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dimanche 29 décembre 2019

The Irishman - Martin Scorsese (2019)


 Frank Sheeran est un ancien soldat de la Seconde Guerre mondiale devenu escroc et tueur à gages aux côtés de quelques-unes des plus grandes figures du 20e siècle. Couvrant plusieurs décennies, le film relate l'un des mystères insondables de l'histoire des États-Unis : la disparition du légendaire dirigeant syndicaliste Jimmy Hoffa. Il offre également une plongée monumentale dans les arcanes de la mafia en révélant ses rouages, ses luttes internes et ses liens avec le monde politique.

The Irishman apporte une sorte de point final au cycle mafieux dans la filmographie de Martin Scorsese avec Means Streets (1973), Les Affranchis (1990) et Casino (1995). Chacune de ces œuvres avait contribué à démythifier l’image glorieuse et aristocratique du gangster (véhiculée entre autre par la trilogie du Parrain de Francis Ford Coppola) en le ramenant à une dimension terre à terre. Scorsese liait cet aspect à sa propre expérience des mafieux qu’il observait et enviait, lui le gamin souffreteux, chétif et asthmatique. Ce regard émerveillé était ainsi progressivement contredit pas la violence crasse, la bêtise et la fraternité de façade des malfrats. Means Streets dépeint ainsi les jeunes aspirants mafieux et les petites frappes décérébrées, Les Affranchis les petites mains visant à être caïd et Casino contredisait le clinquant de Las Vegas par les conflits intimes des agents mafieux en place. Chaque film est un écho de l’âge de Scorsese au moment de sa conception et The Irishman (même si le projet fut envisagé depuis longtemps sans réussir à être financé) arrive donc à point nommé avec son ambiance mortifère, sa réflexion sur la mort et le temps qui passe. 

Le film adapte le livre I Heard You Paint Houses: Frank ‘The Irishman’ Sheeran and the Inside Story of the Mafia, the Teamsters, and the Final Ride by Jimmy Hoffa de Charles Brandt, confessions de Frank Sheeran, syndicaliste d’origine irlandaise lié à la mafia et soupçonné d’avoir tué Jimmy Hoffa. On observe sur plusieurs décennies le recrutement, l’ascension et la chute de Frank Sheera, ainsi que la déchéance du monde qui l’entoure. La grande différence avec les précédentes œuvres mafieuse de Scorsese est cette fois l’absence totale de dualité, de bascule de la fascination vers l’ordinaire monstrueux mafieux. Le récit s’ouvre ainsi sur un Frank Sheeran (Robert De Niro) ayant déjà largement atteint l’âge mûr, en tournée de racket et roulant vers un mariage avec son mentor Russ Bufalino (Joe Pesci). Les paysages traversés ramènent Frank à l’époque de son entrée dans le milieu et la voix-off ôte tout panache à ses exactions. 

Tout contribue à être un miroir en négatif des précédents films de Scorsese. Lorsque Frank va incendier le siège d’une blanchisserie concurrente, Scorsese montre les préparatifs mais laisse une ellipse sur l’action en elle-même, soit tout le contraire d’un fameux arrêt sur image où Henry Hill commettait une exaction similaire dans Les Affranchis. De même quand le système de prêt frauduleux de Jimmy Hoffa (Al Pacino) nous sera montré, on pensera forcément à la séquence où De Niro nous dépeignait les détournements de fonds dans les arrière-salles de Casino. Seulement la virtuosité du film de 1995 s’estompe, que ce soit dans le cadre nettement moins flamboyant, les sommes plus modestes (le travelling sur l’ouverture du coffre-fort) l’aspect négociation de quincailler loin du panache mafieux. 

Ces différences tiennent dans l’hésitation et le regret des personnages dans chaque film. L’hésitation est pour le Harvey Keitel de Means Streets encore tiraillé entre religion et destinée criminelle. C’est le regret de l’impunité d’antan qui domine dans Les Affranchis, et un regret à la fois romantique et matériel pour Casino. Il y aura à chaque fois eu une étape exaltante avant d’en arriver à cette résignation quand elle imprègne chaque seconde de The Irishman. Frank n’est qu’un soldat qui agit professionnellement, sans dégout ni passion, là où on l’envoie régler les « problèmes ». Son quotidien est quelconque si ce n’est la lumière qu’y amène le bouillonnant Jimmy Hoffa qui va devenir un ami cher. Ce dernier est cependant condamné à l’image de toutes les figures fantasques associées au faste mafieux, comme  Joseph « Crazy Joe » Gallo (Sebastian Maniscalco). Le vrai pouvoir est détenu par les présences momifiées et spectrales de Russ (Joe Pesci remarquable de présence glaciale aux antipodes de ses prestations nerveuses habituelles chez Scorsese) ou« Fat Tony » Salerno (Domenick Lombardozzi). Scorsese déploie donc une sorte de fatalité constante qui s’exprimera sous plusieurs formes. Plusieurs mafieux sont introduits par un panneau qui narre les circonstances de leur future mort, toujours violente. 

Les éléments de langages criminels nous sont d’abord introduites de manière informative, avant de prendre un sens tragique dans la suite du récit sans que les explications soient nécessaires (la notion de little bit concerned, ou le fatal It is what it is final). Cela s’exprime aussi dans l’intime avec dès l’enfance le regard à la fois apeuré et accusateur que pose Peggy (Anna Paquin faisant passer une sacrée gamme d’émotion dans un rôle muet) sur son père, qui devine les basses besogne qu’il s’apprête ou vient de commettre. Même les effets spéciaux moyennement convaincants de rajeunissement (le visage juvénile de De Niro étant connu de tous dur d’être convaincu, d’autant que sa gestuelle engourdie est bien celle d’un homme de son âge) contribuent finalement à cette atmosphère hantée, étrange et fantomatique de musée de cire. Cette absence d’épique nous fait traverser le récit entre bar, chambre d’hôtel et volant de voiture pour l’essentiel, ce sont l’ordinaire et le pathétique qui dominent. Les personnalités plus attachantes ne valent pas mieux par leurs objectifs narcissiques (Jimmy Hoffa et son leitmotiv It’s my Union !) et les vraies amitiés se soumettent à la loi du milieu. 

Le mausolée prend complètement corps dans la dernière demi-heure montrant la déchéance physique, la désespérance morale et la solitude à laquelle sont condamnés les mafieux. Contrairement aux Affranchis ou Casino, il n’y a même pas eu l’illusion d’une vie faste et excitante à laquelle se raccrocher. Mais malgré le peu que tout cela lui aura finalement rapporté et ce qu’il y a perdu, la fidélité stérile aux codes est de mise pour Sheeran qui restera silencieux sur ce qu’il est advenu de Jimmy Hoffa. Ce ne sont pas les thèses et/ou explications sur certaines exaction médiatiques qui importe ici (JFK possiblement assassiné par la Mafia, James Ellroy était déjà passé par là et le sort d’Hoffa même sans preuve était logique) mais la vacuité de ces actes quand arrive la fin. 

Disponible sur Netflix 

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