En 1956, pendant la guerre d'Algérie, March, Charpentier et Dax, des réservistes, se retrouvent dans un bataillon disciplinaire. Ils sont alors pris dans les engrenages de la guerre, de la torture et de la mort. Le commandant Lecoq doit constituer une unité d'élite avec les réfractaires, dont les motivations politiques sont diverses.
Après la réussite et le succès commercial de L’Attentat (1972), Yves Boisset creuse avec plus d’audace encore le sujet politisé et polémique en signant R.A.S. Onze ans à peine après les accords d’Evian qui marquèrent la fin du conflit, Boisset signe une des si ce n’est la première grande fiction à charge traitant de la Guerre d’Algérie. Adaptant le roman éponyme de Roland Perrot, Boisset signe une odyssée chorale accompagnant un groupe de personnages du statut de réservistes en France à celui de parias dans un bataillon disciplinaire.
Chacun arrive dans ce corps d’armée de force, arraché à leur métier, leur jeunesse, famille et conviction. Passée une bagarre initiale amenant chacun à évacuer leur frustration, tous nouent une réelle amitié fraternelle qui sera le socle humain propre à leur faire supporter les épreuves qui les attendent. Boisset montre les protagonistes plier sans se briser pour certains, et s’effondrer pour d’autres, face à ce corps de l’armée montré de façon plus ambiguë et subtile qu’il n’y parait. La première partie en France montre (actualités de propagande à l’appui) le contrepoint entre des officiers fanatisés et des soldats désabusés, la brutalité de premiers cherchant à soumettre la volonté des seconds. Cette dynamique prend un tour nettement plus oppressant en Algérie, l’éloignement de la civilisation accentuant le travail de lobotomisation des esprits, l’incitation aux forfaits révoltants envers les locaux. Cet isolement est ainsi propice à un renoncement progressif. L’humaniste et militant communiste Charpentier (Jacque Weber) est confronté aux limites de son pacifisme, les horreurs auxquelles il assiste et/ou est incité à perpétrer ébranlent la santé mentale de Dax (Jean-François Balmer), tandis que les traits juvéniles et innocents de March (Jacques Spiesser) sont altérés par l’expérience. Après l’axe de la soumission violente, Boisset montre celui d’un pragmatisme forcé lorsque nos héros intègrent une unité d’élite où le commandant Lecoq (Philippe Leroy-Beaulieu) leur fait apparaître certains écarts comme un mal nécessaire et les place face aux limites de leur insoumission dans pareil contexte. Au fil des pertes et des épreuves, l’esprit de corps se construit mais relève d’un malaise ne se dissipant pas quant à un conflit qui n’a rien de noble. Boisset montre d’ailleurs la contestation bien présente au sein de la population française (la chaotique scène d’émeute en gare), et les méfaits les plus controversés de l’armée français lors de scènes de tortures – qu’il fut obligé par la censure d’altérer au montage. Le réalisateur n’idéalise pas ses personnages pour autant, eux-mêmes faisant preuve d’une boussole morale tangente (Charpentier laissant se dérouler un viol sur une autochtone, le même malgré ses appels à la révolte n’osant pas prendre l’initiative seul, la prostitution organisée par l’armée), notamment dans un racisme ordinaire notamment lorsqu’un camp est mis à sac avant d’être investi par des tirailleurs sénégalais. L'ironie voudra que c'est en effectuant le seul ordre bienveillant de l'armée que les balles ennemies frapperont réellement le groupe. C’est toute une époque trouble et troublée que capture Boisset dans ce grand film de guerre qui malgré les intimidations diverses (projections interrompues par des groupuscules d’extrêmes droites) rencontrera une nouvelle fois son public, et lui permettant de poursuivre dans cette veine engagée.Sorti en bluray français chez Tamasa