L’ouvrage de Timothée Gérardin se penche sur un thème
passionnant et pas si souvent analysé, le traitement du miracle religieux à l’écran.
L’auteur va donc décortiquer les différents motifs du miracle à l’écran, sa
portée sociale, politique et philosophique à travers un large et hétérogène
cursus de films à l’angle essentiellement chrétien. Dès le départ Timothée
Gérardin observe la faible frontière séparant, dans sa dimension spectaculaire du
moins, le miracle et le tour de magie, le fait religieux et le conte. Cela se
joue dans la création même avec un Méliès illustrant une vie de Jésus par seul
intérêt pour la mise en scène des miracles qu’il aborde dans son approche de
prestidigitateur (et donc païenne) plutôt que pieuse. C’est tout l’inverse
beaucoup plus tard d’un Cecil B. DeMille explicitement croyant et qui filme le
miracle dans une veine pompière et spectaculaire dans ses deux versions de Les Dix commandements (1923 et 1956) –
et qui théorise durant la scène des serpents cette différence entre magie et
miracle.
Cette piété peut à l’inverse passer par une forme d’austérité
formelle où le miracle brille par son absence et survient au moment le plus
inattendu tel Ordet de Carl Theodore Dreyer (1955). Une figure comme Jésus-Christ
se prête ainsi à l’épure où le miracle n’intervient pas par l’artifice formel
mais par un subtil travail sur le montage, le découpage, refusant la facilité
de l’explicite pour prouver la présence divine. Timothée Gérardin observe aussi
comme l’emphase peut être travaillée dans une certaine forme de retenue avec la
stupéfiante résurrection de Lazare dans La
Plus Grande Histoire jamais contée de George Stevens (1965). La seule
présence de Jésus instaure cette atmosphère de miracle et influe sur le destin
des héros bien humains d’œuvres comme Ben-Hur
de William Wyler (1959), La Tunique
de Henry Koster (1951) ou Barrabas de
Richard Fleischer (1961). La facette pompière intervient désormais pour
désacraliser Jésus et oser le montrer douter dans le controversé La Dernière Tentation du Christ (1987).
Cela nous mène donc à des films bibliques contemporains qui
distillent désormais le doute dans leur manifestation du miracle. Noé de Darren Aronofsky (2014) montre
son personnage-titre comme un exalté, sans parler de sa scène d’ouverture où la
voix-off dépeint la Création en lisant le livre de la Genèse tandis qu’à l’image
cette origine du monde est filmée selon les principes du Darwinisme. De même
dans Exodus : Gods and Kings de Ridley Scott (2014) les apparitions divine
procèdent plus d’une interprétation de Moïse, d’une projection mentale, que du
miracle pompier et emphatique d’un DeMille. Désormais le miracle se confronte à
son envers néfaste ou tout du moins à l’imperfection humaine dans des mises à l’épreuve
tour à tour terrifiante dans L’Exorciste de William Friedkin (1973) ou
hilarante dans Bruce tout puissant de
Tom Shadyac (2003) où Jim Carrey se voit temporairement doté des pouvoirs de
Dieu.
Après cette réflexion sur l’illustration du miracle,
Timothée Gérardin aborde tout naturellement son envers, la façon dont on peut
le remettre en question. Le doute est au cœur des différentes adaptations de la
vie de Jeanne d’Arc lorsque celle-ci voit son sacerdoce malmené par ses
oppresseurs. Tout tient à la grâce de la jeune femme qui exalte un souverain et
un peuple avant que les aléas politique mettent à l’épreuve celle qui fit
figure de guide. L’instrumentation politique est de mise aussi dans Le Miracle de Fatima de John Brahm (1952) où le
prétexte du miracle est un message anticommuniste, loin du traitement subtil d’un
Henry King dans Le Chant de Bernadette
(1943) au postulat voisin. Le miracle est moqué dans Le Miraculé de Jean-Pierre Mocky (1987), détourné dans Dogma de Kevin Smith (1999) et
finalement soumis à la défiance d’un monde contemporain moins dépendant de
cette foi chrétienne. Des cinéastes habités comme Lars Von Trier savent allier
cheminement douloureux et manifestation divine catharsis tel Breaking the Waves (1996), ou dans une
veine plus sobre Ponette de Jacques
Doillon (1996). L’ambiguïté ne tient plus au questionnement entre merveilleux et démonstration
céleste comme au temps de Méliès, ni même entre foi austère et expressive, mais
plutôt à la réalité de ce miracle dans un monde qui n’y croit plus. Timothée
Gérardin explore une grande variété de pistes, par l’angle de la source
cinématographique bien sûr, mais aussi théorique et théologique. C’est fouillé
et captivant de bout en bout.
Edité chez Playlist Society
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