Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 23 juillet 2015

Tueur à gages - This Gun for Hire, Frank Tuttle (1942)

Un tueur à gage, Phillip Raven (Ladd) abat un industriel, un informateur de la police et se rend rapidement compte qu'il a été payé avec de l'argent sale. Poursuivi par la police, Raven rencontre lors de son voyage pour Los Angeles, Ellen Graham (Veronica Lake) qui n'est autre que la fiancée de l'inspecteur qui le traque. Pourtant Ellen qui est une magicienne et chanteuse dans les clubs de nuit lui sera d'une grande aide, car Raven veut retrouver son commanditaire Willard Gates, un patron de club de nuit et se venger.

Tueur à gage est un remarquable film noir qui signe l'acte de naissance cinématographique d'Alan Ladd, au point d'indiquer un mensonger "introducing" à son nom au générique alors que sa filmographie est entamée depuis les années 30. Le physique frêle de l'acteur avait jusque-là freiné son ascension mais entre le script malin, la complicité avec son réalisateur Frank Tuttle qui saura tirer le meilleur de lui et l'alchimie à l'écran avec Veronica Lake (qui sera sa partenaire ensuite sur La Clé de verre (1942) et Le Dahlia bleu (1946)), tous les éléments semblent enfin réunis pour le mettre en valeur à l'écran.

Ladd incarne ici Raven, un tueur à gage glacial bien décidé à se venger de son commanditaire Williard Gates (Laird Cregar) qui l'a piégé après son dernier "job" afin de le réduire au silence. Raven entraîne dans sa vendetta Ellen Graham (Veronica Lake), une artiste doublement impliquée puisque petite amie du policier (Robert Preston) traquant le tueur et jouant dans le club de Williard Gates. Le scénario astucieux entremêle habilement course-poursuite aux échos politiques surprenants et exploration de la psychologie torturée de Raven. Alan Ladd lui amène un détachement sacrément intimidant dans sa brutalité (le double meurtre d'ouverture) contrebalancé par une vulnérabilité s'exprimant face aux plus faibles. Cela se fait sans jamais atténuer la dangerosité du personnage, la bascule de la magnanimité à la violence ne tenant toujours qu'à un fil : il s'excuse presque tout en abattant néanmoins la femme présente avec sa cible, un geste ambigu laisserait croire qu'il est prêt à tuer un enfant et même la future alliée Veronica Lake n'est pas loin d'y passer.

Raven semble toujours sur la corde raide mais fascine tant cette violence semble une protection, l'émanation d'un caractère plus fragile qui empêche le personnage d'être totalement détestable. Alan Ladd exprime parfaitement l'écart entre son allure intimidante et son physique malingre (la tare de son poignet en rajoute une couche), tout le film dressant une dualité sur son caractère à partir de cet aspect. Exprimant sa seule affection à son chat, animal solitaire et indépendant comme lui, il peut tout aussi bien tordre le cou de l'animal si ce dernier peut signaler sa présence la police. Cela fonctionne aussi chez les méchants, Laird Cregar et sa carrure de colosse incarnant un couard précieux tandis que Tully Marshall vieillard malade cloué à son fauteuil est le symbole presque démoniaque du mal absolu.

L'humanisation de Raven se fera au contact de Veronica Lake, sa douceur et fidélité l'amenant à s'ouvrir et révélé les origines de sa violence. Pétillante et déterminée, l'actrice est parfaite, la partenaire idéale pour Alan Ladd. Le scénario de W. R. Burnett et Albert Maltz est rondement mené, le premier amenant toute sa science du film noir (on lui doit les scripts du Petit César (1931) et dont il a écrit aussi le roman) ou Scarface (1932) dans la brutalité et l'inventivité des situations comme ce moment glaçant où Raven tient une femme de chambre en otage dans une cabine téléphonique. Albert Maltz, un des futurs Dix d'Hollywood amène lui une dimension politique où l'aspect propagande incitant à l'engagement (le film est tourné avant Pearl Harbor) se contredit par la façon de fustiger les symboles capitalistes synonymes de traitrise et penchant du coup plus vers le communisme. Frank Tuttle penchant également à gauche amène une conviction rageuse à ses moments, en faisant le moteur de la rédemption de Raven finalement mieux amené par exemple qu'un autre chef d'œuvre du noir comme Le Port de la drogue (1953) avec Richard Widmark.

La manière d'exprimer ce message sans lourdeur sera l'esthétique impressionnante du film. On basculerai presque dans le fantastique durant la séquence où Raven vient traquer Gates dans sa demeure avec ce tonnerre éclairant de façon expressionniste et gothique le décor (magnifique photo de John F. Seitz), l'arrivée dans le bureau de Tully Marshall semble comme nous faire pénétrer dans un monde surréaliste et dangereux et le décor de l'usine semble un dédale sacrément tortueux. Cette inventivité fera des émules à long terme puisque le film est une inspiration avouée de Jean-Pierre Melville pour Le Samouraï (1967), le mimétisme entre les ouvertures deux films (le réveil, Ladd et son chat/Delon et son canari, leur gestuelle respective et la manière d'occuper le décor) étant frappant.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis 

Extrait de la scène d'ouverture

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