Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 7 décembre 2018

La Collectionneuse - Éric Rohmer (1967)


Saint-Tropez, été 1967. Deux jeunes hommes se retirent un mois – sans leurs compagnes – dans la propriété prêtée par un ami commun, isolée en bord de mer. Une inconnue, invitée également, finit par occuper l'essentiel de leurs pensées, les troublant autant par sa beauté que par son indépendance et sortant en ville chaque soir avec un nouvel inconnu.

La Collectionneuse est le troisième volet des Contes moraux d’Éric Rohmer après La Boulangère de Monceau (1963) et  La Carrière de Suzanne (1963). Rohmer envisageait initialement de tourner Ma nuit chez Maud mais se verra refuser l’avance sur recettes pour ce projet. Il se rabat ainsi sur La Collectionneuse qu’il va tourner en amateur mais dans des conditions avantageuses avec du 35 mm et la couleur. L’intrigue développe les figures récurrentes des contes moraux (désir, fidélité, inconstance masculine) mais à l’aune des révolutions sexuelles des années 60. Cette modernité est représentée par le personnage de Haydée (Haydée Politoff) tandis que les codes sociaux dépassés sont incarnés par Adrien (Patrick Bauchau) et Daniel (Daniel Pommereulle) avec lesquels elle partage une maison le temps d’un été.

Les prologues introduisant les trois protagonistes définissent leur caractérisation à venir. Haydée apparait ainsi dans toute sa beauté simple et scrutée sous toutes les coutures, en maillot de bain sur une plage. A l’inverse nous découvrons Daniel dans une pure logorrhée narcissique et Adrien dans un environnement superficiel auprès d’amis creux (l’attachement à la beauté affirmé par le dialogue) et de sa fiancée. La cohabitation dans la maison confronte donc les mœurs amoureuses très libre de la jeune Haydée (partant et revenant avec un amant différent chaque soir) sous les yeux faussement indifférents d’Adrien et Daniel. Le minois juvénile d’Haydée exprime un détachement finalement très adulte et libre de ses désirs tandis que les deux hommes sous leur regard inquisiteur adopte une attitude enfantine masquant difficilement leur attirance. Le triangle amoureux voit donc la jeune femme triompher constamment face à l’immaturité masculine. 

Dans la lignée du prologue, la théâtralité est de mise dans les attitudes de Daniel, forcées dans l’indifférence, le mépris ou la colère calculée (la scène face à l’acheteur d’art) en faisant un petit garçon qui recherche l’attention. Le plus intéressant est cependant Adrien qui à travers la voix-off se façonne tout un fantasme mensonger où Haydée le désire secrètement et où il se doit de la rejeter. Rohmer adopte donc constamment une distance où Haydée est souvent filmée en amorce et à la dérobée, évoquée tout en étant absente à l’image (les nombreuses fois où Adrien passera devant la porte de sa chambre) et parfois c’est tout simplement la moue moqueuse de la jeune femme qui constituera un mystère insoluble pur ces hommes habitués à dominer. Ainsi chaque élan machiste se heurte au mur de l’insouciance d’Haydée sourde à leurs insultes, à leur tentative de se « l’échanger », où même d’une nuit d’amour ressort son indépendance plutôt qu’une domination masculine – notamment par l’image avec ce plan de jambes enlacées de Daniel et Haydée.

Le jeu de séduction s’avère donc très plaisant par l’attirance contrariées et infantile d’Adrien, vulnérable et repoussé quand il assume son attirance, calculateur et sournois quand il la nie intérieurement. C’est une fois de plus l’espièglerie de la jeune femme qui semblera rompre les inhibitions bourgeoises d’Adrien mais cette volonté ne tient qu’à un fil, celui de la faiblesse masculine qui voit comme toujours le héros rohmerien se dérober. Le réalisateur montera une première version muette et en noir et blanc du film que son ami Barbet Schroeder présente à différents producteurs dont Georges de Beauregard (producteur emblématique de la Nouvelle Vague) qui complètera le financement et en assurera la distribution. Le film malgré une sortie limitée en France obtient l’Ours d’Argent au Festival de Berlin pour une première vraie reconnaissance internationale de Rohmer. Fort de ce nouveau prestige l’avance sur recette est enfin obtenue pour Ma nuit chez Maud, quatrième volet célébré des Contes Moraux.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Potemkine 

2 commentaires:

  1. Je suis tombée par hasard sur ce film et j'ai adoré le mélange d'érotisme intellectualisé et donc tout en théories fumeuses élaborées des deux cotés hommes ou femme; avec beaucoup d'humour, il faudrait que je le revois car je ne me rappelle plus de la fin ...

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  2. Belle analyse de ce qui reste à mes yeux l'un des films les plus délicieux de Rohmer. Ce marivaudage plein de fausses certitudes qui seront mises en déroute. Et l'inoubliable prestation de Patrick Bauchau.

    E.

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