Venu avec son frère à Los Angeles pour s'occuper d'un restaurant, Midge Kelly rencontre Tommy Haley, un manager qui va lui apprendre l'art de la boxe. Prêt à tout pour réussir, dénué de scrupules, Midge va devenir un champion. Mais le prix à payer sera très élevé.
Le Champion est le film qui fera de Kirk Douglas une star à Hollywood, son premier rôle majeur et grand succès au box-office. Jeune comédien en pleine ascension aperçu dans des seconds rôles intéressants (La Griffe du passé de Jacques Tourneur (1947), Chaînes conjugales de Joseph L. Mankiewicz (1949)), Kirk Douglas va trouver va trouver avec Le Champion le film qui va littéralement imposer sa persona filmique dans nombre de ses réussites à venir. Dans le film de Mark Robson, Kirk Douglas est déjà ce corps musculeux, sec et félin prêt à bondir qui trouvera son sommet dans Les Vikings de Richard Fleischer (1958) et Spartacus de Stanley Kubrick (1960).
C’est également déjà cette personnalité schizophrène capable de passer de la camaraderie rigolarde à la nervosité assassine en un clin d’œil (L'Homme qui n'a pas d'étoile de King Vidor (1955), El Perdido de Robert Aldrich (1961). Enfin il y est aussi ce tempérament énergique sachant tout autant séduire et emporter son entourage que le faire sombrer pour satisfaire ses propres intérêts (Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder (1951), Les Ensorcelés de Vincente Minnelli (1952). Fils de migrants biélorusses et ayant grandi dans un milieu défavorisé, Kirk Douglas gravit les échelons à force de détermination et en posant justement ce corps en obstacle aux préjugés qu’il rencontre comme cette pratique de la lutte à l’université qui fit taire la condescendance de ses camarades. L’interventionnisme de sa double casquette à venir de producteur montrera d’ailleurs le parfait flair de Douglas quant au matériau qui lui sied, ce qui est déjà le cas avec Le Champion pour lequel il renonce à un rôle lui étant promis dans une superproduction MGM. Le scénario (avant d’être repris par Carl Foreman) est une histoire de Ring Lardner, journaliste sportif et écrivain qui eut tout le loisir d’observer la face sombre du milieu sportif et de ses acteurs durant sa carrière. Si Mark Robson explorera de façon plus documentée et satirique le sujet dans Plus dure sera la chute (1956), il adapte ici son approche à la personnalité haute en couleur de son héros boxeur Midge Kelly (Kirk Douglas). L’ouverture nous montre Midge sortir du vestiaire et traverser le couloir qui mène au ring où il va défendre son titre de champion. Le score oppressant de Dimitri Tiomkin et le travail sur le clair-obscur de la photo de Franz Planer impose une atmosphère tourmentée et pesante à cette marche qui évoque plus le film noir que le récit sportif. Cela annonce que nous ne nous plongerons pas dans une intrigue tortueuse de polar, mais en tout cas dans les méandres de personnalité complexe de Midge. C’est le froid, ambitieux et déshumanisé boxeur qui avance dans les ténèbres sans que l’on aperçoive son visage, puis c’est l’icône adulée au storytelling « prolo » qui s’élève et brille sur le ring dans un halo de lumière saturé et irréel. La schizophrénie de Midge se révèle ainsi d’emblée par la seule image avant que la narration en flashback ne nous l’explique en détail. Ayant vécu toute sa vie dans la misère, le seul instrument de réussite de Midge c’est lui-même. Il devra se montrer toujours plus séducteur avec les femmes, toujours plus hargneux avec les adversaires et plus gueulard face aux dominants qui le méprisent. Cela représentera d’abord un atout, cette énergie à toute épreuve le conduisant notamment à tenir son rang sans expérience du ring et attirer l’attention du manager Haley (Paul Stewart). Cependant son empressement à séduire puis abandonner son épouse Emma (Ruth Roman) annonce la froide détermination de Midge. D’ailleurs même lors des scènes sentimentales, Robson sème le trouble en jouant de cette photo clair-obscur qui masque le visage de Douglas et trahit la seule satisfaction d’avoir gagné et vaincu les réticences de la jeune femme à laquelle il vole un baiser fougueux. Si ce tempérament carnassier ce tapis dans l’ombre dans la vie ordinaire, il explose à la face du monde lors des scènes de boxe.Les trois contrechamps vus du ring sur la vénale et blonde Grace (Marilyn Maxwell), à des étapes différentes de l’ascension de Midge, illustrent parfaitement cette hargne et volonté de réussite de notre héros. En début de film, le dédain de Grace donne à Midge la force de tenir quatre rounds malgré ses aptitudes alors limitées. Plus tard et sûr de sa force, c’est cette même attitude hautaine de l’inaccessible Grace qui lui font défier l’institution corrompue de la boxe et refuser de « se coucher » pour terrasser son adversaire. Enfin la conclusion lui fait voir Grace cette fois ivre de revanche face à sa défaite imminente, et c’est la force de l’orgueil qui lui fera remporter une périlleuse victoire. Robson use habilement de toute la grammaire du film de boxe dans son découpage et ses cadrages, mais ce qui l’intéresse avant tout est de capturer l’instinct de prédateur de Midge. L’adversaire n’est qu’une métaphore de ce monde qui le sous-estime et face auquel il doit s’avancer encore et toujours, et cogner de toutes ses forces. Robson use de la contre-plongée pour magnifier et rendre dangereuse la stature de Douglas, le filme face caméra bondissant et griffant comme le félin dangereux qu’il est - dans une approche qui anticipe le Scorsese de Raging Bull (1980). Le ring est un champ de bataille dont il faut réduire la circonférence à l’adversaire, l’acculer et le réduire en miette. Les acclamations de la foule sont finalement les éléments qui ramolliront Midge qui s’embourgeoise, alors que le final où il comprend que sa défaite imminente fait jubiler une audience hostile va à le stimuler et faire renverser la situation.Kirk Douglas livre une prestation fascinante, charismatique à souhait tout en atteignant des sommets d’ignominie (la scène où il rejette une amante en échange de la recette de son dernier match). Il montre la dimension lumineuse comme sombre de la mégalomanie inhérente au sportif ambitieux, où l’objectif est plus important que tous les dommages collatéraux qu’on laissera derrière soi. Midge est une figure d’envie silencieuse pour son frère Connie (Arthur Kennedy), une vache à lait pour Grace et un corps désirable pour Emma avec une manière très audacieuse pour Robson de sexualiser le corps de Douglas et en faire l’instrument d’une tension sexuelle palpable. Cette seule réussite et reconnaissance qu’il a poursuivi représentera également l’héritage public de Midge. Sa face noire en restera à la rancœur intime de son entourage, dans un schisme qu’aura brillamment su instaurer le film de bout en bout. Le Champion est une grande réussite qui pose le socle d’une grande partie de l’aura à venir de Kirk Douglas.Sorti en bluray français chez Rimini
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