Certains des plus beaux films de Pablo Larrain traitent de
protagonistes qui s’affranchissent d’un environnement oppressant par la seule
force d’une personnalité singulière. Il en a récemment montré un versant
prestigieux à travers ces deux biopics Neruda
(2016) ou Jackie (2017), l’art du
poète chilien enchantant le premier tandis que le tempérament de la première Dame
américaine meurtrie hypnotisait dans le second. Quand Larrain observait un protagoniste plus anonyme dans Tony Manero
(2008), c’était pour en observer la nature excentrique s’évadant par la
danse du contexte de dictature de Pinochet.
Ema croise en
quelque sorte le cadre modeste de Tony Manero avec la stylisation marquée de Neruda et Jackie. Point d’évasion dans la grande histoire chilienne ou
mondiale cette fois, l’héroïne Ema (Mariana Di Girólamo) cherche avant tout à
échapper à elle-même et sa culpabilité. Jeune danseuse mariée au chorégraphe Gastón
(Gael Garcia Bernal), elle a rendu son jeune fils adopté à l’orphelinat suite à
un drame. Au fil d’une ouverture en flashback morcelé, on comprend que le lien
entre Ema et cet enfant ne s’est jamais complètement créé, ou du moins pas dans
les termes classique d’une relation mère-fils. Le tempérament libre,
excentrique et immature d’Ema est autant la cause de cette connexion distendue
que les propres maux amenés par l’enfant au sein de sa nouvelle famille. Le garçon,
Polo, brille par son absence physique durant une grande partie du film tout en
étant l’ombre qui hante la moindre pensée d’Ema.
Pourtant à la manière des autres grands personnages
libertaires de Larrain, Ema cherche aussi à échapper à une dictature. Pas une
dictature politique, mais plutôt celle de la norme. Sa nature profonde ne s’accorde
pas à la norme dans laquelle elle tente initialement de s’inscrire. Cela s’exprimera
d’abord de manière physiologique par l’impossibilité de concevoir biologiquement
un enfant avec Gaston, puis dans la pratique avec l’échec de cette cellule
familiale traditionnelle après l’adoption de Polo. Tous le film semble alors
être une rupture, une échappatoire à la norme et aussi un exutoire à la
culpabilité. Larrain manifeste cette fuite en avant dans une flamboyante
symphonie de son, lumière et mouvement. Ema malmène les environnements urbains
dont elle embrase les contours armée de son lance-flamme la nuit venue. Elle se
déhanche frénétiquement seule ou avec son groupe d’amies sur les sons répétitifs
et lascifs de reggaeton, savourant le mélange d’excitation et d’indignation qu’elle
suscite.
Cette liberté a cours dans ses amours également, par la relation nouée
avec l’avocate de son divorce (Paola Giannini), un nouvel homme ou même une
envie passagère avec une de ses acolytes danses. Le tout est de s’affranchir
des chaînes de la normalité, ce que Pablo Larrain travaille avec un brio formel
étourdissant. Il reprend certains codes du clip jusqu’au vertige dans le
travail sur le mouvement, Ema étant l’astre solaire apportant fluidité (avec l'excellent score de Nicolas Jaar) dans l’euphorie
charnelle et festive du montage sensoriel. C’est une esthétique qui s’est imposée par le
choix de l’actrice Mariana Di Girólamo, beaucoup plus jeune que le personnage
de 45 ou 65 imaginé par Larrain sur le papier. Sa Ema a donc les paradoxes de la jeunesse d’aujourd’hui. A
la fois autocentrée, immature et pourtant lucide quant au monde qui l’entoure
par son vandalisme pyromane.
Elle est également débarrassée des entraves
morales, genrées et sexuelle d’antan pour endosser ses envies et ses égoïsmes
passagers. Tout le film semble en fait être une hésitation entre cette fougue
et l’espérance d’une existence classique, que ce soit sa tentative de retour à
la vie active ou ses hésitations dans les perspectives amoureuses (cet amant
lui disant « je ne peux pas quitter ma famille » et sa réponse « je
ne te le demande pas »). C’est dans le lâcher prise que le film envoute le
plus notamment dans cette scène d’amour démultipliée par le montage alterné ou
Ema donne autant qu’elle reçoit le plaisir avec hommes et femmes.
La photo de
Stéphane Fontaine alterne teinte colorée soulignant cette langueur libre et
sauvage de la nuit avec une texture plus classique revenant à l’hésitation du
jour. Au final, Ema refuse de choisir entre l’abandon son et lumière de la nuit
et la retenue du jour pour créer sa propre norme. La conclusion somptueuse
révèle le temps d’un twist inattendu la construction d’un nouveau modèle. Ema
peut y être l’hédoniste et la mère, l’amante et la sœur, le soleil et la lune
pour elle-même et son entourage. Mariana Di Girólamo, diva peroxydée, est une
sacrée révélation et brille au firmament de cette œuvre envoutante.
En salle
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