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vendredi 2 mai 2025

La Chambre verte - François Truffaut (1978)


 Dix ans après la première Guerre mondiale, Julien Davenne vit avec le souvenir de ceux qu'il a aimés et qui ont disparu, sa femme Julie et ses amis morts au front. Dans une vente il rencontre Cécilia qui va partager avec lui ce lien étroit avec les disparus...

La Chambre verte s’inscrit pour François Truffaut dans un cycle de films où il s’attache à dépeindre des personnages à l’obsession morbide. Cette obsession avant tout amoureuse converge vers une dualité Eros/Thanatos dans le cheminement des protagonistes. Isabelle Adjani est conduite à la folie par sa passion amoureuse sur L’Histoire d’Adèle H. (1975), l’irrépressible attrait pour la gent féminine de Charles Denner dans L’Hommequi aimait les femmes (1977) l’égare mentalement puis physiquement lors d’un incident fatal, et bien sûr les amants maudits de La Femme d’à côté (1981) ne trouvent que par la mort la paix lors de leur tumultueuse liaison. Dans toutes ces œuvres, la mort constitue une finalité, le bout du chemin d’une folie. La Chambre verte se distingue en choisissant d’en faire le point de départ, le fil conducteur de cette obsession morbide.

François Truffaut entrecroise brillamment trois nouvelles d’Henry James dans son scénario. La trame principale autour de l’inconsolable deuil de Julien Davenne (François Truffaut) vient de L'Autel des morts, les rencontres teintées d’amitié amoureuse frustrante et non consommée s’inspire de La Bête dans la jungle, et Les Amis des amis pour l’expérience mystique que partagent Davenne et Cécilia (Nathalie Baye). Les premières images du film entremêlent traumatisme collectif et maux intimes, à travers ces archives de la Première Guerre Mondiale dans lequel s’affiche en fondu le visage meurtri de Julien Davenne. Dix ans après le conflit durant lequel il fut mobilisé, Davenne ne se remets pas de la perte de ses compagnons d’armes, mais aussi de celle de sa jeune épouse décédée avant son retour du front.

Plus déferrent aux morts qu’aux vivants, Davenne leur consacre sa vie professionnelle en étant l’assigné aux nécrologies dans son métier de journaliste, et bien sûr son intimité avec le véritable mausolée dédié au souvenir de sa femme dans une pièce de sa maison où trônent photos et objets lui ayant appartenu. Distant et taciturne dans ses interactions avec les vivants, Davenne ne s’anime que dans la solitude de la « chambre verte », lieu dans lequel son esprit s’apaise et où le temps n’a plus cours. Truffaut capture cette dimension morbide et tragique dans une imagerie austère porté par une mise en scène en parfait équilibre dans la description d’une pure névrose (le plan d’ensemble sur Davenne assis et fasciné face au « musée » dédié à son épouse) et un soupçon de fantastique (le fondu enchaîné entre le portrait trônant dans la chambre et le même figurant sur la pierre tombale). 

Quelques éléments humanisent néanmoins Davenne et le raccroche au monde qui l’entoure, notamment l’affection qu’il témoigne à Georges (Patrick Maléon), le petit garçon muet dont s’occupe sa gouvernante – élément rappelant L’Enfant sauvage (1970). La morbidité n’est cependant jamais loin dans ces attitudes (les photogrammes de soldats horriblement morts qu’il montre à Georges) et c’est ce qui le rapprochera de Cécilia, jeune femme également hantée à sa manière par la mort. Une expérience mystique commune les rapproche mais, dans un premier temps, la jeunesse de Cécilia lui fait uniquement apprécier le passé par les objets sans pour autant refuser le monde des vivants, quand Davenne est entièrement dévolu aux disparus.

Truffaut dessine leurs trajectoires communes dans un rapprochement et une opposition incessante. L’incendie de la chambre verte va pousser Davenne à mêler en un lieu unique sa dévotion personnelle et collective aux morts, dans une église restaurée au centre de laquelle s’affiche la mémoire de son épouse défunte, mais dont l’espace restant est consacré à l’ensemble de ses amis disparus par des portraits sur les murs (sur lesquels Truffaut accroche ceux d’artistes qu’il admire comme Henry James, Marcel Proust ou Jean Cocteau), et un cierge leur étant dédié. Parallèlement, la perte d’un amant amène Cécilia sur le chemin de la même obsession amoureuse morbide que Davenne et lui fait désormais partager la vision du monde - facette traduite par Truffaut dans la composition de plan similaire, de jour puis nocturne, fondant Céclilia et Davenne dans l'espace du cimetière, par sa végétation pour elle et pas l'obscurité de la nuit et de ses vêtemens pour lui.

François Truffaut atteint des sommets dans cette dualité entre expression d’une névrose et pure imagerie gothique - l'ombre de Rebecca (1940) et Vertigo (1959) du modèle Hitchcock plane. La dilatation du temps et la dimension parallèle que constitue la chambre verte est basculée sur celui de l’église abandonnée dans l’incroyable scène nocturne du cimetière. Davenne semble s’être littéralement extrait du monde des vivants qui ne le remarquent plus (le gardien du cimetière qui en verrouille l’entrée en le laissant coincé à l’intérieur), et chemine parmi les tombes pour découvrir ce nouvel autel qu’il érigera aux morts. L’autre grand moment est celui de la découverte de cet espace restauré qu’il présentera à Cécilia, la musique de Maurice Jaubert (utilisée à titre posthume par Truffaut comme sur L’Histoire d’Adèle H., L’Argent de poche (1976) et L’Homme qui aimait les femmes) et la photo Néstor Almendros conférant une tonalité à la fois hantée et sombrement romantique au lieu.

Davenne et Cécilia pensent ne construire leur lien que par leur attachement commun aux morts, mais la nature de cette relation ne sera questionnée qu’à travers l’amour/haine qu’ils dédièrent à une même personne de son vivant. Davenne ne semble finalement par avoir totalement abandonnée les émotions du commun en exprimant une sorte de jalousie d’outre-tombe, quand Cécilia au contraire n’embrasse pas le sacrifice collectif aux morts de Davenne en étant finalement avant tout obsédée par un seul disparu - là encore Truffaut exprime le schisme par l'image lors des retrouvailles à l'église avec le portail de l'autel formant comme une barrière à l'arrivée de Cécilia. Davenne comprend enfin de façon extérieure sa folie en l’observant chez Cécilia (la découverte de la « chambre verte » de cette dernière consacrée à Massigny) mais n’accepte pas d’y déceler chez lui un sentiment amoureux qui constituerait une trahison à son épouse – le reproche qu’il fera à son ami veuf d’avoir osé se remarier et « remplacer » sa femme.  Cécilia prendra plus vite conscience de l’agitation de son cœur, mais il est trop tard, et les retrouvailles dans l’église étouffe toute possibilité de confession amoureuse pourtant enfin attendue et espérée par les deux personnages. La romance possible et le renouveau des vivants s’estompent, et le cycle de l’obsession morbide est relancé en faisant de l’amant un cierge à vénérer plutôt qu’un être à aimer. 

 Sorti en bluray et dvd chez Arte et L'Atelier d'image

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