scandaleuses des peintures en adoptant le point de vue fasciné de
Fukiya, et les mets en parallèle des vrais ébats SM d'un couple adultère
vivant dans la même rue.
Un montage alterné entremêlera même plus tard
les étreintes passionnées des amants avec la scène de meurtre par
étranglement, faisant du sexe une danse de la mort typique du style
d'Edogawa Ranpo - et ce jusque dans la réaction de la victime, excitée
puis apeurée en voyant que cette violence ne relève plus du seul jeu
sexuel. Le traitement du décor participe également à cette mise en
abime. On voit littéralement lors de la scène d'ouverture la
construction de la maquette de ce pan de rue, les arrière-plans sur fond
noir sont surplombés d’immenses pages blanches bardées de kanji (avec
des extraits d'ouvrage de Ranpo peut-être ?) tandis que les passants
sont des silhouettes cartonnées.
Tout cela travaille l'artificialité
volontaire du film, qui nous plonge dans une bulle onirique dédiée à
l'univers d'Edogawa Ranpo. La photo diaphane et stylisée travaille cette
idée dans les scènes d'intérieurs, une forme de pastiche policier
nourrit certains passages comme l'interrogatoire des suspects braqués
par une lampe blanche dans le visage. C'est donc pour démonter le vrai
du faux, la copie de l'original, la réalité de la mise en scène, que
Akechi revient aux affaires pour résoudre le meurtre.
Dès lors sous le
regard du détective, l'artifice principal arme de Fukiya, vole en éclat
lors de la superbe scène du test psychologique (qui fait d'ailleurs
référence à une nouvelle éponyme où Akechi en use) où le travail sur la
couleur vient contredire l'assurance du meurtrier. Kyusaku Shimada
incarne est excellent Akechi, froid et réfléchi qui manœuvre brillamment
son adversaire par l'égo démesuré de celui-ci. C'est à la fois austère
et stylisé, avec le risque de perdre le non lecteur de Ranpo par sa
distance assumée quant à son récit policier. Cela n'en demeure pas moins
un travail très original en termes d'adaptation.
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