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dimanche 4 mai 2025

L'Attentat - Yves Boisset (1972)

Sadiel, un opposant politique réfugié en Suisse, représente une menace pour le colonel Kassar, ministre de l’Intérieur d'un pays d'Afrique du Nord. Kassar décide de le supprimer et recourt aux services secrets français. Sadiel est exécuté mais l'affaire s'ébruite...

Yves Boisset poursuit la veine sociale, engagée et inspirée du réel entamée avec Un Condé (1970) sur L’Attentat. Le sujet s’avère encore plus brûlant cette fois puisque reposant sur l’assassinat de Mehdi Ben Barka. Ce dernier était un opposant de gauche au régime du roi Hassan II du Maroc, et le chef de file d’un mouvement tiers-mondiste et progressiste. Gênant aux entournures le pouvoir marocain, et faisant craindre pour les Etats-Unis et la France une propagation de ses velléités démocratiques au reste l’Afrique, Ben Barka malgré son exil suisse devient un élément à faire disparaître. Yves Boisset change les noms mais offre un déroulé similaire aux évènements qui conduiront à l’enlèvement et à la disparition irrésolue de Ben Barka dans son récit.

L’Attentat est en partie un grand et rigoureux exercice de film-dossier, au sein duquel Boisset s’autorise néanmoins à inviter la fiction. Celle-ci intervient par l’entremise du personnage de François Darien (Jean-Louis Trintignant), un des seuls du film à ne pas pouvoir être spécifiquement associé à un pendant réel de l’affaire. Homme perdu entre ses convictions militantes de gauche et des accointances passées douteuses, il devient l’instrument qui servira à piéger Sadiel/Ben Barka (Gian Maria Volonté) son ami. Ce « héros » offre un point d’ancrage complexe au spectateur par son ambiguïté, sa trahison reposant à la fois sur une réelle contrainte qui lui est imposé, mais aussi par une ambition personnelle alors qu’il végète dans une existence morne.

La première partie du film construit brillamment la machination qui conduira à l’enlèvement de Sadiel, Boisset n’hésitant jamais à montrer frontalement la complicité française, la possible participation sous-terraine de la CIA, mais aussi celle du monde médiatique enchaîné à la logique politique avec le producteur incarné par Philippe Noiret. Le résultat aurait pu sembler froid si Boisset n’avait su avec talent insérer une grande part d’humanité. Jorge Semprun coécrit le scénario (de Ben Barzman et Basilio Franchina) au niveau notamment de ses dialogues, et semble avoir mis beaucoup de lui-même dans les tirades de Sadiel. 

 Ancien militant activiste en exil également, il en avait partagé la lassitude, l’amertume et le sentiment de solitude dans son script pour La Guerre est finie d’Alain Resnais (1966). On retrouve de cela dans la figure de Sadiel, souffrant presque d’avantage du mal du pays que de l’éloignement des sphères du pouvoir, et la manière dont il sera piégé relève davantage de cette mélancolie que de l’ambition – soit l’inverse de Darrien.

Le cruel face à face où le regard des deux amis se croisent est un point de bascule du récit. Le plan a fonctionné mais cette confrontation frontale à son geste a secoué Darrien qui va chercher à sauver Sadiel. Le film devient alors un haletant thriller désespéré, une course contre la montre perdue d’avance durant laquelle toutes les strates de pouvoir plus ou moins liées au complot vont éteindre toutes les possibilités de fuite. Les barbouzeries sommaires, les preuves effacées et les contre-pouvoirs étouffés conduisent à une logique froide et implacable dont personne ne ressortira indemne. La complexité demeure jusqu’au bout, que ce soit un Darrien repenti mais n’assumant pas son rôle dans ses aveux, ou une police pas si sommairement chargée que cela avec un François Périer impuissant en commissaire aux bonnes intentions. Efficace, instructif et captivant, un cinéma politisé et militant comme on aimerait en voir plus souvent aujourd’hui.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa

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