Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 23 septembre 2020

Boat People, Passeport pour l'enfer - Tau ban no hoi, Ann Hui (1982)

Trois années après avoir photographié la fin de la guerre, le journaliste japonais Shiomi Akutagawa revient au Vietnam pour faire un reportage sur la situation actuelle du pays, les mesures prises par le gouvernement comme les mises en place de Zones Économiques Nouvelles. Accompagné par deux responsables des affaires culturelles, Le et Vu, il se met à douter de la spontanéité des scènes dont il est témoin dans une de ces ZEN. Il décide alors de s'en éloigner seul et fait la rencontre d'une adolescente de 14 ans, Cam Nuong.

Boat People est le troisième et dernier volet de la "trilogie vietnamienne" d'Ann Hui, venant après le téléfilm Boy from Vietnam (1978) et The Story of Woo Viet (1981). Ces deux premiers films observaient différents pans du sort de la diaspora de réfugiés vietnamiens fuyant le pays. Dans Boy from Vietnam on suivait le sort d'un adolescent réfugié fraîchement arrivé à Hong Kong et son adaptation à sa terre d'accueil. The Story of Woo Viet traitait le problème plus en amont avec cette fois le parcours du combattant d'un réfugié et le quotidien de voyageur clandestin sur le chemin d'une vie nouvelle. Boat People suit la même logique et se déroule cette fois dans ce Vietnam agité de la fin des 70's, pour nous montrer les conditions qui poussent la population à fuir le pays dans de périlleuse conditions dans l'espérance d'une existence meilleure. Cela va se faire à travers le regard du journaliste japonais Akutagawa (George Lam) qui, après avoir photographié le pays en guerre y revient trois ans plus tard pour immortaliser sa reconstruction. Seulement son reportage se fait sous l'égide du ministère des affaires culturelles et l'oriente vers des ZEN (Zones Économiques Nouvelles) au cadre trop contrôlés et idylliques, à l'image de la scène d'ouverture et de ses orphelins bien portants et euphorique. Akutagawa doute vite que cette imagerie qu'on lui impose reflète la réalité du pays et décide d'arpenter la ville voisine seul afin de se faire sa propre idée. Il va sympathiser avec l'adolescente Cam Nuong (Season Ma) et sa famille pour ainsi découvrir l'envers cauchemardesque du Vietnam. 

Si The Story of Woo Viet empruntait une voie plus romanesque et orientée polar, Boat People marque par sa crudité. Tous les personnages dont (et surtout) les enfants font preuve d'une forme de détachement blasé face à la misère du quotidien et les comportements extrêmes qu'elle génère. L'instinct de survie surmonte et rend banal toute l'horreur ordinaire. Chaque fois que durant les pérégrinations d'Akutagawa une forme de légèreté s'installe, une scène choc vient brutalement nous rappeler la situation dans laquelle on se trouve. Ann Hui amène chacun de ces moments de manière anodine, sans effet dramatique ni montée de tension, le pire est une normalité. Cela concerne avant tout les enfants et est graduel. La curiosité de notre héros est titillée en observant des enfants se battre pour un bol de nouilles renversé par terre. Plus tard le choc viendra de l'empressement désinvolte de ces mêmes enfants à détrousser les cadavres d'opposants fraîchement exécutés dans l'espoir d'y trouver une babiole à revendre.

C'est une véritable génération sacrifiée que l'on a sous les yeux, tout autant livrée à elle-même en ayant encore ses parents que pour les orphelins soumis aux besognes dangereuse dans les vraies ZEN plus proche du camp de prisonnier que du refuge. Ann Hui filme avec noirceur ce pendant sordide du Vietnam par une veine dramatique reposant sur l'empathie et l'attachement d'Akutagawa à Cam Nuong. L'autre approche de la réalisatrice et de saisir la nature résignée des adultes quant au monde qui les entoure. L'ancien révolutionnaire Nguyen (Shi Mengqi) qui a voué sa vie à la cause est bien conscient de son échec et se réfugie dans l'alcool et les maximes désabusées. Il y a ceux qui profitent des failles du système pour s'enrichir comme Cora Miao, tenancière de bar faisant du marché noir mais qui est gagnée par la mélancolie face à une existence figée. On peut y ajouter les agents du pouvoir plus cynique et dans ce mélange d'ambition et de fanatisme où il faut donner le change politique par l'image. Le personnage de To Minh (Andy Lau dans un de ses premiers rôles) est finalement intermédiaire, jeune homme gagné par la froideur ambiante mais n'ayant pas encore renoncé à ses rêves d'ailleurs comme ouvrir un bar à la Nouvelle Orléans.

Akutagawa (très bon George Lam) en tant qu'orphelin japonais de la Deuxième Guerre Mondiale a à la fois cette dimension d'observateur tout en se sentant impliqué et l'émotion passe souvent par l'indignation de son regard. Les chemins de traverse pour survivre sont avilissants (cette mère de famille qui se prostitue) et traîtres, chaque possible échappée dissimulant une issue encore plus tragique. C'est une notion qu'adoptent naturellement les enfants et à laquelle se refuse Akutagawa, voyant avec quel naturel horrible Cam Nuong est conditionnée pour s'offrir à lui. Tout le film est ainsi particulièrement éprouvant, et ce jusqu'à une dernière scène choc où la noirceur absolue se mêle au très mince espoir. Quoiqu'il en soit pour le réfugié l'innocence semble s'être perdue au gré de tous les sacrifices et horreurs vu pour arriver à destination. 

Une œuvre puissante qui, bien que reposant (comme les deux précédents volets) sur des témoignages de réfugiés recueillis par Ann Hui, sera accusé d'orientation politique. En effet le film est tourné sur l'île d'Hainan appartenant à la Chine qui sort justement d'une guerre avec le Vietnam. Cette vision très glauque du pays sera ainsi vue par les vietnamiens comme un renvoi d'ascenseur à la Chine. Une des conséquences de ce contexte sera le retrait du film de la compétition officielle au Festival de Cannes suite aux protestations, mais aussi à la demande du gouvernement français souhaitant maintenir de bonnes relations diplomatiques avec le Vietnam. Boat People n'en reste pas moins un grand film et le plus connu et salué de la trilogie. 

Sorti en bluray français chez Spectrum Film


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