Chun est un être
céleste qui doit s'occuper des bégonias. À ses 16 ans, elle est envoyée dans le
monde des humains sous la forme d'un dauphin afin d'accomplir son rituel de
passage à l'âge adulte. Kun, un humain, lui sauve la vie, mais perd alors la
sienne. Avec l'aide de son ami Qiu, elle essaie de ranimer l'esprit de Kun afin
de le remercier de l'avoir sauvée.
Big Fish & Begonia
est une production marquant l’avènement de l’animation chinoise dans cinéma
mondial. Il y eu certes dès les années 20 une longue tradition de l’animation
dans le cinéma chinois, mais à l’heure où le pays cherche à offrir une alternative
aux blockbusters américains il n’y avait pas encore eu de productions aptes à
concurrencer les ténors que sont Pixar ou Ghibli. Le film fut un projet de
longue haleine pour ses deux réalisateurs Liang Xuan et Zhang Chun qui mirent
12 ans à le mettre en œuvre. Au départ Big
Fish & Begonia est donc un court-métrage en animation flash mis en
ligne en mai 2004 et dont l’accueil positif incitent les réalisateurs à en
proposer un prolongement en long. Entre recherche de financements et écriture
du scénario qu’ils n’achèvent qu’en 2009, le projet semble pourtant s’enliser
jusqu’au carton de Monkey King: Hero Is
Back (2015 et nouvelle adaptation du mythe bénéficiant d’un doublage de
Jackie Chan) qui rend alors possible des bénéfices via l’animation chinoise -
le studio coréen Studio Mir s’associant aux chinois B&T et Enlight Media
pour le budget.
Le film s’inspire de plusieurs éléments de la culture
chinoise, entremêlant la pensée du philosophe Zhuangzi et les recueils de
légendes traditionnels Shanhaijing/ Livre
des monts et des mers et Soushen ji/ À la recherche des esprits.
Ainsi même si certains éléments du récit et des images renvoient à l’imaginaire
Ghibli (monde sous-marin à la Ponyo,
héroïne valeureuse en lutte contre sa communauté telle Nausicaa, et univers folklorique foisonnant rappelant Le Voyage de Chihiro), le film trouve
vraiment son identité par ce profond ancrage chinois et sa poignante histoire
d’amour. L’univers dépeint un monde des humains et sous-marin qui coexistent et
se complètent dans un délicat équilibre. Les âmes des humains défunts se
réincarnent en poissons destinés à errer
dans les océans. Parallèlement les être des mers adoptent la forme de dauphin rouge
pour leur rituel de passage où pendant sept jours ils le monde des humains avec
interdiction de les côtoyer. L’histoire dépeint ainsi la romance, d’un monde et
d’une forme à l’autre entre la jeune Chun et Kun.
Celle-ci reposera à la fois
sur le déséquilibre et l’harmonie qu’amène ce rapprochement. Chaque rencontre
amène une grâce suspendue et contemplative où tout semble s’arrêter. Cette
attirance irrépressible repose à la fois sur une dimension taoïste et un
romantisme palpable. Ainsi les personnages ne s’aiment jamais en ayant la même
forme, Kun humain séduisant Chun en dauphin rouge puis dans la seconde partie
celle-ci retrouvant sa forme tandis qu’il est réincarné en poisson. L’amour
endosse là une facette poétique et féérique qui dépasse l’incarnation physique
pour jouer sur la complicité du regard et du geste. Les scènes enchanteresses
où Chun et Kun nagent, volent et dansent dans un environnement épuré (la
profondeur des océans), désert (les toits de la cité sous-marine) ou onirique
(la scène de rêve où Kun réveille Chun) oublient les contraintes physiques pour
ne capturer que la communion spirituelle et amoureuse des personnages – portées
le très beau score de Kiyoshi Yoshida. Ce ying et yang qui semble les compléter
dans les sentiments les oppose à l’inverse par les règles régissant leurs monde
respectifs qu’ils n’auront de cesse de défier.
Chaque renforcement de cet amour a ainsi son contrecoup sous
forme de catastrophe naturelle dramatique par un maelstrom marin, une météo
déréglée ou la grande apocalypse finale.
Cette dualité existe également dans les interactions avec les
personnages secondaires. Le film se déroule pour l’essentiel dans l’univers
sous-marin mais propose une réflexion contrastée et sans manichéisme. Le rejet
ordinaire de « l’autre » par la population alterne ainsi avec le
dépit amoureux dont le scénario observe la jalousie, la résignation et l’acceptation
avec le beau personnage de Qiu. Les figures purement surnaturelles (le maître
du royaume des morts rieur et marchandeur, le grand-père compréhensif marié à
un oiseau, la matrone des rats) symbolisent par leurs attitudes nuancées un
tout qui reflète cette complexité de la vie.
Ils incarnent un visage tour à
tour bienveillant ou manipulateur, lumineux ou ténébreux. Les réalisateurs
parviennent ainsi par l’incarnation et l’image à exprimer toute la portée
philosophique des sources littéraires adaptées. L’équilibre géographique et
spirituel du Shanhaijing passe ainsi
par des compositions de plans somptueuses où viennent s’immiscer les éléments
mythologiques via une sculpture, une nuance de couleur ou décor inattendu. Les
pouvoirs même des habitants du monde sous-marin, reposant sur la maîtrise des
éléments et des plantes évoquent aussi cette notion d’équilibre fragile.
Les réalisateurs ont façonnés un univers luxuriant où plane
l’influence de Ghibli (les domestiques chat du royaume des morts…) mais dont le
rattachement à cette identité chinoise rend singulier. L’arbre socle et rédempteur
du final n’a ainsi par la portée animiste de la conclusion de Princesse Mononoké auquel on aurait été
tenté de le comparer. Et finalement c’est aussi l’aspect chaste de Ghibli qui
est bousculé dans Big Fish & Begonia.
La nudité est source d’image mystérieuse, poétique (la première transformation
en dauphin rouge de Chun lors du rite initiatique) et étonnamment sensuelle.
Les réalisateurs reflètent par cela la plénitude amoureuse et spirituelle qui
guide en permanence le récit jusqu’à l’émotion puissante du final,
spectaculaire et intimiste.
Disponible sur Netflix
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