Petite fille de noble ascendance, Yuki
vit au Ciel avec ses grands-parents, qui veillent sur la Terre. L’année de ses 13
ans, elle est envoyée chez les humains pour faire revenir la paix. Si elle
réussit, elle pourra revenir au Ciel, auprès des siens. Si elle échoue, elle se
transformera en un vent glacial. Confrontée aux tourments des habitants
d'un village du Japon féodal, elle découvre que le Démon de la Montagne
est la cause de tous leurs maux. Elle part à sa recherche pour libérer les
villageois…
Yuki, le secret de la
montagne magique est une vraie rareté de l’animation japonaise, produite conjointement
par Mushi Production (le studio d’Osamu Tezuka) et la Nikkatsu. C’est le seul
film d’animation de son réalisateur Tadashi Imai, véritable vétéran de
l’industrie cinématographique japonaise. Cette incursion en terrain inconnu n’en
reste pas moins marquée de sa personnalité. Ses films les plus reconnus
reflètent ses penchants humanistes et son engagement marxiste comme Nous sommes vivants (1951) produit en
indépendant et sorte de variation japonaise au néoréalisme italien. On trouve
cette préoccupation pour les opprimés dans Ombres
en plein jour (1956) au cadre contemporain, mais aussi dans Contes cruels du Bushido (1963),
description rigoureuse du Japon féodal récompensée d’un Ours d’or à Berlin.
Yuki constitue une
forme de synthèse de tout cela, mais agrémenté d’éléments fantastiques et
calibré (dans le bon sens du terme) pour un jeune public. L’histoire se déroule
donc dans un Japon féodal à feu et à sang, et plus particulièrement pour les
démunis que sont les paysans. Ils sont exposés à la cruauté des pillards, la
violence des samouraïs et à la cupidité des seigneurs réclamant leur dîmes. Le
récit est fidèle à la hiérarchie féodale japonaise qu’il rend limpide en nous
la faisant découvrir au fil des injustices observées. Cela se fait à travers le
regard de Yuki, jeune fille d’ascendance divine chargée d’apaiser les
souffrances des villageois en un an. Imai mélange imagerie chrétienne,
shintoïste et conte traditionnel japonais. La vision des cieux, la stature du grand-père (dont le visage
arbore un certain cliché imposant/bienveillant de Dieu chrétien monothéiste) et
un postulat évoquant en loin celui du Conte
de la princesse Kaguya - adapté récemment par Isao Takahata - participent de
l’esthétisme et de la tonalité de ce mélange.
On devine l’expérience de cinéma traditionnel d’Imai dans
l’art de tirer le meilleur de ce passif et des possibilités de l’animation. On
sent une volonté de rigueur dans la description de la vie rurale de l’époque,
mais le tout dans une stylisation où s’entremêlent une forme d’épure et de
ligne claire du décor en estampe avec l’allure plus arrondie et cartoonesque
des personnages. Cela sert un environnement tangible où peut s’inviter le
merveilleux par les apparitions du cheval blanc Fubuki, et une forme de
légèreté avec la troupe de jeunes mendiants à laquelle va se lier Yuki.
L’héroïne a pour rôle de faire prendre conscience aux paysans de leur
importance dans la chaîne de pouvoir, et par conséquent de s’opposer aux
dominants.
Le fait d’observer comme le courage d’une adolescente pétrifie
toutes les formes de mal va donc enhardir la communauté. Imai déploie une
mystique et un onirisme croissant pour magnifier les prodiges de Yuki. Il y a
une vraie différence entre la violence des différents oppresseurs sur laquelle
on s’attarde crûment, celle nécessaire des paysans adoucie par des artifices
formels (plan crayonnés, panoramique sur décor fixe) et l’aura pacifiste mais
déterminée de Yuki. Le réalisateur façonne de véritables parenthèses oniriques
au cœur des batailles où la bande-originale magnifie l’héroïne par sa dimension
épique et naïve, notamment par l’usage des chœurs qui vient rappeler sa candeur
juvénile.
L’un des beaux messages du film est que le mal est partout,
tant chez ceux qui nous tourmentent que
dans nos cœurs. On peut apprendre à le dompter ou y céder, et c’est fort
logiquement (dans cette veine de conte) que ce mal comme cette innocence se personnifie
de façon littérale. Les jeunes compagnons de Yuki, pas encore souillés par la
vie représentent cette dévotion. Le mal ordinaire qui ronge chacun existe quant
à lui sous la forme explicite d’un démon. C’est en acceptant de recevoir ce mal
(on retrouve ce mélange où la chrétienté sacrificielle côtoie le pacifisme
shintoïste, le père d’Imai était d’ailleurs moine bouddhique) que Yuki triomphe
dans une somptueuse conclusion. Le film anticipe nombre d’idées visuelles et
thématiques des productions Ghibli. L’héroïne messianique et l’apparition finale
du démon annoncent entre autre Nausicaa
(1985). Une belle réussite méconnue à découvrir.
En salle le 9 septembre
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